04/03/2019 (Brève 1313) En marge de la visite de Macron à Djibouti: un réfugié extradé ? (Blog Mediapart par Arthur Porto)

Lien avec l’article : https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/040319/en-marge-de-la-visite-de-macron-djibouti-un-refugie-extrade

L’opposant au régime de Djibouti, Mohamed Kadamy, réfugié en France depuis plus de vingt ans, court le risque d’une extradition suivant sa mise en examen en France, à la demande des autorités judiciaires Djiboutiennes. Une sorte de “donnant-donnant” avec une surprenante intervention du juge Tournaire avant la visite de Macron à Djibouti.

Le 13 février 2019, le Juge Serge Tournaire, exerçant pour le compte d’une commission rogatoire de la Justice de Djibouti, convoque Mohamed Kadamy en vue d’une possible mise en examen. Huit jours plus tard il est mis en examen. Les chefs d’accusation sont explicites «des actes de complicité par instigation de crimes d’atteinte à l’intégrité des personnes, de séquestration, de détournement de moyens de transport, d’extorsion et de destruction par l’effet d’un incendie de biens publics et privés, entreprise dont le but était de troubler gravement l’ordre public par la terreur». Il y est question des faits survenus le 20 septembre 2015. Ce jour là, trois voitures d’une société égyptienne ont été incendiées par des militants du FRUD (Front pour la Restauration de l’Unité et de la Démocratie armée).

Mohamed Kadamy, un des dirigeants du FRUD, réfugié en France, aurait été informé de cette manifestation et, début d’octobre 2015, alors en visite en Belgique il a publié un communiqué pour soutenir l’action et informer la presse internationale de l’utilisation de ces voitures d’une entreprise privée qui servaient à transporter des troupes et des armes dans des raids de répression par le gouvernement de Djibouti .

++ Statut de réfugié politique en danger

Au-delà du contexte dans lequel cette convocation d’un magistrat français a eu lieu c’est une affaire qui concerne au plus haut point tous les réfugiés politiques de ce pays. Cette procédure révèle qu’il suffirait qu’une dictature de n’importe quelle contrée, sollicite une commission rogatoire à la justice française pour qu’un réfugié soit interrogé, mis en examen et, c’est le risque, soit par la suite extradé.

Il me paraît que nous devons être davantage en alerte devant ces pratiques pour les dénoncer et surtout nous opposer à toute extradition dans ce genre de circonstances. Le statut de réfugié est une garantie pour une personne ayant été obligée de quitter son pays et une protection qui lui doit le pays d’accueil. La menace qui désormais pèse sur les épaules de Mohamed Kadamy, même si pour le moment il n’y a pas de procédure engagée vers une extradition, il s’agit manifestement d’une tentative d’intimidation et vise à déstabiliser le mouvement de résistance auquel il appartient.

++ “Troc” d’un réfugié pour des manœuvres politico-judiciaires?

Rappelons le contexte. Suite à l’assassinat du Juge Borrel, en octobre 1995, La justice djiboutienne qui aurait couvert les responsables de la disparition du juge, a refusé jusqu’à il y a peu de collaborer avec les autorités françaises. La convocation de Mohamed Kadamy par le juge Serge Touraine, sous le sceau d’une commission rogatoire, semble ouvrir une nouvelle étape.

En effet, deux jours après, le juge s’est envolé vers Djibouti pour interroger le banquier Wahid Nacer, un ancien dirigeant de la banque Indosuez/Crédit Agricole à Genève qui aurait été un intermédiaire dans la vente aux autorités libyennes d’une villa à Mougins dans le sud de la France. “Et ce serait Alexandre Djhouri [actuellement à Londres] qui, via une cascade de sociétés, aurait bénéficié de cet achat généreux pour le compte de Nicolas Sarkozy”, écrit le journaliste Nicolas Beau, qui poursuit : “pour nourrir un dossier qui ne semble pas très solide, au vu des informations distillées par la presse française, le juge Tournaire a cru bon de mettre en examen le principal opposant à Paris du régime dictatorial de Djibouti. Il lui fallait, en échange, obtenir des autorités de ce pays l’autorisation d’interroger celui qu’il pense être un des témoins clés du financement libyen de Nicolas Sarkozy”.

C’est tout à fait surprenant que ce magistrat français, de “haut vol”, en charge de dossiers lourds et “explosifs” (Bygmalion, Fillon, arbitrage Tapie-Crédit lyonnais, Dassault), ait du s’occuper d’un dossier, somme toute banal par commission rogatoire! On peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas d’un “troc” donnant-donnant, “tu me files un opposant qui nous combat et je t’aide à interroger un gros poisson à Djibouti”. En plus le président Macron doit se rendre à Djibouti ce mois-ci et créer des liens de bonne entente facilite toujours les relations y compris avec les dictateurs.

Il faut ajouter que la correspondante de Serge Touraine est une juge djiboutienne, Lamisse Mohamed Saïd, mêlée à des affaires de torture sur des opposants au président Président Ismaël Omar Guelleh. Est-ce que le magistrat français a utilisé cette voie pour atteindre son objectif concernant le dossier Sarkozy, davantage par stratégie? On peut aussi l’imaginer, comme calcul politico-judiciaire.

Il se pose d’ailleurs la question de la légalité d’une telle procédure. A quel titre un Juge français est tenu d’interroger un ressortissant d’un pays étranger, protégé par le statut de réfugié politique, à propos de faits qui ont eu lieu trois ans plus tôt dans son pays où il ne réside pas. Il ne reste pas moins que la situation de Mohamed Kadamy, réfugié politique en France est de ce fait fragilisée et que la confidentialité de l’affaire laisse penser qu’on ne donne pas cher pour la vie d’un homme.

Aussi, en décembre 2018, le djihadiste Peter Cherif a été arrêté à Djibouti, et extradé en France, du fait de la coopération entre les services secrets américains, la DGSE et les autorités djiboutiennes. Voir l’article de Matthieu SucLes dessous de la traque de Peter Cherif

On sait les implications de la justice de Djibouti dans la disparition du juge Borrel, on perçoit l’opportunité de l’interrogatoire par un juge français de l’ancien banquier connaisseur des affaires libyennes de la Sarkozie. On peut y ajouter l’importance de la place stratégique de ce pays et les jeux diplomatiques et financiers concernant les bases militaires, la plus importante de la France, mais également des États Unis, du Japon et plus récemment de la Chine. Par ailleurs, et il est du domaine public international que la présidence de Ismaël Omar Guelleh, est celle d’un régime dictatorial et clanique dans l’exercice du pouvoir. “Extrader un réfugié c’est le tuer” on le sait et il est nécessaire qu’on le crie haut et fort, car il y va de la sécurité de tous les réfugiés politiques en France.