14/10/08 (B469-B) AFP / Somalie: le florissant business de la piraterie
Alors que la population somalienne s’enfonce dans la famine et le désespoir, les pirates qui partent à l’abordage de cargos étrangers dans le golfe d’Aden affichent une santé financière insolente sans oublier de redistribuer une partie des rançons au mieux de leurs intérêts.
Abdi Garad, qui se présente comme le chef d’un des premiers groupes de pirates à avoir écumé cette route maritime cruciale pour le commerce mondial, n’est guère rongé par le remords lorsqu’il décrit les bienfaits de la piraterie sur son train de vie.
« Nous profitons de la vie grâce à l’argent des rançons », explique-t-il depuis un endroit tenu secret de la région semi-autonome du Puntland (nord somalien).
Abdi Garad s’enorgueillit de posséder un confortable appartement, deux 4X4, trois téléphones portables, un téléphone satellitaire et un ordinateur portable.
Mieux encore, l’homme a pris deux nouvelles épouses qui partagent désormais sa vie avec sa première femme, rencontrée avant le début de sa carrière de pirate.
De fait, les habitants de Garowe (Puntland) ont rapporté à l’AFP une recrudescence spectaculaire de fêtes de mariage somptueuses depuis que la capture de navire marchands s’est accrue pour devenir hebdomadaire.
Selon des experts, la piraterie a généré jusque 30 millions de dollars de recettes depuis début 2008.
« C’est juste un business pour nous. Nous le considérons comme quelqu’un considèrerait son métier. Je parcours l’océan depuis longtemps, pas pour pêcher mais pour traquer les cargos dans nos eaux territoriales, que personne ne surveille à part nous », assure-t-il.
« Nous défendons nos eaux des étrangers qui y déversent leurs déchets toxiques et pillent nos ressources (…) Nous devrions un jour être récompensés pour nos efforts », estime le pirate.
Si peu d’habitants des villages côtiers du Puntland considèrent les pirates comme des garde-côtes bénévoles soucieux de l’intérêt général, ils n’en témoignent pas moins un respect certain pour ces nouveaux potentats et leur argent.
« Ils ont beaucoup d’argent et ils peuvent tout acheter sans même regarder à la dépense », justifie Mohammed Abdi Dige, un commerçant du principal port du Puntland, Bosasso.
« Nous leur donnons des fournitures, des médicaments, de la nourriture, du fuel et des vêtements lorsqu’ils partent chasser les navires et ils nous paient une fois la rançon versée », ajoute le commerçant.
Selon Bile Mohamoud Qabowsade, l’un des conseillers du président du Puntland, les pirates sont parvenus à tisser un réseau informel leur assurant des appuis logistique et politique à terre.
« Beaucoup de gens aiment les pirates pour leurs poches. Ils ont l’argent et le distribuent à leurs proches et amis. Cet argent passe entre de nombreuses mains, ce qui leur vaut en retour un soutien au sein de la communauté », confirme-t-il.
Jama Ahmed, un autre pirate installé à Harardhere, affirme que les pirates prélèvent « des indemnités » aux bateaux étrangers et juge dès lors logique la redistribution à la communauté.
Dans certaines zones du Puntland, la nouvelle du retour à terre des pirates, lestés de sacs de billets, se répand comme une traînée de poudre.
Les pirates se rendent souvent directement dans un restaurant ou un hôtel coûteux, et fêtent leur retour en mâchant du Khat, plante euphorisante prisée dans la Corne de l’Afrique.
« Beaucoup de gens viennent les voir à l’hôtel. Les pirates passent leur journée à distribuer de l’argent à leurs visiteurs et (à parler) sur leurs portables dernier cri. On dirait d’importants chefs d’entreprise », décrit le patron d’un hôtel à Garowe, Ali Haji Yussuf.
Cet étalage de richesses suscite évidemment des vocations, inattendues parfois: des enseignants de Bosasso ont ainsi quitté leurs salles de classe pour se faire « embaucher » comme interprètes pour les pirates et gagner en quelques jours l’équivalent de leur salaire annuel.