25/01/2016 (Brève 651) Le Monde Afrique : Djibouti, capitale de la Chinafrique (Par Sébastien Le Belzic)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/01/25/djibouti-tete-de-pont-de-la-chinafrique_4853066_3212.html#AL56bm4U0Dmi62JW.99

C’est une ancienne zone franche, près du port de Djibouti. Une enclave de sable battue par les vents de la mer Rouge. C’est ici que se dressera d’ici la fin de l’année 2017 la première base militaire chinoise permanente sur le continent. Les travaux viennent tout juste de débuter. De sources non officielles, on avance le chiffre considérable de 10 000 militaires chinois qui seront déployés à Djibouti, contre 4 000 pour les Américains. Ces derniers ont été sommés par le gouvernement djiboutien d’abandonner leur base secondaire d’Obock pour se concentrer sur celle de Camp Lemonnier, et faire de la place aux Chinois.

Le président Ismaïl Omar Guelleh semble prêt à toutes les concessions pour plaire à son homologue chinois. Les deux hommes se sont encore rencontrés le mois dernier en marge du sommet Chine-Afrique à Johannesburg et, depuis, c’est une ronde permanente de diplomates et de militaires entre Pékin et Djibouti.

Une alliance stratégique majeure

La semaine dernière, le bureau de la présidence annonçait la signature avec Pékin d’un accord de libre-échange permettant à la Chine d’utiliser ces installations portuaires à Djibouti à des fins de base de transit. Confirmation dès le lendemain à Pékin lors du point presse hebdomadaire du ministère des affaires étrangères : « La Chine envoie des escortes navales dans le golfe d’Aden, et dans les eaux somaliennes. La question de leur ravitaillement en nourriture et en carburant s’est posée. Nous sommes parvenus à un consensus avec le gouvernement de Djibouti pour disposer d’un soutien logistique pour nos escorteurs ».

Lire aussi : Djibouti : de violents affrontements avec la police font au moins 7 morts et 23 blessés
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/22/djibouti-de-violents-affrontements-avec-la-police-font-7-morts-et-23-blesses_4836723_3212.html

Le débarquement annoncé de ces hommes de l’armée populaire de libération n’est pas la seule raison de cette danse du ventre. Pékin et Djibouti sont en train de sceller une alliance stratégique majeure qui fera de ce petit Etat niché au creux de la corne de l’Afrique, l’étape obligée de la Chine dans sa fameuse nouvelle « route de la soie » reliant la Chine à l’Afrique en passant par le Golfe arabique. Un projet estimé à 48 milliards de dollars (44 milliards d’euros) par la presse officielle chinoise.

Des chantiers militaires et économiques

Plusieurs chantiers ont ainsi été lancés simultanément. Le premier est militaire et conduira la Chine à assurer désormais seule la protection de ses navires si nombreux à croiser au large des côtes somaliennes. La marine chinoise a effectué une vingtaine de missions anti-piraterie dans le golfe d’Aden depuis 2008. Les rotations vont pouvoir s’accélérer. Le second est économique. Djibouti et la Chine ont signé trois importants accords économiques et commerciaux. Le premier porte sur la construction d’une zone franche de 48 km2, dont une première tranche d’un kilomètre et demi sera opérationnelle d’ici la fin de l’année. Il s’agit d’en faire une plate-forme de transbordement pour le commerce Chine-Afrique. C’est la société China Merchants Holding qui est au cœur de ce projet estimé à 7 milliards de dollars. Il s’agit de construire la plus grande zone franche industrielle de Djibouti, un chantier naval, une autoroute, et agrandir le port de Doraleh. 200 000 emplois directs et indirects devraient être créés.

Lire aussi : L’Afrique risque de payer cher sa dépendance à la Chine
(http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/02/l-afrique-risque-de-payer-cher-sa-dependance-a-la-chine_4822044_3212.html)

Ces chantiers sont en très grande partie financés par la China Exim Bank et les entreprises chinoises qui réaliseront les travaux. Une fois mises en place, ces infrastructures constitueront la charnière de l’union économique et politique qui se tisse entre Djibouti et l’Ethiopie, deux pays au cœur de la stratégie africaine de Xi Jinping. China Merchants Holdings International avait déjà fait son entrée, fin 2012, au capital du port de Djibouti en acquérant 23,5 % des parts pour 185 millions de dollars

Un autre accord porte sur la mise en place d’un cadre légal permettant, selon le communiqué officiel, « l’afflux rapide de banques chinoises à Djibouti » et prévoyant la création d’une chambre de compensation qui permettra de « ne pas perdre de devises dans les échanges avec la Chine », explique la présidence djiboutienne. Cette chambre permettra aux opérateurs économiques djiboutiens de réaliser des échanges commerciaux sans passer par le dollar américain, confirmant ainsi la montée en puissance du yuan chinois sur le continent.

Devenir un carrefour incontournable

La France, les Etats-Unis et le Japon disposent déjà de bases militaires à Djibouti. La France débourse chaque année la somme de 30 millions d’euros pour assurer la présence d’une garnison de 2 700 hommes dans la cité-Etat. Les Etats-Unis et le Japon payent chacun un loyer annuel de 30 millions de dollars pour leurs bases respectives. La Chine, quant à elle, ne paye rien ! Simplement, elle permet à Djibouti de financer et construire un maillage de ports, de routes, de voie de chemin de fer et d’aéroports qui relieront la cité-Etat au reste du continent.

Le président Ismaïl Omar Guelleh veut en effet transformer son pays en un petit Singapour de la Corne de l’Afrique et devenir un carrefour incontournable pour le transit des minerais et des marchandises avec l’Ethiopie, dont il est devenu la porte d’entrée. Pour cela, il a besoin de la Chine.

Pour les Emirats arabes et surtout les Etats-Unis, l’arrivée des Chinois dans le jeu régional complique la donne et entraîne une vaste recomposition des alliances diplomatiques autour de la mer Rouge. Les Etats du Golfe qui prévoyaient d’installer une base militaire à Djibouti se rapprochent désormais de l’Erythrée, son grand rival. Les Occidentaux redoutent de voir Djibouti tomber dans l’orbite de Pékin et perdre ainsi un pays clef au cœur des grandes routes maritimes internationales.