04/12/2013 (Brève 320) Le Mensuel de Rennes – Un Rennais porte plainte contre le président de Djibouti pour crimes contre l’humanité (Interview)
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Auteur : T.R.
Houssein Ibrahim Houmed vient de déposer une plainte auprès de la cour pénale internationale à lencontre du président de la République de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh.
Le Rennais, professeur de philosophie dorigine djiboutienne, laccuse de crimes contre lhumanité.
Le Mensuel : Vous accusez les autorités djiboutiennes de massacres qui auraient débuté au lendemain de lindépendance du pays, en juin 1977. Pourquoi porter plainte maintenant ?
Houssein Ibrahim Houmed : Parce que le président Ismaël Omar Guelleh continue de sen prendre aux femmes et aux enfants du pays. Le génocide ne sarrête pas, même si personne nen parle.
On retrouve régulièrement des charniers, comme celui de Day, qui avait fait parler en 2007. Le climat est délétère. Le régime est liberticide. Il a transformé Djibouti en prison à ciel ouvert. Plus de 6 000 opposants sont actuellement incarcérés.
Parmi eux, il y avait lun de mes anciens collègues enseignants à Djibouti. Il a été torturé et est mort dans des conditions atroces. Le même jour, larmée ouvrait le feu sur des collégiens.
Pour moi, ça a été lélément déclencheur. A Djibouti comme dans la diaspora, tout le monde a peur. Il faut rompre ce cercle et faire savoir au monde entier que là-bas, on tue.
Depuis le dépôt de ma plainte, jai reçu beaucoup de messages dencouragements et de soutien. Jai aussi reçu des menaces de mort.
C’est-à-dire ?
Je reçois des coups de téléphone dintimidation, des messages sur Twitter appelant à ma mort.
Jai également été agressé physiquement chez moi il y a moins dune semaine. Ma femme et ma fille sont encore sous le choc et veulent que je retire ma plainte.
Jai aussi eu un mystérieux coup de téléphone : mon interlocuteur me proposait 50 000 contre mon silence.
Mais cest trop tard, maintenant.
Je prends ce combat comme une mission. Cest très ambitieux de ma part, mais je souhaite faire pour les victimes djiboutiennes ce que Serge Klarsfeld a fait pour les victimes de la Shoah. Nous avons un devoir de mémoire envers elles.
Votre plainte est assortie de documents précis, de listes de personnes décédées. Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce dossier ?
Depuis 2007. Cest un travail de fou, car les listes sont encore incomplètes. Jai reçu hier un mail des Etats-Unis dun monsieur qui me communique 600 autres noms de personnes assassinées par le régime. Jaurais voulu porter plainte plus tôt, mais je voulais massurer que toutes mes informations étaient sourcées et vérifiées.
Les enjeux sont trop importants.
Il me fallait aussi être sortir de la précarité administrative : on ne sort pas un dossier aussi brûlant lorsquon a quun titre de séjour à faire renouveler chaque année.
Maintenant que jai la nationalité française, je me sais protégé et sûr de mes droits.
Vous affirmez que ce sont principalement des personnes de lethnie afar qui sont victimes des massacres. Pourquoi sont-elles les cibles privilégiées ?
On trouve deux ethnies principales à Djibouti : les Afars et les Issas. Ismaël Omar Guelleh assoit son pouvoir en exacerbant danciennes tensions claniques (les Afars occupent une grande partie du territoire, mais cest un parti issa qui contrôle le pouvoir depuis lindépendance, marginalisant toute opposition afare. Une frustration qui a dégénéré en guerre civile en 1991, entre Issas et Afars, NDLR).
Son gouvernement, sclérosé par des axiomes fascistes, accuse les Afars de tous les maux. Il les a exclus de toute la sphère économique et politique. Larmée djiboutienne mène des raids répressifs jusquen Ethiopie où les Afars sont également présents.
Lironie du sort, cest quaujourdhui Ismaël Omar Guelleh tue indifféremment des Afars et des Issas : il sen prend à toute personne sopposant à son pouvoir.
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a tiré récemment la sonnette dalarme sur le “génocide” en cours en Centrafrique. Comment peut-on expliquer le silence de la France sur des massacres à Djibouti, alors quelle y dispose de sa plus importante base militaire à létranger ?
En 1995, lassassinat à Djibouti du juge français Bernard Borel avait fait beaucoup parler. Sa veuve, depuis, se bat pour faire connaître les abus du pouvoir djiboutien. Mais les enjeux sont gros pour la France.