20/03/08 (B439) IRIN (ONU) / L’AFRICOM, une force à vocation militaire, mais pas humanitaire (Info lectrice)
WASHINGTON, 18 mars 2008 (IRIN) – Lors d’un important compte-rendu devant le
Congrès, le 13 mars, le général William « Kip » Ward, commandant en chef de
l’AFRICOM, le commandement régional américain pour l’Afrique, a, au cours
d’une séance de remarques préliminaires de quatre minutes trente, consacré
quinze secondes aux missions humanitaires éventuelles que l’AFRICOM pourrait
être amenée à remplir.
Plutôt axées sur l’entraînement militaire, le renforcement de la sécurité et
la lutte contre le terrorisme, ses remarques contrastaient nettement avec
l’annonce, faite il y a un an par les autorités américaines, et selon
laquelle l’AFRICOM concentrerait ses opérations sur l’aide humanitaire. Des
informations qui avaient suscité des réactions de la part de bon nombre
d’organisations humanitaires, inquiètes à l’idée que l’implication de
l’armée américaine dans le domaine de l’action humanitaire puisse porter
atteinte à leur neutralité.
« Nos forces soutiennent également les opérations humanitaires. Les
programmes de l’armée américaine viennent en appui de l’action de l’Agence
américaine pour le développement international [USAID] », a déclaré le
général Ward devant la Commission des forces armées de la Chambre des
représentants américains. Les forces armées américaines ont également mené
des opérations de déminage et encouragé la mise en ouvre de programmes de
sensibilisation au VIH/SIDA au sein de certaines armées africaines, a-t-il
ajouté.
Malgré le changement d’objectif, bon nombre d’ONG restent plutôt sceptiques
quant à la dimension humanitaire que pourrait avoir la mission de l’AFRICOM.
Linda Poteat, directrice des programmes de gestion des catastrophes au sein
d’InterAction, un consortium d’organisations à but non-lucratif, basé aux
Etats-Unis, a indiqué qu’elle attendait encore de savoir quel était le
mandat exact de l’AFRICOM, soulignant que l’énoncé des objectifs de la force
américaine n’avait toujours pas été communiqué.
Quant à Jim Bishop, président du service des politiques et pratiques
humanitaires à InterAction, il a eu de longs entretiens avec les autorités
américaines sur le mandat de l’AFRICOM. Le mois dernier, il a affirmé que le
commandement de l’AFRICOM maintenait qu’il allait s’engager dans des
opérations qui relevaient plus des compétences des agences civiles du
gouvernement américain et des ONG.
« L’image que doit présenter l’Amérique à ceux qui ont besoin de
développement économique et d’une aide humanitaire devrait être celle d’un
travailleur humanitaire coiffé d’une casquette de baseball, plutôt que celle
d’un soldat ou d’un marine portant un casque », a expliqué M. Bishop à IRIN,
après un débat officiel sur la militarisation de l’aide devant la Commission
des Relations extérieures du Sénat, en février.
Changement de priorité
Selon J. Stephen Morrison, directeur du programme Afrique au Centre des études stratégiques et internationales (CSIS) et co-auteur du récent rapport
du CSIS sur l’AFRICOM, il y a un changement de priorité.
« Ils n’ont pas abandonné l’idée selon laquelle l’armée américaine a
sûrement des capacités opérationnelles spécifiques qui peuvent être
exploitées dans les domaines de la santé publique et des secours
d’urgence ».
« Ce qu’ils suggèrent est [.] qu’ils ne veulent en aucune façon être perçus
comme une force cherchant à se substituer aux organisations civiles ou à
usurper le rôle de ces dernières dans les opérations humanitaires ou de
développement. Ils veulent recentrer une bonne partie de leurs ressources
sur le type de partenariats sécuritaires bilatéraux qu’ils maîtrisent mieux
et qui correspond à leur principale vocation », a-t-il ajouté.
Depuis que l’AFRICOM a été lancé et qu’on en a fait un commandement
militaire américain spécifique à un continent autrefois partagé entre le
commandement de l’Europe, le commandement central et le commandement du
Pacifique, l’accent mis sur sa vocation humanitaire et développementale a
suscité bien des inquiétudes. Le nouveau commandement militaire compte plus
de diplomates et d’experts humanitaires que les autres Etats-majors de
l’armée américaine.
