08/06/06 (B353_B) La crise en Somalie : les derniers articles de presse et les dernières dépêches. (Info lecteur)

________________________________________ AFP

Somalie: les islamistes déclarent la guerre aux « infidèles », Bush inquiet

Par Ali MUSA ABDI



MOGADISCIO (AFP) – Le plus haut dignitaire musulman en Somalie, Sheikh Nur Barud, a appelé mercredi à la « guerre contre les infidèles », en référence aux chefs de guerre soutenus par les Etats-Unis, tandis que le président américain George Bush s’est dit « inquiet » de l’instabilité dans ce pays.


Sur le terrain, les deux camps qui s’affrontent depuis février, les milices islamistes et les chefs de guerre aidés financièrement par les Américains, se faisaient toujours face mercredi près de Jowhar, dernier fief des chefs de guerre de l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT).


Aucun combat n’était cependant signalé près de cette ville à 90 km au nord de Mogadiscio, ni dans la capitale, majoritairement contrôlée par les milices islamistes qui y rencontrent cependant une résistance.


« Tous les Somaliens doivent défendre les tribunaux islamiques parce qu’il ne s’agit pas de combats entre clans, mais d’une guerre contre les infidèles », a déclaré Sheikh Nur Barud sur des radios locales somaliennes, laissant craindre une reprise des affrontements.


« Ces combats sont entre ceux qui soutiennent l’islam et les envahisseurs impies et ceux qui les soutiennent », a ajouté ce religieux membre des tribunaux islamiques, en référence à l’ARPCT, appuyée par les Etats-Unis.


Le président américain s’est déclaré « inquiet » mardi de l’instabilité en Somalie et a dit préparer une réponse américaine aux événements récents pour faire en sorte que le pays ne devienne pas un « refuge » pour Al-Qaïda.


Les services de renseignements occidentaux soupçonnent fortement les tribunaux islamiques somaliens d’abriter des extrémistes du réseau terroriste de Ben Laden.


Dans un entretien publié mercredi par le quotidien arabe Asharq al-Awsat, le chef des tribunaux, cheikh Sharif Sheikh Ahmed, a déjà menacé les américains de leur « donner une leçon qu’ils n’oublieraient pas » s’ils intervenaient en Somalie. Il a aussi affirmé ne pas vouloir prendre le contrôle de toute la Somalie.


L’armée américaine était intervenue dans ce pays pauvre de la Corne de l’Afrique en 1992 pour sécuriser l’acheminement d’aide alimentaire avant de s’en retirer calamiteusement après que le massacre de 18 de ses hommes en 1993.


La Somalie est en guerre civile depuis 1991. Depuis février, des combats opposent l’ARPCT et les milices des tribunaux islamiques.


Ces dernières ont affirmé lundi avoir pris le contrôle de la capitale, au terme d’une bataille qui a fait au moins 347 morts, mais une résistance semble s’organiser.


Les chefs de guerre ont obtenu le soutien du sous-clan Abgal, qui a mobilisé environ 2.000 manifestants mardi à Mogadiscio. La Somalie, pays de 10 millions d’habitants, est divisée en clans et sous-clans, qui se sont régulièrement affrontés depuis le début de la guerre.


Près de Jowhar, les deux belligérants, qui ont mobilisé des centaines de combattants, continuaient à se faire face mercredi.


« Si nous voyons des mouvements parmi les milices islamistes, nous attaquerons », a affirmé un commandant de l’ARPCT, Jendayi Dheere.


De leur côté, les chefs coutumiers ont reconnu avoir peu de succès dans leur tentative de parvenir à un cessez-le-feu. « Actuellement, nous n’avons pas d’accord et il est possible que les chefs de guerre (…) commencent à se battre selon des lignes claniques », a reconnu un médiateur, Mohamed Farah Jumale.


Par ailleurs, l’Union africaine (UA) a demandé aux Nations unies de lever l’embargo sur les armes, en vigueur depuis 1992 en Somalie, pour permettre le déploiement d’une éventuelle mission de paix africaine dans ce pays. Il y a plus d’un an et demi, l’UA avait déjà donné son feu vert pour une telle mission, qui est cependant restée lettre morte jusqu’à présent.


