21/11/2025 (Brève 2535) SURVIE / L’article signé LD-RD à propos du livre écrit par Louis-Alexandre BORREL
Les révoltes et les violences naissent
moins des misères que des injustices.
(Victor Hugo, cité par Élisabeth Borrel)
UN CRI D’AMOUR ET DE VÉRITÉ
Dans Toi qui nous demeures, Louis-Alexandre Borrel revient avec sa mère sur l’assassinat à Djibouti de son père en 1995 et sur le long combat, de Djibouti à Paris, pour que justice soit faite.
Toi qui nous demeures est un livre hommage.
Louis-Alexandre Borrel, qui l’a autoédité, y interroge sa mère, Élisabeth Borrel, sur l’assassinat à Djibouti de son père, magistrat comme elle. Une mort d’abord présentée comme un suicide, avant que la détermination d’Élisabeth et de ses enfants à connaître la vérité ne finisse par mettre sur la sellette le pouvoir politique, à Djibouti comme à Paris.
Le 18 octobre 1995, le cadavre partiellement carbonisé de Bernard Borrel, magistrat français détaché comme conseiller technique auprès du ministre djiboutien de la Justice, est retrouvé au pied d’une falaise, non loin de Djibouti. L’enquête, confiée à la justice française, s’oriente d’emblée vers la thèse du suicide, sans qu’aucune autopsie ne soit réalisée.
Autre irrégularité majeure : les juges d’instruction Le Loire et Moracchini organisent une reconstitution sans en avoir averti les parties civiles – Élisabeth Borrel et les trois syndicats français de magistrats.
Cette violation des règles de la procédure judiciaire estelle à mettre au compte de l’amitié entre la juge Moracchini et le procureur général de Djibouti, ou le résultat d’une volonté de dissimulation ?
Les parties civiles obtiennent finalement en 2000 le dessaisissement des juges Moracchini et Le Loire.
++ Du suicide à l’assassinat
La rencontre avec François-Xavier Verschave(1), qui lui ouvre les yeux sur la Françafrique et ses agissements criminels, amène Élisabeth Borrel à reconsidérer la thèse du suicide de son mari. Elle demande des expertises complémentaires, et, à la demande du juge Parlos, un collège d’experts est nommé, qui conclut en 2003 à l’intervention d’un tiers pour causer la mort.
Mais il faut attendre 2017 pour que le caractère criminel de la mort de Bernard Borrel soit reconnu par le procureur de la République.
Cette réticence des autorités françaises à explorer la piste criminelle s’est manifestée tout au long de l’instruction. Ainsi, quand la juge Clément, en charge du dossier judiciaire, demande communication de pièces classées secret défense au ministère de la Défense et au ministère de l’Intérieur, les documents qu’on lui remet sont illisibles.
Élisabeth Borrel, face à ce manque de transparence, rejoint le Collectif secret défense un enjeu démocratique(2). En 2004, une tentative d’enterrer l’affaire est déjouée par la juge Clément, qui refuse de communiquer au procureur de Djibouti
une copie du dossier d’instruction. Cette manoeuvre, en effet, aurait pu permettre de désigner des lampistes et de les faire condamner à Djibouti pour le meurtre de Bernard Borrel.
Une condamnation rendant impossible un procès en France, dans un dossier où des éléments laissent penser que le pouvoir djiboutien pourrait avoir commandité le crime.
++ « Le juge fouille-merde est mort »
C’est ce qu’un témoin, Mohamed Alhoumekani, dit avoir entendu le lendemain de la mort du juge Borrel, dans l’enceinte du palais présidentiel djiboutien.
Quels cadavres dans le placard Bernard Borrel aurait-il pu débusquer ?
Il était chargé de conseiller le ministre de la Justice djiboutien dans la révision du Code pénal. Mais son collègue le juge Le Loire avait sollicité son aide dans l’enquête sur l’attentat du Café de Paris en 1990, un café fréquenté par les expatriés français.
La justice djiboutienne avait attribué la responsabilité de ce crime au leader du principal parti d’opposition. Élisabeth Borrel dissèque le dossier, faisant la liste de ceux qui savent la vérité sur la mort de son mari, jusqu’aux liens avec les politiques français de l’époque. Pour elle, les trafics d’uranium enrichi sont au centre de « l’affaire » et du brouillard créé pour contrecarrer la quête de vérité.
Une quête que certains veulent empêcher à tout prix puisqu’en 2015, la famille Borrel apprend la disparition des objets recueillis sur et près du corps de Bernard Borrel. Placés sous scellés au greffe du Tribunal de Paris afin de pouvoir identifier l’ADN d’un suspect, ils ont été détruits !
Élisabeth Borrel porte plainte pour faute lourde de l’État. En 2022, un nouveau témoignage paraît pouvoir relancer l’enquête : ce serait un militaire français en mission qui aurait assassiné Bernard Borrel. Mais le témoin a peur, il n’y a pas en France de protection des témoins.
Le livre se termine par un cri d’amour vibrant, que Louis-Alexandre Borrel met dans la bouche de son père : « Vous faites l’erreur de me tuer. Vous ne serez jamais tranquilles. Élisabeth ne laissera pas faire.»
Laurence Dawidowicz
& Raphaël Doridant
Vous pouvez vous procurer le livre en envoyant un
mail à : toiquinousdemeures@gmail.com.
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1 Président de Survie de 1995 à 2005, fondateur du journal que vous tenez entre les mains, il a le premier analysé et dénoncé les rouages de la Françafrique.
2 Collectif qui rassemble des personnes physiques ou morales confrontées aux abus et dérives du secret défense. Leur site web : collectifsecretdefense.fr

