07/10/2013 (Brève 272) ALERTE ROUGE : Le fantôme du Juge Bernard Borrel assassiné à Djibouti en octobre 1995, plane toujours sur Haramous. (Uniquement pour celles ou ceux qui ne l’auraient pas encore lu, nous vous proposons une rediffusion d’un article « Panique à Soumarah » publié le 22 octobre 2004 puis le 25 juin 2006 dans la rubrique humour). L’actualité est-elle en train de rattraper la fiction ? (Toute ressemblance avec des personnalités djiboutiennes serait fortuite et involontaire)

Panique à Soumarah

Samedi, sortira sur le
grand écran, le nouveau film de fiction : « Panique à
Soumarah », du célèbre réalisateur Nassah Dias (*), dont
les mauvaises langues disent que lassé de torturer ses concitoyens, il s’attaque désormais aux cinéphiles du monde entier. Nous laisserons
à chacun le soin d’en juger.

Ce film raconte l’histoire
d’un Chef d’Etat dans un pays imaginaire, qui est confronté à
sa conscience. Tel Caïn, sa (mauvaise ?) conscience le suit partout et
hante ses jours et surtout ses nuits.

Le réalisateur
se veut être un homme très proche de ce Chef de l’Etat et il
nous raconte ce qu’il voit avec ses yeux et avec sa parfaite connaissance des dossiers secrets (et scabreux ?) de l’Etat.
On verra d’ailleurs que le suspens durera jusqu’à la fin. C’est au
tout dernier moment que l’on connaîtra le dénouement. Pendant
plus de 90 minutes les spectateurs voient se dérouler l’intrigue avec
les yeux de Nassah Dias ! Mais coup de théâtre final, le réalisateur va être
arrêté, pour le crime qu’il a commis autrefois, par des gendarmes dépêchés par un autre pays. C’est avec la plus grande angoisse que nous suivons cette scène jouée à la perfection. Les interprètes sont plus vrais que nature. On jurerait que les gendarmes sont des professionnels. Le spectateur
a vraiment l’impression que c’est lui qui va être arrêté
et emprisonné. Il ressent le frisson du futur condamné.

Revenons à l’intrigue
: tous les ingrédients sont là. Un Président dictateur
Helleug et son épouse Oyabag qui tire les ficelles par derrière
et qui semble détenir la plus grande partie du pouvoir. Le réalisateur
a-t-il forcé le trait, quand il la dépeint sous l’aspect d’une
femme méchante, acariatre, rancunière, très avide et à l’ambition
démesurée. A-t-il vraiment forcé le trait ? Où a-t-il trouvé son inspiration pour imaginer un tel personnage, aussi cruel et aussi machiavélique ?

Il faut admettre que la scéne de l’orphelinat est insoutenable : lorsqu’elle arrive en voiture pour sélectionner froidement les malheureux enfants qui seront jetés ensuite dans un avion à destination de Londres. Qui aurait pu imaginer un tel cynisme de la part d’une femme, mère de famille ? La question que l’on se pose, est de savoir s’il était nécessaire (pour expliquer la tyrannie exercée par les dirigeants) de montrer la violence inacceptable exercée sur des enfants : par exemple la séquence atroce de la sélection pour satisfaire les commandes reçues de l’étranger ?

Il y a aussi un traitre,
comme dans toutes les histoires bien ficelées. Il est joué
par le célèbre comédien, enfant du pays, Namielous.
Préféré d’Oyabag, artiste chevronné, spécialiste de l’équilibrisme,
charlatan à ses heures, il joue à merveille : on le croit, on approuve ses paroles mielleuses ! Il sait interpréter les deux faces du personnage qu’il double : totalement ‘carpette’ avec les plus forts que lui, et sadique à l’extrême avec les plus faibles.

La salle de projection,
emportée par son enthousiasme face à tant de duperie, de méchanceté, de mauvaise foi et de mesquinerie,
se mit spontanément à le siffler. Sa chute est relativement
brutale ensuite. Passé le point de non-retour dans le mensonge d’Etat, puis confondu par les faits, il s’écrase brutalement, comme une vieille loque.
On le voit plus tard, devenu craintif, ne sortir que la nuit et raser les murs. Dès les premières lueurs de l’aube il se réfugie
dans les égouts de la ville pour échapper frileusement à la Justice,
dont il fut pourtant un acteur particulièrement acharné, du temps de sa splendeur.

