27/10/05 (B321-B) L’Express : selon Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS, la présence des forces françaises à Djibouti pourrait s’achever avec les conséquences de l’affaire Borrel.

L’Express du 27/10/2005
Jean-François Bayart
«L’Afrique n’est plus celle de Kolwezi»

propos recueillis par Vincent Hugeux

Africaniste de renom, directeur de recherche au CNRS et ancien patron du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), Jean-François Bayart est l’auteur du Gouvernement du monde (Fayard). Il décrypte pour L’Express les avatars de la présence militaire française sur le continent noir

Le «redéploiement» des forces françaises, avec un dispositif ramené à trois bases, est-il voulu ou subi?

Les deux, mon général ! Réduire la voilure était une nécessité depuis longtemps, qu’imposaient des considérations stratégiques et financières, mais que contrariaient divers facteurs: les pressions des chefs d’Etat africains concernés, peu désireux de voir s’évanouir protections et rente financière; les illusions de puissance des hommes politiques français; et les solides «acquis sociaux» des militaires eux-mêmes. Mais les circonstances donnent un aspect dramatique au resserrement du dispositif français. A terme, il est devenu impossible de rester à Abidjan, le cœur de la «Françafrique». Et il n’est pas sûr que les facilités sur la base de Djibouti survivront à l’affaire Borrel [référence à l’assassinat, non élucidé, du juge français Bernard Borrel, en octobre 1995].

Le concept Recamp est-il autre chose que l’habillage d’un repli plus ou moins ordonné?

Oui: l’habillage d’un repli mal pensé. Le concept était vicié à la base. Les armées africaines auxquelles était déléguée la fonction de maintien de la paix étaient parties prenantes des conflits qu’elles étaient censées apaiser ou prévenir. Avec leur Initiative africaine de réponse aux crises (Acri), les Américains sont d’ailleurs empêtrés dans la même contradiction. Le Nigeria au Liberia, le Tchad en Centrafrique, le Sénégal en Guinée-Bissau ont des intérêts nationaux à défendre. En outre, le déploiement des troupes africaines dans des opérations multilatérales a des effets pervers. L’armée nigériane a mis à sac ce qui restait du Liberia et les mutins ivoiriens de décembre 1999 protestaient à l’origine contre les conditions financières de leur intervention en Centrafrique.

© J.-P. Guilloteau/L’Express