Le mois dernier, Mme l’ambassadeur Mary Yates, adjointe au commandant des
opérations civiles et militaires de l’AFRICOM, a expliqué à IRIN que dans
les Etats-majors, la nouvelle structure était plus préoccupée par la
planification des opérations et de la logistique.
« Nous sommes en train de changer notre organisation parce que nous pensons
que grâce à cette nouvelle structure, nous serons plus opérationnels sur le
continent », a-t-elle affirmé, ajoutant que certaines incompréhensions
avaient pu se développer lors des premières étapes de la planification.
« Nous allons certainement avoir un rôle de soutien aux programmes
humanitaires et d’aide au développement déjà [en cours] d’exécution sur le
continent », a-t-elle indiqué, tout en soulignant que la plupart des
programmes de développement étaient menés par l’USAID et les organisations
non-gouvernementales (ONG) partenaires. « Nous continuerons simplement à
apporter notre soutien aux actions qu’ils mènent déjà sur le terrain »,
a-t-elle ajouté.
Comme exemple de scénario d’intervention humanitaire, Mme Yates a cité le
cas de catastrophes naturelles où des experts civils des Etats-majors
peuvent planifier plus efficacement les interventions et la logistique.
L’armée américaine peut se prévaloir d’une longue expérience en matière
d’aide humanitaire dans ce type de situations, comme cela a été démontré
lors du tsunami de 2004, qui a ravagé certains pays de l’Océan indien.
Une aide aux ONG
Comme autre exemple d’interventions, Mme Yates a cité l’opération médicale
humanitaire menée à bord d’un bâtiment de la marine américaine et qui a
permis de soigner quelque 2 000 personnes par jour au Ghana. De tels
programmes, espère-t-elle, pourraient être multipliés en dépêchant auprès de
l’AFRICOM le personnel du département des services sociaux et de santé ou
des Centres de contrôle et de prévention des maladies.
Le général Ward a fait référence à ce projet au cours de son audition devant
la Commission, soulignant que l’ONG Project Hope « participait [déjà] à
l’opération humanitaire lorsque nous sommes intervenus et aidait le pays
d’accueil en couvrant ses besoins médicaux », qualifiant ce système de «
mélange des puissances douces avec ce que nous faisons, nous ».
Pour Project Hope, l’aide de l’armée américaine est perçue comme une
occasion à saisir. Pour d’autres ONG en revanche, ce « mélange des
puissances douces [et dures] » est précisément un sujet de préoccupation car
localement les populations peuvent confondre les rôles de l’armée et des
humanitaires.
Selon M. Bishop d’InterAction, l’AFRICOM ne doit s’engager dans des actions
humanitaires que « s’il est le prestataire de dernier recours, mais doit
éviter toute implication dans les opérations d’aide au développement. Nous
pensons que son rôle de soutien se justifie en matière d’aide humanitaire,
mais pas dans le domaine de l’aide au développement. Ce n’est pas de son
ressort, il n’a aucun avantage concurrentiel et a très peu d’expérience dans
ce domaine », a-t-il souligné.
A la suite des déclarations du général Ward, M. Morrison du CSIS a affirmé
qu’en cas de catastrophe naturelle, le commandement pourrait être en mesure
d’offrir des services exclusifs.
« Dans le cas d’une situation urgente et grave, nécessitant une intervention
rapide dans un contexte instable, l’armée à des capacités opérationnelles
spécifiques. Les ONG le reconnaissent et peuvent bénéficier de cette
rapidité d’action et de la couverture sécuritaire que ce type d’opérations
suppose », a-t-il fait remarquer.
« Je pense que ce que les ONG ne veulent pas, c’est voir l’armée jouer les
premiers rôles dans des situations plus stables, où les organisations
civiles devraient plutôt apparaître en première ligne [.] Je pense que cela
amène à s’interroger sur les conditions générales dans lesquelles l’armée
interviendra et sur le type de partenariats qu’il faut établir avec elle »,
a-t-il indiqué.