_____________________________ Reuters

Les chefs de guerre somaliens préparent la défense de leur fief


MOGADISCIO (Reuters) – Craignant une offensive, des dizaines de Somaliens fuient la ville de Jowhar, bastion des chefs de guerre chassés il y a deux jours de Mogadiscio par des milices islamistes.

Les miliciens liés aux tribunaux islamiques ont pris le contrôle de la capitale lundi, évinçant une coalition de chefs de guerre que beaucoup croient soutenue par Washington et qui faisait la loi depuis quinze ans à Mogadiscio. Leur succès a été précédé de combats qui ont fait 350 morts depuis février.

Selon des habitants, les chefs de guerre se préparent à défendre Jowhar, à 90 km au nord de la capitale, et mettent en place une ligne de front avancée hors des murs de la ville.

"Il y a un grand nombre de combattants et d’armes à Jowhar, mais la plupart ont été transférés au camp militaire de Congo, à cinq kilomètres de là", a dit par téléphone un cultivateur de la région, Abdi Warsame.

Les partisans du chef de guerre Mohamed Dheere ont reçu le renfort d’alliés battus à Mogadiscio et dans la ville stratégique de Balad, vers le nord, qui est tombée dimanche.

"Des habitants ont commencé à quitter Jowhar par crainte de combats", a dit Warsame. "La plupart disent que leur unique choix est de soutenir ceux qui contrôleront Jowhar."

Des miliciens islamistes ont dit que leurs hommes, rassemblés au sud de Jowhar, avaient pour ordre d’empêcher des avions d’atterrir sur l’aérodrome de la ville pour priver les chefs de guerre de toute possibilité de fuite.

Si les milices islamistes s’emparent de Jowhar, notent des analystes, elles contrôleront la plus grande partie du sud de la Somalie. La question serait alors de savoir elles contribueront à mettre en place un gouvernement intérimaire faible ou si elles imposeront une administration concurrente.

Le gouvernement, incapable d’entrer dans Mogadiscio, est installé depuis février dans la ville provinciale de Baidoa, à 250 km au nord-ouest de la capitale.

UN GOUVERNEMENT SOUS CAPE ?

Un habitant de Mogadiscio, Ali Abdikader, a dit avoir été informé par un proche d’un dignitaire islamique que le camp religieux tenait prêt un gouvernement de son choix.

"Le jour où ils prendront Jowhar, ils présenteront leur gouvernement, a-t-il dit. Je ne crois pas qu’ils entendent coopérer avec le gouvernement intérimaire. Certains disent même que le gouvernement doit se rendre aux tribunaux islamiques."

La victoire des milices a délogé les chefs de guerre de Mogadiscio pour la première fois depuis la chute du dictateur Mohamed Siad Barré en 1991. Mais les combattants des clans ont juré de reprendre le terrain perdu.

L’un d’eux, Ali Nour, a ainsi déclaré que le clan de l’ancien chef de guerre Mohamed Farah Aïdid livrerait de nouveaux combats contre les islamistes. Une tentative de l’armée américaine pour capturer Aïdid avait totalement échoué en 1993.

"Nous renforçons nos défenses, creusons des tranchées et accumulons des sacs de sable pour nous préparer à la guerre en tant que clan et non en tant que coalition", a dit Nour de Mogadiscio, où retentissaient des bruits sourds de bulldozers.

Le président américain George Bush s’est dit préoccupé par l’évolution en Somalie, en soulignant la nécessité d’empêcher ce pays de se transformer en havre pour Al Qaïda.

Washington, qui s’abstient de tout engagement direct en Somalie depuis le retrait humiliant de ses troupes et de celles de l’Onu en 1994, refuse de commenter des informations selon lesquelles les chefs de guerre recevraient 100.000 dollars par mois des Etats-Unis. Ceux-ci indiquent toutefois qu’ils soutiendront ceux qui combattent le terrorisme.

