17/07/2016 (Brève 818) EKONOMICO / Djibouti : à qui profite la croissance économique

Lien avec l’article :

Tandis que le président de la République vantait, fin juin dernier, les bons résultats économiques de son pays, la pauvreté et le chômage restent très élevés et font apparaitre les limites de la politique d’Ismaïl Omar Guelleh, basée sur l’importation massive de capitaux étrangers, issus de Chine notamment.

A en croire les statistiques, l’économie djiboutienne se porterait à merveille. Selon la dernière édition du rapport « Perspectives économiques en Afrique », la croissance du pays devrait s’établir à 7,4 % en 2016, contre 6,7 % en 2015 et 6 % en 2014. Mais les chiffres de la croissance cachent une réalité moins heureuse. Publié par le Centre de développement de l’OCDE, la Banque africaine de développement (BAD) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le rapport souligne que l’embellie économique de Djibouti « n’empêche pas la pauvreté et le chômage d’être très répandus » dans le pays.

– « Performance sous-optimale »
A qui profitent donc ces bons résultats si ce n’est pas à l’ensemble de la population ? En effet, d’après les chiffres du rapport, « le chômage affecte plus de 48 % des actifs, tandis que la pauvreté extrême, qui n’a pas régressé depuis 2002, touche environ 23 % d’une population de moins de 1 million d’habitants ». Si « théoriquement » Djibouti devrait se rapprocher d’une croissance de plein emploi, en pratique l’élasticité emploi/croissance est « extrêmement faible ». La faible qualité des infrastructures, le coût élevé des services et la faiblesse des capacités institutionnelles sont les principaux freins au développement de ce petit pays qui dispose pourtant d’atouts considérables.

La politique macroéconomique n’a pas su empêcher le déficit budgétaire de s’aggraver ces dernières années, et ce malgré l’augmentation des revenus de l’Etat, qui sont passés de 34,5 % à 37 % du PIB entre 2012 et 2015 et devraient se maintenir à 36,4 % en 2016. De son côté, « le recouvrement des recettes, par ailleurs pénalisées par un régime généreux d’exonérations, reste difficile », affirme le rapport. Celui-ci pointe également le déficit des balances commerciale et courante, qui s’est creusé depuis 2011 en raison des importations de biens d’équipements. « Le pays importe beaucoup, aussi bien des produits alimentaires et pétroliers que des biens d’équipement. Les activités commerciales restent très concentrées sur l’Ethiopie et peu intégrées au reste du continent », analysent l’OCDE, la BAD et le PNUD.

« Embryonnaire » et « peu structuré », le secteur privé est incapable de jouer un rôle important dans le développement du pays, tandis que le secteur financier « demeure fragile malgré sa stabilité apparente ». Le crédit est concentré sur un nombre restreint d’entreprises et de personnes et les PME, les PMI et la population en général ont le plus grand mal à accéder aux services financiers. L’administration, quant à elle, « est caractérisée par une faiblesse des capacités et une lourdeur bureaucratique qui constituent un réel obstacle face aux exigences de performance ». Le secteur public « souffre de faibles capacités, participant à la performance sous-optimale des indicateurs sociaux et constituant un frein à la croissance inclusive et à la réduction de la pauvreté ».


Partenariat sino-djiboutien critiquable
Le pays dispose pourtant d’un atout majeur. Idéalement situé à la jonction du golfe d’Aden et la mer Rouge, où transitent 40 % du trafic maritime mondial, il occupe une position stratégique pour le contrôle du commerce maritime et pour accéder aux marchés africains. Ismaïl Omar Guelleh, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1999, est décidé à transformer Djibouti en un petit Singapour de la Corne de l’Afrique, un carrefour incontournable pour le transit des minerais et des marchandises avec l’Ethiopie.

Pour ce faire, « IOG » a déjà choisi son partenaire. La Chine installera à Djibouti sa première base militaire à l’étranger, ce qui lui permettra de protéger ses travailleurs expatriés (de plus en plus nombreux) tout en faisant un pas supplémentaire dans son ambition de devenir une puissance maritime internationale. Mais la stratégie chinoise ne s’arrête pas là. Pékin construit à Djibouti le port international de Doraleh et son terminal pétrolier, un oléoduc, des voies de chemin de fer et des routes vers l’Ethiopie. Petit à petit, le géant asiatique déloge les alliés traditionnels de Djibouti et devient un partenaire incontournable pour le pays.

Or, selon le rapport de l’OCDE, la BAD et le PNUD, les activités à haute intensité capitalistique, concentrées dans les infrastructures portuaires, routières et hôtelières, sont peu créatrices d’emploi. Une stratégie de développement portée exclusivement par ces activités, au détriment d’autres secteurs tels que l’agriculture et l’industrie, pourrait s’avérer néfaste à long terme. Surtout si elle se fonde sur les relations avec un partenaire, la Chine, dont la présence sur le continent africain est critiquée par les populations et diverses ONG.

La Chine est également connue pour s’ingérer peu dans les affaires internes de ses partenaires économiques. Et c’est inquiétant. Réélu en avril dernier avec 86,7 % des voix, Ismail Omar Guelleh dispose de tous les leviers du pouvoir et réprime férocement toute tentative d’opposition démocratique. Pendant qu’il fait tout pour se rendre indispensable auprès des grandes puissances militaires, il laisse la population de son pays vivre dans la pauvreté et cherche des alliés tolérants prêts à investir sans poser des questions embarrassantes. On peut – doit – donc poser à nouveau la question : à qui profite la croissance économique djiboutienne ?