11/04/05 (B293) Intervention de Noël Mamere pour le rétablissement de la Démocratie au Togo, à Djibouti et dans plusieurs pays d’Afrique et pour dénoncer l’attitude du Gouvernement français qui soutient les dictatures contre les Peuples.

M. Mamére :
« la France de Chirac fait tout pour qu’une monarchie héréditaire
continue" au Togo

Intervention de
Colloque de la Ligue des Droits de l’Homme :

« Les dictatures
africaines : les cas du Togo »

Assemblée nationale
Française
9 avril 2005

Le rôle de la
France dans l’installation et le maintien de la dictature togolaise

Mesdames, Messieurs, Chers
amis.

Noël Mamère,
député « Verts » de la Gironde

La réponse au sujet
que mes amis de la Ligue des Droits de l’homme m’ont demandé
de traiter : « le rôle de la France dans l’installation et
le maintien de la dictature togolaise » est d’une simplicité
biblique. La France depuis le 13 janvier 1963 n’a cessé de soutenir
militairement, politiquement, économiquement, financièrement
par tous les moyens disponibles la dictature togolaise et depuis le 13 janvier
1967, le régime, le clan, la famille Eyadéma.

Aujourd’hui comme
hier, les Présidents de la République, de droite ou de gauche,
les gouvernements de la République de droite comme de gauche ont maintenu
à bout de bras le régime togolais. L’ambassadeur Henri
Mazoyer a le 12 janvier 1963 fait connaître aux putschistes dirigés
alors par le jeune sergent Eyadéma le lieu -l’ambassade américaine-
où s’était réfugié Sylvanus Olympio.

Ce même ambassadeur
qui avait fait pression pour que le commandant Georges Maitrier, chef de la
gendarmerie nationale, dont le contrat arrivait à terme en 1962 puisse
le prolonger dans le cadre de la coopération militaire franco-togolaise.
C’est Georges Maitrier qui conçut et organisa le coup d’Etat
de 1963 avec le soutien direct de l’ambassade, des services et de l’Elysée
qui détestaient l’indépendance d’esprit de Sylvanus
Olympio. Maitrier et Mazoyer n’étaient pas là par hasard.

Ils avaient été
mis en place par Jacques Foccart, le fondateur des réseaux de la Françafrique.
La fin de la guerre d’Algérie et les milliers de soldats démobilisés
ayant permis la création d’un vivier permettant à des militaires
comme Eyadéma ou Maitrier de se reconvertir. Le néo-colonialisme
n’est pas une invention d’intellectuels de gauche. C’est l’héritage
direct d’indépendances qui ne furent pas menées à
terme. Et quand des responsables politiques comme Lumumba, Sankara, Olympio
voulurent conduire leur pays à une véritable indépendance,

la réponse fut
l’assassinat politique télécommandé depuis Paris.
L’objectif des réseaux de la Françafrique a toujours été
le même : faire du Togo, un protectorat. Si le Togo n’a pas de
pétrole, il a des phosphates et le réseau opaque des sociétés
écrans lié à cette exploitation a permis au clan Eyadéma
de s’enrichir sur le dos du peuple togolais mais aussi de fournir des
subsides à des proches ou à des hommes politiques en France
qui ont soutenu, encouragé et cautionné la dictature. De fait
Eyadéma a vendu son pays à tous, pour son unique profit, celui
de son clan et celui de ses amis français. Mais le Togo ne lui appartient
pas, ni à lui, ni à sa famille, ni à l’armée.
Le Togo appartient aux citoyens togolais.

Je disais que ce régime
corrompu, autoritaire et sans droit a été soutenu par tous les
régimes. Le 13 janvier 1983, 20 ans après l’assassinat
de Sylvanus Olympio, François Mitterrand accepta l’invitation
d’Eyadéma et de fait reconnut la légitimité de la
politique conduite depuis le meurtre fondateur d’Olympio. On connaît
le rôle de Jean Christophe Mitterrand auprès des amis africains
de l’Elysée dont Eyadéma.

