07/04/2016 (Brève 723) Horn of Africa / Entretien avec Mohamed Kadamy, Président du FRUD

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Entretien avec Mohamed Kadamy
Président du Front pour la Restauration
De l’Unité et de la Démocratie (FRUD)
A l’occasion de l’e lection pre sidentielle djiboutienne qui aura lieu vendredi prochain, nous avons re alise un entretien avec le pre sident du FRUD Monsieur Mohamed Kadamy.

Lors de cet entretien il a notamment de clare :

  • Si la politique est l’art de possible, l’élection à Djibouti est du domaine de l’impossible.
  • Le pouvoir de Guelleh (Président Ismaël Omar) n’a jamais gagné une seule élection.
  • Ismaël Omar Guelleh est l’instigateur de la politique clanique.
  • Il faut tourner la page de ce dictateur.
  • Le taux de chômage global à Djibouti atteint 70% alors que celui des jeunes (18-25 ans) dépasse 80% de la population active.
  • le Président et son entourage mènent une vie scandaleusement incandescente.
  • Le FRUD envisage en concertation avec les autres forces politiques de lancer un appel pour une réunion de l’opposition, de tous les acteurs de changement à Paris avant l’automne.

1 -Voudriez-vous nous décrire brièvement la situation politico-socio-économique qui prévaut actuellement à Djibouti?
On annonce partout que l’économie de Djibouti est en pleine croissance et pourtant la population n’a jamais été aussi pauvre, le taux de chômage global atteint 70% alors que celui des jeunes (18-25 ans) dépasse 80% de la population active. Les importantes entrées dues aux locations des bases militaires ont
enrichi d’une manière fulgurante le Président et son entourage qui mènent une vie scandaleusement incandescente contrastant avec l’extrême pauvreté de 85% de la population. Situation sociale catastrophique : même dans les quartiers de la capitale, de milliers de familles se contentent d’un repas par jour sans parler des populations rurales des districts et des zones rurales qui sont durement touchées, par la sécheresse, et les restrictions des aides alimentaires décidées par le régime, comme pour les punir de leur proximité avec le FRUD. On a même interdit au PAM de distribuer les vivres dans ces régions. Plusieurs donateurs notamment arabes ont arrêté leurs aides humanitaires suite à cette politique.

Rien d’étonnant que les révoltes et manifestations se déroulent dans ces quartiers pauvres (Balbala, Arhiba) et dans les régions victimes de la violence de l’Etat. Les pêcheurs d’Obock de leur côté sont vent debout contre la pêche industrielle, très mécontents des razzias des bateaux chinois entre Doumeira et Rasbir à côté de la ville d’Obock. Alors que les pêcheurs d’Obock sont rackettés par les éléments de la garde côtière (marine djiboutienne), les bateaux chinois ont toute latitude pour razzier les poissons. Que va rester des poissons sur la mer d’Obock lorsque 10 000 soldats chinois vont s’installer à Obock suivant l’accord conclu entre Djibouti et la Chine. Ils dénoncent aussi un commerçant d’origine somalienne Hassan Megag qui loue de gros bateaux de pêche et qui écument la côte d’Obock, sous-traitant pour le chef d’Etat-major de l’armée Général Zakharia. C’est ce genre de situation qui a conduit à l’émergence et à la multiplication des pirates sur les côtes somaliennes.

2- Quelle est la position du FRUD concernant l’élection qui aura lieu à Djibouti le 8 avril?
Si la politique est l’art de possible, l’élection à Djibouti est du domaine de l’impossible. Le pouvoir de Guelleh n’a jamais gagné une seule élection: chaque fois que l’opposition a participé elle a battu la mouvance présidentielle (en 1999, Moussa Ahmed Idriss a gagné contre Guelleh ; en 2003 l’UAD (Union pour l’Alternance Démocratique) et en 2013 l’USN ont gagné les législatives). Même les groupes alliés qui se sont présentés contre le parti au pouvoir RPP (Rassemblement Populaire pour le Progrès) ont battu ce dernier lors des régionales en 2005 et des municipales en 2008. C’est la raison pour laquelle, Guelleh refuse une CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), car il sait très bien qu’avec un scrutin transparent il n’a aucune chance de gagner.

