27/12/07 (B427) LIBERATION / Un an après la chute des Tribunaux islamiques, le règne du chaos

Envoyée spéciale à Mogadiscio STÉPHANIE BRAQUEHAIS

Le 27 décembre 2006, les Tribunaux islamiques étaient chassés de Mogadiscio, la capitale somalienne. Un an après, elle est toujours en proie à des affrontements quotidiens entre insurgés et troupes du gouvernement de transition appuyées par l’armée éthiopienne. Le Comité international de la Croix-Rouge, qui gère deux hôpitaux à Mogadiscio, a reçu 4 000 blessés de guerre en 2007, soit le double de l’année 2006.

Deux employées de Médecins sans frontières, une médecin espagnole et une infirmière argentine, ont été enlevées mercredi au Puntland, dans le nord-est du pays.

Quelle est la situation à Mogadiscio ?

La capitale somalienne est désormais coupée en deux. Les troupes du gouvernement fédéral de transition (GFT) contrôlent tant bien que mal la partie sud avec l’aide des Ethiopiens, qui sécurisent notamment le Palais présidentiel.

Tandis qu’au nord, autour du marché de Bakara, considéré comme le bastion des insurgés et autrefois poumon économique de la ville, les attaques sont quotidiennes : embuscades tendues par les insurgés contre les soldats du GFT, grenades lancées contre des bases de la police, ou bombes télécommandées qui explosent au passage de convois militaires.

Selon les Nations unies, 600 000 personnes ont fui la capitale depuis le début de l’année pour se réfugier dans des camps de fortune aux alentours, vers Afgooye ou Daynile à l’ouest, où l’aide alimentaire peine à être acheminée en raison des multiples barrages dressés sur les routes. Selon l’ONU, il s’agit actuellement de la plus grave crise humanitaire en Afrique, plus aiguë qu’au Darfour.

Qui sont les «insurgés» qui réclament le départ de l’armée éthiopienne ?

Les insurgés se présentent comme une résistance civile face à l’invasion de l’ennemi historique, l’Ethiopie, à qui la Somalie a notamment disputé la province éthiopienne de l’Ogaden en 1977-1978, où vivent en majorité des Somalis. Le gouvernement de transition, lui, les qualifie de groupe terroriste.

Ils sont principalement composés des anciennes milices extrémistes des Tribunaux islamiques, les shababs, dont le chef, Aden Hashi Ayro, entraîné en Afghanistan, figure sur la liste américaine des terroristes liés à Al-Qaeda. Mais les shababs ne sont pas l’unique composante de ce groupe hétérogène. Les insurgés recrutent aussi dans le clan Habr Gedir, de la famille clanique des Hawiye, qui sont majoritaires à Mogadiscio.

Les Habr Gedir contestent la domination du clan Darod, venus du Puntland (dans le nord du pays), et auquel appartient le président du GFT, Abdulahi Yusuf.

Après avoir tenté une offensive de grande envergure, en mars-avril, contre les Ethiopiens qui les ont défaits provisoirement, les insurgés lancent désormais des attaques ciblées. Ils se dissimulent parmi la population, ce qui rend leur traque difficile. Soutenus par l’Erythrée, ennemi juré de l’Ethiopie, les anciens chefs politiques des Tribunaux islamiques en exil ont, avec des membres de la diaspora somalienne, formé un mouvement d’opposition et affirment contrôler l’action des insurgés sur le terrain.

Quand le retrait éthiopien doit-il intervenir ?

En décembre 2006, l’Ethiopie est intervenue en Somalie sans véritable mandat international, mais personne n’a dénoncé son action jusqu’à présent. Des violations massives des droits de l’homme ont été signalées par les observateurs internationaux, mais aucune suite n’y a été donnée.

Le but de l’Ethiopie est de passer le relais aux troupes de l’Union africaine (Amisom), qui ont débuté leur déploiement en mars. Mais à ce jour, sur les 8 000 soldats de la paix africains prévus, seuls 1 600 Ougandais sont sur place. Ils sont chargés de sécuriser le port, l’aéroport ainsi que la Villa Somalia, siège de la présidence, mais n’ont guère de moyens matériels et humains pour rétablir un semblant de paix.

Ces derniers jours, 200 soldats sont arrivés à Mogadiscio sur les 1 700 promis par le Burundi, mais ces renforts restent insuffisants étant donné l’ampleur de la tâche.