Mais c’est aussi
un homme comme Michel Rocard qui en tant que député européen
reconnut la légalité des élections de 2002 pourtant dénoncées
comme totalement truquées par la communauté internationale.
De même Fodé Sylla, député européen du groupe
communiste a défendu ce régime. Il en a été d’ailleurs
récompensé par Jacques Chirac qui l’a fait nommer au Conseil
économique et social en 2004.

Mais bien évidemment
c’est la droite française qui remporte la palme d’or au festival
des hypocrites et des soutiens à la dictature. Il y a bien sûr
le fameux Charles Debbasch, celui qui écrit les constitutions et les
lois à la chaîne. Ce juriste qui en France est poursuivi par
la Justice pour affaires douteuses travaille au rendement pour légitimer
le régime Eyadéma.

Il y a son compère
l’avocat Jacques Vergès. Il y a Pierre Mazeaud. Il y a bien sûr
Charles Pasqua, dont l’association « demain la France » fut
financée à hauteur de près de 5 millions de francs. Mais
il y a aussi Jacques Chirac, qui au lendemain de la mort du dictateur déclarait
que celui-ci était à la fois un ami personnel et un ami de la
France.

Et de fait, si un quarteron
de militaires togolais a mis au pouvoir Faure, le fils du dictateur, le metteur
en scène et le scénariste du mauvais feuilleton que vit le Togo
depuis le 7 février s’appelle Jacques Chirac. Dans un premier
temps on désigne le fils du dictateur comme Président élu
jusqu’à 2008, puis on accepte d’organiser des élections,
puis on présente Faure uniquement comme un simple candidat parmi d’autres,
respectueux des institutions et de la légalité démocratique.

A chaque fois le but est
le même : endormir la vigilance de la communauté internationale,
empêcher l’organisation d’élections libres et transparentes,
faire silence sur la continuité du régime, isoler l’opposition
démocratique. Dans toutes ces différentes phases, le rôle
de la France a été déterminant. Chirac a voulu que l’Union
Européenne qui avait boycotté le régime en 1993 n’intervienne
pas dans le domaine réservé du président de la République.

La France avait été
le seul pays à l’époque à s’opposer à
des sanctions plus lourdes de la part de l’Union Européenne. Celui
qui organise sur le terrain togolais la mise en scène du scénario
conçu à Paris est le lieutenant-colonel Benoît, responsable
de la DGSE à l’ambassade de France à Lomé. Il était
déjà en poste dans les années 60 au moment de l’assassinat
de Sylvanus Olympio.

Il y a donc un fil rouge
de la politique française au Togo depuis 42 ans. C’est pourquoi
les démocrates africains et français doivent faire d’ici
le 24 avril une campagne pour dénoncer concrètement les liens
qui unissent la dictature togolaise à la France. Car
ce n’est pas du Togo dont on parle, mais du Tchad, de Djibouti, des deux
Congo, du Gabon, de la République Centrafricaine, de la Mauritanie…

Contrairement à
ce qui est dit, la France n’hésite pas entre l’indifférence
et l’ingérence en Afrique. Elle est indifférente aux aspirations
des peuples au développement et à la liberté. Elle s’ingère
dans les affaires qui peuvent encore lui rapporter. Le Togo en est un symbole
éclatant. Elle y est toujours liée par un accord de défense
signé le 10 juillet 1963 et par des accords de coopération technique
et militaire signés le 29 mars 1976.

Ses militaires forment
depuis des décennies ceux qui répriment actuellement les manifestations
du peuple togolais. Les armes qui tuent et blessent les manifestants à
Lomé sont des armes et des balles françaises tirées par
des soldats et des gendarmes formés par l’armée française
en vertu de ces accords de coopération.

Les Verts ne s’intéressent
pas à la politique africaine et au Togo le temps d’une campagne.
Ils s’y intéressent depuis toujours. Le premier candidat écologiste
à la Présidence de la République, René Dumont
a été l’un des premiers à montrer comment l’accumulation
des facteurs négatifs en matière de politique économique,
démographique, agricole entravait le développement de l’Afrique.