Le scrutin présidentiel en lui-même tel qu’il se présente le 8 avril 2016 est un épiphénomène, dans la mesure où il n’aura aucune incidence sur la structure du pouvoir et la vie politique du pays. Le FRUD s’en tient à sa position de principe, de ne pas participer et de se tenir à l’écart et en dehors des processus électoraux, parce que le régime reste le même en dépit du multipartisme administratif, c’est
à dire de façade. Les partis d’opposition dont la majorité n’a pas d’existence légale, ont des marges de manoeuvre très réduites. Le 21 décembre 2015, la direction de l’USN a été attaquée par des policiers, blessant son président et plusieurs autres dirigeants, emprisonnant son secrétaire général Abdourahman Mohamed Guelleh dit TX après l’avoir été torturé.

Le FRUD a toujours basé sa stratégie sur 2 axes :

  • les luttes politiques que nous soutenons par tous nos moyens, c’est pourquoi, nous avons contribué à la création de l’USN (Union pour le Salut National) et avons salué leur victoire aux législatives en 2013 et nous déplorons leur division actuelle. Nous avons donné la chance à la mobilisation pacifique, depuis février 2013, le massacre de Yonis Moussa a montré que le chef de l ‘Etat est prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir ;
  • nous pensons qu’il est temps de renforcer l’autre môle de résistance aujourd’hui, politico-militaire, c‘est à dire le FRUD

3 – Le Président Ismaël Omar Guelleh vient de déclarer qu’il sollicite le quatrième mandat  » contraint par les Djiboutiens « . Que pensez-vous de ses propos?
Il y a quelque temps, ce genre de propos faisait rire la galerie, ou les chancelleries occidentales, mais cela ne fait plus sourire. Qui peut mieux que la population djiboutienne qui à 80 % vit dans la misère (la famine a fait les 1ères victimes en février dernier aux environs de Randa un couple et son enfant) et sans aucune couverture sanitaire, peut évaluer le ridicule de cette affirmation.

Déjà en 2011, pour changer la constitution afin de briguer un 3eme mandat, il avait avancé le même argument après avoir maté dans le sang le mouvement de protestation contre ce changement en février. Devant l’ampleur de la gronde, il a reculé sur le changement par voie référendaire et la constitution a été modifiée en catimini par une assemblée aux ordres, lui ouvrant la présidence à vie. Il ne va pas bouder son plaisir, et sollicite un 4ème mandat, malgré sa dernière sortie « en 2016, je m’en irai, cette fois-ci je peux vous le jurer. »

L’opposition unifiée organise un meeting de rejet du quatrième mandat sans investir un sous. IOG (Président Ismaël Omar Guelleh) panique devant l’ampleur de la démonstration, instaure l’état d’urgence suite aux attentats de Paris (pourtant l’attentat de mai 2014 à Djibouti n’avait pas entrainé l’instauration de l’état d’urgence). Depuis, c’est la répression avec son lot de massacre (celui de Balbala) d’arrestation, de tortures.

4- Dans une interview accordée à un hebdomadaire parisien le Président Guelleh a dit que les Yonis Moussa (un sous clan des Issa) « 
…sont de gens dont la nationalité djiboutienne a été acquise récemment et qui n’ont donc pas la même sensibilité nationale que les autres. » Comment analysez-vous ce genre de déclaration émanant d’un chef d’Etat?

Cette déclaration aussi sotte que grenue, révèle la personnalité, du chef de l’Etat qui préside aux destinées de ce petit pays depuis 1999 et responsable de la sécurité depuis 1977. Ce propos ne mériterait même pas qu’on s’y attarde tant il comporte d’affirmation scandaleuse et indigne d’un chef d’Etat, oubliant la responsabilité qui sied à son rang. Comment un homme qui a quand même 40 ans d’expérience au sommet de l’Etat (il a rencontré les grands de ce monde) peut-il affirmer sans sourciller, sous le regard complice du « journaliste » de Jeune Afrique que les Yonis Moussa (sans exception), seraient des citoyens de seconde zone et d’un patriotisme douteux parce qu’ils ont acquis la nationalité djiboutienne récemment.

