27/07/2017 (Brève 1042) Djibouti, 40 années dindépendance sans liberté (Par Mohamed Kadamy dans MondAfrique)
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Mohamed Kadamy, un des leaders de l’opposition en exil, dresse le bilan de quarante années d’indépendance à Djibouti
Nouvel eldorado pour les grandes et moyennes puissances, Djibouti, indépendante depuis 1977, territoire de 23 000 km2, composés de 800 000 Afars et Somalis (dune égale importance) et dune minorité Arabe.Ce nétait ni une colonie de peuplement, ni un territoire à développer, ce fut un comptoir sur le chemin de lOcéan Indien et de lIndochine.
La colonisation a maintenu chaque communauté dans son habitat et ses traditions, ce qui a facilité lexploitation du fait ethnique par la puissance coloniale et parle régime issu de lindépendance qui a perpétué cette politique de division.
Djibouti, est avec lErythrée, au nord, et le Yémen, en face, un point de passage obligé entre la mer Morte et le Golfe dAden. Elle est devenue depuis la guerre au Yémen un enjeu régional. Au carrefour de lArabie et de lAfrique, sur les rives de la Mer Rouge, Djibouti a une position de verrou de cette ligne maritime si importante pour la vie économique internationale. Ce qui explique quelle accueille plusieurs milliers de soldats occidentaux (français, américains et japonais); et une base chinoise en construction. Les Saoudiens souhaitent prendre pied près de Babel Mandab. Les Chinois ont commencé à sinstaller y compris avec des chalutiers pour razzier les poissons, inquiétant les Américains et les Indiens et suscitant la colère des pêcheurs djiboutiens qui à linstar de leurs collègues somaliens risquent de verser dans la piraterie maritime.
++ De léchec de la constitution
Deux conceptions se sont heurtés dès laccession à lIndépendance en 1977: la conception défendue par le premier ministre Ahmed Dini, consistait à jeter les bases dune citoyenneté djiboutienne; qui avait aussi les faveurs du MPL; la 2ème conception de Gouled -président de la République- privilégiait la citoyenneté clanique, déconstruire lÉtat en transférant ses prérogatives aux clans. Finalement cest la dernière conception qui a triomphé et qui est à lorigine de la situation dramatique actuelle, dune « indépendance sans liberté », du refus de lédification dun État national. Le nouvel État institue après son accession à lindépendance un système de parti unique, qui va se transformer en parti clanique avec une répression violente de lopposition. Harcèlements, arrestations et tortures des militants hostiles au régime, une répression plus générale va cibler les Afar, entraînant la démission dAhmed Dini.
Les confiscations des libertés vont de pair avec le refus de créer un État national. En 40 ans dIndépendance, la phase primaire de la Constitution dun État national reste inaboutie à Djibouti. Les dirigeants ont choisi de privilégier les clans au détriment de lEtat. . Cela a empêché de créer une armée, une police et une sécurité nationales sans lesquelles le monopole de la violence exercée par le pouvoir reste illégitime.. Cette politique a marginalisé des communautés entières, des régions importantes. Le corollaire du refus dédification dun État national est linvention de la figure dennemi intérieur, conçue au travers de la guerre coloniale, se reproduira dans le contexte de lÉtat postcolonial. A Djibouti, lennemi intérieur était dabord représenté par les Afar : arrestations massives, tortures, exécutions extrajudiciaires, expulsions, massacres, tout est permis pour mettre hors détat de nuire ce groupe considéré comme une menace. le refus dinvestissement dans leur territoire qui sétend sur les 2/3 du pays. Cette notion sest étendue à dautres groupes : au clan Gadaboursi, aux sous clans Issas comme les Odah Gub, etc.,
++ Refus de lalternance
Après plusieurs tentatives sans succès pour réformer ce pouvoir congénitalement violent, une insurrection armée dirigée par le Front pour la Restauration de lUnité et la Démocratie est arrivée à la porte de la capitale. Le régime de Djibouti a été sauvé in extremis en février 1992 par linterposition des troupes françaises stationnées à Djibouti
La population djiboutienne a tenté à maintes occasions de tourner la page de ce régime Lélection présidentielle de 1999 a permis au peuple de Djibouti de rejeter massivement, Ismail Omar Guelleh en votant pour Moussa Ahmed, figure indépendantiste.