Dès 1962, c’est-à-dire
dès l’accession du dictateur Eyadéma au pouvoir, il s’écriait
« l’Afrique noire est mal partie ». Il montrait aussi comment
la démocratie et le développement étaient indissociables
alors que les dictatures s’épanouissaient sur l’ensemble
du continent. Il nous appelait chacun à notre poste de nous dépêcher
de remplir toutes les conditions qui faciliteraient le décollage de
l’Afrique car, ajoutait-il, nous y avons le plus strict intérêt
en tant que nations riches.

43
années plus tard, ces pronostics s’avèrent plus que jamais
crédibles au Togo comme à Djibouti où 28 ans après
la première élection, le dictateur a été réélu
hier alors qu’il était le seul candidat en lice.

Ce que nous faisons c’est
une lecture politique de la stratégie française en Afrique subsaharienne
et nous disons qu’elle continue à être marquée par
la domination de l’Elysée et de l’Etat-major qui influencent
par l’intermédiaire de réseaux occultes ce qu’il est
convenu d’appeler la « Françafrique ».

Or cette « Françafrique
» continue à s’employer à saboter tous les efforts
de renouveau. Cette « Françafrique » a empêché
la constitution de la Commission d’enquête du Parlement sur le
Rwanda. Cette Françafrique s’agite derrière le soutien
de Sassou N’guesso et a entraîné des milliers de morts au
Congo Brazzaville ; cette Françafrique permet le soutien aux dictateurs
pour permettre à ces entreprises, Total, Bolloré, Cogéma,
Bouygues, à son industrie de l’armement de garder ses positions
face notamment à ses concurrents américains ou européens.

Et nous, écologistes
français, nous avons le devoir par rapport à l’Afrique,
par rapport aux peuples africains mais aussi par rapport à notre propre
peuple d’être les premiers à dénoncer les conséquences
de cette politique menée par ces réseaux. Il y a trop de liens
entre notre pays et le contient africain, trop de passions, trop d’histoire.

L’idée que
l’on entend traîner ici ou là que nous devrions nous débarrasser
du soi-disant fardeau africain parce qu’il n’est pas rentable, que
nous devrions tirer un trait sur les rapports franco-africains, est une idée
erronée. Oui, nous ne voulons plus d’ingérence de l’armée
et de l’Elysée dans les affaires africaines. Mais nous ne voulons
pas non plus que l’ingérence soit remplacée par l’indifférence,
la connivence par la banalisation des rapports franco-africains.

Ce lâchage programmé
en fin de compte ne servirait qu’à mettre l’Afrique sous
la coupe réglée des entreprises multinationales. Nous pensons
qu’entre la politique de Foccart et la loi d’airain de l’OMC,
il y a place pour des rapports eurafricains qui tiennent compte des peuples
et du développement durable des pays du Sud. Ni la France, ni l’Europe
ne peuvent envisager de tourner le dos à leur partenaire naturel du
Sud.

L’Afrique ne serait
pas ce qu’elle est aujourd’hui si nous Français comme d’autres
Européens : Allemands, Belges, Portugais ou Anglais n’y avions
pas pillé impunément les ressources humaines et les matières
premières, d’abord avec l’esclavage que l’Assemblée
nationale a condamné ici même comme un crime contre l’humanité,
ensuite avec le colonialisme, enfin avec le néocolonialisme qui sous
l’égide de monsieur Foccart a exercé sa domination durant
trois décennies.

Les discours lénifiants
sur la coopération entre la France et Afrique n’ont pas de sens
si nous ne les remettons pas dans ce contexte historique. Le néo-colonialisme
n’est pas une invention, c’est une réalité d’aujourd’hui
:

– Non, il n’y a pas
de coopération possible sans démantèlement des réseaux
de la Françafrique, sans démantèlement des dictatures
clefs de la région et notamment de celle du Togo ;

– Non, il n’y a pas
de coopération sans contrôle démocratique par le Parlement
et la société civile de la diplomatie française ;