Le personnage principal,
on ne le voit jamais. Il est présent dans tous les esprits, il est
la cause de nombreuses réunions du Cabinet du Président, mais
il n’apparaît pas. Enfin pas tout à fait. Nassah Dias a choisi
de lui donner l’apparence d’un fantôme. Il est présent partout,
mais on ne le voit pas au début. Petit à petit, le spectateur
voit des formes se dessiner de plus en plus distinctement. Lerrob, c’est le
nom de ce personnage. Vers la fin, on découvrira comment (et pourquoi) de son vivant,
il a été tué par le réalisateur et ses complices, sur ordre direct du
Président. Rien de plus banal dans ce gouvernement aux moeurs dépravés
et aux multiples affaires louches, qui ne supporte pas d’être pris la main dans le sac.

Mais Lerrob, même mort, a la rancune tenace. Il veut se venger. Il n’a de cesse que les vivants découvrent les noms de ses assassins et
surtout de celui qui a donné l’ordre de la sauvage exécution. Pour atteindre son objectif, il a décidé de le désigner sans équivoque aux yeux des vivants et de la Justice, durant cette fameuse nuit, qui est le temps fort du film.

Certes, on pourrait reprocher au réalisateur
certaines longueurs : il y a des moments de grand silence et le film gagnerait
certainement à ce qu’ils soient coupés. L’action se déroule
sur plusieurs années, mais il sait habilement nous faire passer par
des phases de doute, par des phases de certitude, démenties rapidement
par une nouvelle information contradictoire ….

Nous avons moins aimé le personnage de Fera, le conseiller fraichement repenti, lorsqu’il sort sur le parvis et qu’il s’adresse au fantôme avec un porte-voix pour tenter vainement de le convaincre de repartir. L’acteur manque de force : il n’est pas convaincu, il joue « petit-bras » comme on dit dans le métier. Son interprétation ne restera pas gravée dans les mémoires. Heureusement, il ne s’agit que d’un rôle secondaire, mais c’est quand même une « erreur de casting ».

La grande
scène, c’est lorsque l’on découvre que le fantôme de Lerrob s’approche lentement de la capitale, qu’il survole ensuite la ville pour aller s’immobiliser au dessus du Palais
de Soumarah.

Là c’est vraiment
la panique à bord, le chaos, l’indécision et le sauve-qui-peut général au Palais de l’Elacse. Certains hauts fonctionnaires courent vers le port pour se jeter dans un boutre en partance pour le Yémen. D’autres, qui ont réussi à rassembler les certificats nécessaires, s’enfuient vers l’aéroport pour tenter de trouver un avion qui les emménera en Belgique ou au Canada, où ils déposeront une demande d’asile.

Le Président reste seul, terrorisé. Ses courtisans, jadis si nombreux ont disparu, son personnel s’est enfui : son épouse est en voyage. On le suit. En proie à la panique, il se réfugie lourdement avec une extrême
violence dans son coffre-fort, une immense pièce aveugle et blindée où il a entassé des richesses inouïes; sur son passage il pulvérise tout : vases
et objets précieux. Mais rien ne le protègera : le fantôme
approche toujours et il a compris qu’il était à sa recherche.

A l’Etat-Major des Armées, c’est le grand branle-bas
de combat : Airakaz, décoiffé, à peine réveillé, semble sorti tout droit d’un quelconque lupanar. Arrivé en toute hâte, dans un immense 4×4 conduit par une jeune militaire en survêtement suggestif, il vitupère contre l’ennemi insaisissable. Son supérieur le fameux Ihtaf (qui est absolument génial dans son rôle d’agent double) hurle
à la mort ; il annonce la fin du régime et il accuse directement Helleug d’être le seul responsable de cet immense gâchis. Il fait même semblant de cracher sur un portrait d’Helleug.

A eux deux, ils donnent
des ordres et des contre-ordres.

Ihtaf lance ses
hélicoptères pour intercepter et détruire le fantôme planant. A un moment,
il donne même l’ordre de tirer à balles réelles et traçantes : dans
la nuit, c’est d’un réalisme saisissant. Malgré cela, le fantôme continue
sa route, imperturbablement. Les balles le traversent sans l’arrêter
dans sa course. A noter que l’un des hélicoptères s’écrase et on comprend
que c’est une panne.