Le cheik Charif Ahmed, président des tribunaux islamiques de Mogadiscio, est revenu sur des propos par lesquels il avait promis en public de faire de la Somalie un Etat islamique.

"On a essayé le socialisme pour gouverner le monde mais on a échoué, on a essayé la démocratie qui est en train d’échouer, il ne reste aujourd’hui plus qu’à essayer l’islam. Mais c’est au peuple de décider", a-t-il déclaré à Reuters.

La police kenyane a arrêté mercredi un membre de la coalition des chefs de guerre, Abdirashid Shire Ilqeyte, dans un hôtel de Nairobi, a-t-on rapporté de source ministérielle. Le Kenya a interdit son territoire aux chefs de clan et aux éléments qui "persistent à déstabiliser la Somalie".

________________________________ Le Monde

Un revers pour Washington, qui craint une implantation d’Al-Qaida

LE MONDE | 06.06.06 | 13h38 • Mis à jour le 06.06.06 | 13h38
WASHINGTON, NAIROBI CORRESPONDANTS

Les Etats-Unis ont accueilli avec inquiétude l’annonce de la prise de Mogadiscio par les miliciens de l’Union des tribunaux islamiques. Sean McCormack, le porte-parole du département d’Etat, a indiqué que Washington se félicitait de tout ce qui pourrait contribuer à la construction d’institutions si possible démocratiques dans un pays dépourvu d’administration centrale depuis quinze ans, mais a aussi souligné que le gouvernement américain ne souhaitait pas "voir la Somalie devenir un refuge pour les terroristes étrangers".

Le porte-parole du département d’Etat a refusé de dire si les Etats-Unis ont la preuve de la présence d’éléments d’Al-Qaida dans le pays. "Nous avons de réelles inquiétudes" à ce sujet, a-t-il seulement indiqué. Selon la presse américaine, Washington pense que trois des responsables des attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi, au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie, se cachent parmi les islamistes somaliens.

EQUIPEMENTS DE SURVEILLANCE

La prise de Mogadiscio est un revers pour l’administration Bush. Pour faire rempart contre le terrorisme, celle-ci avait établi une tête de pont à Djibouti après les attentats du 11 septembre 2001. La Corne de l’Afrique est l’un des principaux théâtres d’opérations pour le Centcom, le commandement central, qui gère depuis la Floride les actions contre la piraterie en mer Rouge ou l’entraînement des gardes frontières locaux avec une coalition d’une soixantaine de pays.

Selon des sources est-africaines, les services américains, qui craignaient le repli de djihadistes venus d’Afghanistan, ont dès 2002 payé des chefs de faction pour leur transmettre des informations ou surveiller la côte de l’océan Indien. Récemment, avec la progression de l’Union des tribunaux islamiques, les Etats-Unis ont entrepris de soutenir la nouvelle alliance des "seigneurs de guerre" somaliens, pour barrer la route aux islamistes. C’est l’inverse qui s’est produit.

Un responsable de l’International Crisis Group, une association qui se consacre à la prévention des conflits, John Prendergast, a affirmé que l’Agence centrale de renseignement américaine (CIA) acheminait 100 000 à 150 000 dollars par mois à l’intention des principaux chefs de guerre. A l’agence Reuters, il a précisé que la CIA avait fourni des équipements de surveillance à ces factions pour traquer Al-Qaida. Ce soutien pourrait être en contradiction avec l’embargo sur les armes à destination de la Somalie, imposé par l’ONU après la guerre civile de 1991.

Le "parrainage" des chefs de guerre somaliens semble aussi avoir créé des tensions internes dans l’administration américaine. Deux diplomates en poste àNairobi, Michael Zorick, chargé du dossier Somalie, et Michael Fitzpatrick, responsable des affaires politiques, ont quitté abruptement leurs fonctions après s’être opposés à cette politique, selon des sources concordantes à Nairobi.

Corine Lesnes
et Jean Philippe-Rémy