– Non, il n’y a pas
de coopération sans soutien explicite aux processus démocratiques
et coopération avec les partis démocratiques et progressistes
; c’est pourquoi nous demandons le contrôle des scrutins (bulletin
unique, contrôle et révision des listes électorales, établissement
des cartes électorales, renforcement des media locaux en langues locales
et répartition du temps de parole…) ; ce sont toutes ces conditions
qui, notons-le, n’existent pas aujourd’hui au Togo où des
milliers de personnes ont manifesté encore hier pour simplement obtenir
le droit de recevoir leur carte d’électeur ;

– Non, il n’y a pas
de coopération sans une redéfinition des bases de la politique
de l’immigration : c’est pourquoi nous demandons la régularisation
des sans-papiers, la libéralisation de la politique des visas, la liberté
de circulation ;

– Non, il n’y a pas
de coopération sans contrôle des conséquences de la mondialisation
néo-libérale en Afrique : c’est pourquoi nous demandons
le levée du secret bancaire ; l’annulation de la dette ; la fin
des paradis fiscaux, l’enquête sur les réseaux financiers
et leurs implications politiques en France ;

– Non, il n’y a pas
de coopération sans mémoire ni droit de réparation. C’est
pourquoi nous demandons la création d’une commission d’enquête
sur le Rwanda et d’une commission d’enquête sur la responsabilité
de la France dans les crimes politiques (Sankara, N’Gouabi, Félix
Moumia, Sylvanus Olympio….)

La conclusion politique
d’un tel colloque est un exercice difficile surtout dans un contexte
marqué par la dégradation de la situation dans l’Afrique
subsaharienne, par la montée des tensions ethniques dans de nombreux
pays dont la Côte d’Ivoire est le plus grave des exemples, par
le dévoiement des processus démocratiques, par le développement
des inégalités.

C’est ce contexte
et les responsabilités que la France y a eu et y tient bien souvent
encore qui explique la dégradation du rayonnement de la France en Afrique.
La France, à tort ou à raison, est considérée
comme l’héritière de la Déclaration des Droits de
l’homme, de la Révolution de 89 et dans le même temps, nous
méprisons ceux qui sont attirés par cette République
des Lumières.

La hache de Saint-Bernard,
les expulsions de sans-papiers bâillonnés et enchaînés,
les centres de rétention, la caution d’élections truquées,
l’envoi de matériel militaire, le manque de transparence, tout
cela ne peut pas être mis au compte des profits et pertes. Nous devons
nous rappeler le discours inaugural de Sylvanus Olympio : « l’idée
de l’Unité africaine a fait du chemin. Pour des raisons peut-être
faciles à comprendre, les puissances administrantes et européennes
de Afrique occidentale ont peu fait dans le passé pour promouvoir une
politique de coopération entre les différents territoires.

La responsabilité
de cette tâche audacieuse doit désormais incomber aux Africains
eux-mêmes. Vive le Togo indépendant ». Voila pourquoi Sylvanus
a été assassiné. Voila pourquoi son fils Gilchrist Olympio
ne peut pas se présenter aux suffrages.

Voila pourquoi la France
de Chirac a installé et maintenu cette dictature pendant 42 ans et
fait tout pour qu’une monarchie héréditaire continue à
gérer les intérêts de la Françafrique. Je ne me
mettrai pas à la place de l’opposition togolaise pour savoir quelle
est la bonne stratégie, le boycott ou la participation au scrutin du
24 avril. Ce qu’elle doit d’abord faire, c’est avant tout conserver
son unité.

Mon rôle à
moi comme celui de mes collègues députés, le rôle
des Verts comme de tous les démocrates en France, c’est de mettre
fin à ce scandale des rapports entre la France et le Togo qui n’est
pas une affaire interne au Togo ou à Afrique, mais qui est bien un
scandale de la République, une affaire française de plus que
nous devons dénoncer ici si nous voulons être dignes de cette
maison, l’Assemblée nationale, qui est née de la lutte
contre les tyrans.

La liberté, l’égalité,
la fraternité ce n’est pas seulement valable pour la France ou
les Européens, c’est une aspiration de tous les peuples, de tous
les africains, de tous les Togolais.

Nous sommes tous des Togolais.

Je vous remercie.

Noël
Mamère,
« Les Verts »,
député de la Gironde.