Cela marque le début
de l’une des scènes les plus émouvantes, lorsque l’officier Demahom (surnommé
‘Démago’), le chef des soldats tués dans l’accident, comprend enfin que
ce sont ses deux supérieurs qui ont détourné l’aide internationale qui
devait permettre de payer l’entretien des hélicoptères … et que la révision
indispensable n’a pas été faite, faute de financement disponible. On s’associe
à sa rage, à sa douleur face à la mort stupide et injuste de ses propres
hommes, on partage son ressentiment et son horreur face à tant de compromission
et de pourriture au pays d’Helleug.

Eh bien on a tort !


Il nous prend à contrepied, au moment où il exige de recevoir sa part de l’enrichissement
sans cause, pour prix de son silence, comme le veut la coutume ancestrale
du clan dominant ‘Nassamam’.

Dans un fracas assourdisant
(en dolby stéréo), les chars d’Airakaz s’ébranlent. D’abord lentement,
ils sortent du camp Kiehc Namso, sur trois colonnes, ils accélèrent ensuite
pour rejoindre le Palais de Soumarah qu’ils entourent aussitôt et ils
dressent leur terribles canons ver le Ciel, dans un dérisoire et dernier
geste de protection envers Helleug. Ce sera inutile, mais le spectateur
est fasciné par les effets spéciaux.

Nous vous avons dévoilé
une fraction du dénouement, mais pas tout, afin que vous ayiez toujours envie
d’aller voir ce grand film qui devrait remporter, à notre avis, la Palme d’Or
du festival international d’Ituobijd. On ne vous a pas tout dévoilé, mais
sachez quand même qu’à la fin, ‘la vérité finira par triompher’ et que la
Justice étrangère obtiendra finalement les terribles aveux du réalisateur.
La morale est sauve !

Ouf ! On avait cru pendant tout
le film que les affaires, les trafics, le crime et la vénalité allaient sortir en grands
vainqueurs de cette fiction. Il n’en est rien et tous les
méchants se retrouvent finalement en prison, condamnés pour des années. Sauf Helleug qui se suicide avec un certain panache, juste avant son arrestation. Quant au fantôme de Lerrob, il s’envole
lentement et disparaît derrière l’horizon, comme s’il était enfin libéré. Jamais fantôme n’avait suscité
une telle panique, dans l’histoire des hommes.

Toutes nos félicitations à l’équipe technique
au grand complet. Elle a vraiment été à la hauteur pour assurer la réussite
de ce grand film, de cette fiction inédite et du scénario invraissemblable qui nous a été proposé par Nassah Dias.

(*) Nassah Dias, pour
ceux qui ne le connaîtraient pas encore, est ce grand réalisateur très engagé,
qui a déjà plusieurs succès cinématographiques
à son actif. Spécialisé dans les affaires « clandestines »,
il s’est engagé très jeune dans la Brigade des Réalisateurs
de l’Ombre. Recruté ensuite par la Société des Dessous
de la Scène (SDS), société familiale puissante, comme assistant opérateur, il gravit progressivement les
échelons pour en devenir le PDG. Longtemps incontesté, en raison
de la qualité de ses mises en scène et de son expérience,
il semble qu’il ait connu dernièrement des divergences graves avec les deux associés familiaux et
majoritaires de la société d’exécution cinématographique.

Mais, comme toujours,
grand manipulateur du Jury, il est assuré de recevoir la GMRC (Grande Médaille de la Reconnaissance Cinéphile)
au festival d’Ituobijd, le 27 juin. On sait qu’il aura au moins 99 % de votes favorables
: le seul suspens est de connaître la décimale après la
virgule (99,1 ou 99,8 ?).

De toutes les façons,
s’il a de nombreux détracteurs, peu oseront le dire ouvertement, parce
que sa technique est imparable, en particulier dans le domaine des flous artistiques, des clairs obscurs et des explosions de lumière. Sa technique d’éxécution a longtemps été considérée comme la plus brillante, la plus efficace et la plus discrète, par ses pairs.

On dit même qu’à ses débuts, lorsqu’il n’avait encore
qu’un appareil photo à balançoire de l' »Alliv Ephotsirhc », il menaçait déjà
ses contradicteurs de les enfermer dans sa chambre noire de marque « Edobag » : celle où
il fabriquait des (é)preuves sur papier et qu’il les faisait signer pour les vendre ensuite à ses patrons.