29/08/07 (B410) RUE 89 :Affaire Borrel: procès en vue pour deux fonctionnaires djiboutiens – Par David Servenay

Sur le plan judiciaire, le dossier est mineur.

Mais en matière politique, il pèse de tout son poids de plomb entre Paris et Djibouti.

Dans quelques mois, deux des plus haut fonctionnaires djiboutiens seront jugés par le tribunal correctionnel de Versailles, pour "subornation de témoins".

Ils sont soupçonnés d’avoir tenté d’acheter un témoin-clé dans l’affaire de l’assassinat du juge Borrel, ce magistrat français assassiné à Djibouti en 1995, dans des conditions encore mystérieuses. Depuis sa mort, sa veuve (Photo) se bat pour que la vérité soit faite.

Les deux prévenus risquent d’écoper du maximum de la peine –trois ans de prison et 45000 euros d’amende- dans la mesure où il est peu probable qu’ils se présentent à la barre.

La particularité de cette enquête, qui met en cause l’actuel procureur général de la République de Djibouti, Djama Souleiman, et le chef des services secrets, Hassan Saïd, est d’avoir été bouclée dès son origine. La "subornation de témoin" étant constituée dès l’ouverture de l’information judiciaire, il était logique que les auteurs du délit soient un jour jugés.

Les deux hommes n’ont pas fait preuve de beaucoup prudence.

Ils ont tout simplement tenté de circonvenir deux anciens officiers de la Garde présidentielle djiboutienne (GP).

Négociations dans un hôtel pour une rétractation

L’un, Mohamed Alhoumekani, s’est même vu proposer argent et honneur (un poste d’ambassadeur) pour prix de son silence. De ce chantage, mené par le procureur Souleiman, un magistrat formé à l’ENM de Bordeaux, il existe plusieurs traces accablantes: photos, enregistrement de conversation téléphonique et mentions manuscrites.


Photo archives ARDHD
Dans le hall d’un hôtel de Bruxelles, sur une photo, le magistrat djiboutien est penché sur un projet de lettre de rétractation que le régime aurait bien aimé faire signer au témoin gênant.

Alhoumekani a toujours été une épine dans le pied du président Guelleh. Le lieutenant de la GP a suivi une étrange conversation, le 19 octobre 1995, dans les jardins de la présidence. Où le chef de la gendarmerie, le chef des services secrets et deux terroristes censés être en prison s’adressent à Ismaël Omar Guelleh, le futur président de la République, pour lui préciser que "le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces".

Décrédibiliser le témoin-clé de l’affaire

Après la révélation de son témoignage, en décembre 2000, Alhoumekani, réfugié en Belgique, fera l’objet d’une attention constante du régime de Guelleh. Approche discrète, surveillance régulière, intimidations: tout est bon pour tenter de le faire revenir sur une version. Il ne la reniera jamais.

Constatant que leurs intimidations n’aboutissent pas, les hommes de Guelleh entreprennent de décrédibiliser le personnage. Pour cela, Hassan Saïd, le chef du SDS (Service de Documentation et de Sécurité) fait faire une lettre à son ancien supérieur hiérarchique, le commandant Ali Iftin. Lettre où Alhoumekani est décrit comme un officier sans foi ni loi.

Cette opération, elle aussi, finit par échouer, car Iftin quitte à son tour le pays, sous la menace de représailles brandies par son "cousin" Ismaël Omar. Il atterrit finalement à Bruxelles, où il raconte face caméra les manœuvres du régime.

Le procès annoncé devrait donc être une grande plongée dans l’univers des turpitudes djiboutiennes, plus proches de celles des Pieds Nickelés que des intrigues d’un John le Carré.

Mais avant d’arriver à l’audience, il est certain que Djibouti va réagir à ce nouvel affront. Car au bord de la Mer Rouge, on est désormais convaincu que l’élection de Nicolas Sarkozy marque une rupture dans la gestion des affaires franco-africaines.