C’est aussi faire injure à la citoyenneté djiboutienne, qui est malmenée, outragée dans la mesure où elle est octroyée ou retirée d’une manière arbitraire, par le fait de prince. Nous étions les premiers à dénoncer le déni de nationalité dès 1981 où la moitié des électeurs des districts de Tadjourah et d’Obock ont été purement et simplement radiés des listes électorales et le refus systématique d’inscrire les nouveaux nés dans ces districts. Question de citoyenneté pour marginaliser les Afar ! Alors on s’attaque aux autres communautés de la même manière arbitraire. N’a-t-on pas expulsé 7 citoyens, membres de la famille de Mohamed Aloumekhani, témoin crucial dans l’affaire Borel (juge français assassiné à Djibouti en 1995) vers le Yémen. Il faut rappeler aussi que 300 familles de Syarou (Nord-est de Tadjourah) ont été expulsées manu militari en 2008 vers Ethiopie, soupçonnées de sympathie pour le FRUD. Plus récemment, le professeur Mohamed Daher Robleh, proche de l’USN, a été déchu de nationalité par décret présidentiel en 2013 et expulsé vers le Somaliland.

C’est cette même logique qui fait dire au chef de l’Etat que les combattants du FRUD sont des mercenaires étrangers, y compris le plus célèbre et le plus ancien prisonnier politique -Mohamed Ahmed dit Jabha-(détenu arbitrairement depuis 6 ans après avoir été férocement torturé). Cette déclaration montre aussi qu’Ismail Omar Guelleh a perdu le soutien de «sa base sociale », c’est-à-dire la quasi majorité des Issas, malgré ses promesses, menaces et massacre (plus de 40 Yonis Moussa ont été tuées par les forces de l’ordre et des dizaines de blessés, laissés sans soins), il n’a pas réussi à mettre fin à la colère de Yonis Moussa et des autres Issas. Les autres communautés ne l’ont jamais porté dans leur coeur. Il a été l’instigateur de la politique clanique, divisant les communautés, dressant les clans les uns contre les autres. Il a d’abord massivement octroyé la nationalité djiboutienne aux Issas, alors qu’il refusait les pièces d’identité aux Afar.

5 –Si nul ne doute que le résultat de l’élection à Djibouti est joué d’avance, cependant nul ne peut prévoir la réaction des Djiboutiens pendant le jour de l’élection ainsi qu’après l’annonce du résultat. Quel est votre avis à ce sujet ?
Ce pouvoir quasi dynastique, n’organise pas l’élection, pour accepter l’alternance, mais pour s’incruster au pouvoir, à l’instar des régimes Tchad ou de Congo Brazza. Le pays risque de vivre des troubles et des révoltes populaires.
Car rien ne semble arrêter la folle ambition d’Ismael Omar Guelleh qui ne connaît que la violence et la brutalité, chevillées au corps. Il a décidé de mener une guerre totale où les civils paient déjà un lourd tribut.

Dans la capitale, il a utilisé les chars contre les civils Yonis Moussa .Des opérations militaires sont en cours, dans les régions de Mablas, Goda, Obock, Dalha, Margoïta où plusieurs accrochages ont eu lieu entre l’armée et le FRUD ( Alailou, Andoli, Margoïta, Souali,Dalha et Galela ) depuis le 10 mars. Cet ancien responsable de la sécurité (Ismaël Omar Guelleh), met en oeuvre ce qu’il sait faire de mieux une campagne de terreur à l’endroit des civils innocents – ratissages, arrestations arbitraires, disparition, tortures ( 2 bergers sont morts sous la torture : Houmad Ismail et Abdo ahmed Momin), viols des femmes à Margoïta et à Syarou récemment . Nous saluons à cet égard les 10 femmes djiboutiennes courageuses qui ont entamé la grève de la faim en France (Arcueil : région parisienne) depuis le 25 mars pour dénoncer les viols des Femmes Afars par l’armée et l’impunité des violeurs. Nous avons toujours dit qu’il fallait mobiliser toutes les ressources politiques et de la résistance pour, désormais, tourner la page de ce dictateur et de son entourage. Cette question est d’une actualité brûlante.

Il faut cependant raison garder, au-delà des divergences politiques sur l’attitude vis à vis du scrutin présidentiel, que l’on puisse rassembler tous les acteurs qui aspirent au changement et qui veulent tourner la page de Guelleh autour d’une plateforme de transition. Le FRUD envisage en concertation avec les autres forces politiques de lancer un appel pour une réunion de l’opposition, de tous les acteurs de changement à Paris avant l’automne.