En 2003, et en 2013, les partisans du Président furent battus aux élections législatives par lopposition. Pour ne pas se plier aux verdicts des urnes, le régime a inversé les résultats en sa faveur par la magie des fraudes. Ce qui a permis à Guelleh de briguer un 4èmemandat en 2016 et de souvrir ainsi la voie à une présidence à vie. Mais, la guerre de succession fait rage au sein de son entourage, sentant lusure du pouvoir et une atmosphère de fin de règne. Guelleh tente contre vents et marée dimposer son fils Aïnaché pour lui succéder.
++ Misère, répression et résistance
Lopposition politique qui lutte dans des conditions très difficiles parce quelle est lobjet du tout répressif du chef de lEtat qui a fait ses premières armes dans la répression en tant que chef de la sécurité, a été affaiblie. Le multipartisme ne garantie aucune existence légale aux partis politiques de lopposition dont les dirigeants sont souvent réprimés. Les principaux partis de lopposition nont pas de statut légal. Cette répression a favorisé la dislocation de lopposition politique. Dès lors la cible du pouvoir reste le FRUD, principale force de lopposition, à échapper au rouleau compresseur du régime qui a beaucoup de mal à le déloger de ses bastions. On assiste à une véritable politique de la terre brûlée dans les provinces dites rebelles (Nord et sud ouest). Guelleh voudrait faire de leur territoire, des terres vacantes et sans maître quil peut vendre comme il vient de le faire pour les îles Musha ou tenter de les spolier comme à Assal ou à Bakéré. Larmée se comporte à légard des habitants de ces régions comme en territoire ennemi. La situation sest aggravée ces dernières années:massacre des innocents le 21 Décembre 2015 à Buldhuqo (faubourg de la capitale) Les pratiques des tortures érigées en système se banalisent.
Arrestations arbitraires des civils soupçonnés de soutien ou davoir de proches au sein du FRUD, le cas le plus emblématique est celui de Mohamed Ahmed Jabha (détenu depuis 7 ans malgré sa grave maladie), qui vient dêtre condamné à 15 de prison. Les viols des femmes Afar par des soldats se poursuivent en toute impunité dans le triangle Margoïta, Syarou, Garabtissan, où les populations des éleveurs sont maintenues de force autour des camps militaires. Le parlement européen a condamné pour la première fois en mai 2016 les violations des droits humains et notamment les violences et les viols envers les femmes Afar à Djibouti et a invité les NU à mener une enquête internationale
Depuis le début du mois de mai 2017, 250 personnes ont été arrêtées au Nord et détenues au centre de rétention de Nagad, dans la capitale. Ouma Mohamed, épouse dun membre du FRUD, na pas été épargnée, 2 personnes sont mortes après avoir été torturées (Mohamed Hamadou et Abdo Ismail).
Les organisations internationales (BAD, FMI) dénoncent la corruption à ciel ouvert des dirigeants de ce pays, obstacle à un développement sain et équitable Plus grave, le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme accuse le régime davoir détourné 8,6 millions$ sur les dons alloués à Djibouti..
Face au refus de lalternance par les urnes, rien ne soppose à la construction dun rapport des forces multiformes, pour sauver ce pays dune dérive à la somalienne. Encore faut-il, échapper aux narcissismes de petites différences et à la posture du génie solitaire qui ruine les efforts des forces pour un changement réel.
Les luttes du FRUD, (Front pour la Restauration de lUnité et la Démocratie), crée en 1991, qui est un continuum historique des mouvements démocratiques (MPL, FDLD, UMD, etc), redonne du souffle à la culture des résistances, tout en réhabilitant laction collective. Cest en résistant quon construit lavenir a dit le célèbre avocat égyptien anti Sissi, Me Khaled Ali. Le FRUD ne se lassera jamais dappeler à lunion de toutes les forces de lopposition en vue de préparer lalternance et éviter la transmission du pouvoir au fils du Président