13/06/08 (B451) LE TEMPS (Suisse) Ogaden, un drame dissimulé par Addis-Abeba

ETHIOPIE. L’ONG Human Rights Watch dénonce la chape de plomb qui pèse sur les brutalités commises par les troupes d’Addis-Abeba à l’encontre de la minorité somalie dans le sud-est du pays.

Angélique Mounier-Kuhn
Vendredi 13 juin 2008

Une répression militaire d’une violence extrême. Une population accablée par un blocus commercial.

En publiant jeudi un rapport sur le traitement réservé par les autorités d’Addis-Abeba à la population somalie de la région de l’Ogaden, au sud-est de l’Ethiopie, l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch (HRW) a levé le voile sur l’une des catastrophes les plus ignorées du monde.

«Depuis la mi-2007, des milliers de gens ont fui dans les pays voisins, Somalie et Kenya, pour se protéger des attaques de l’armée éthiopienne sur les civils et les villages qui se résument à des crimes contre l’humanité», dénonce l’organisation américaine. Elle évoque des déplacements forcés, des viols et des exécutions sommaires.

Offensive militaire

Les pires atrocités se sont produites entre juillet et septembre 2007.

Quelques semaines auparavant, le 24 avril, le Front national de libération de l’Ogaden (ONLF) avait attaqué un site de prospection pétrolière chinois à Abole, tuant près de 70 ressortissants de la République populaire et d’Ethiopiens. En représailles, le gouvernement dirigé par Meles Zenawi a lancé une offensive militaire à grande échelle pour venir à bout des rebelles et de leurs présumés soutiens dans la population.

Fondé en 1984, l’ONLF revendique une autonomie plus large de cette région, délaissée de tout temps par la capitale et frontalière de la Somalie. Semi-désertique et pastorale, elle recèlerait de gisements pétroliers et gaziers. «C’est le cœur du conflit, estime un bon connaisseur de l’Ethiopie. Ces ressources n’ont pas encore été exploitées, mais à qui reviendront les royalties lorsqu’elles le seront? La question n’a jamais été tranchée.»

Depuis l’offensive militaire de l’été passé, l’Ogaden est bouclé par l’armée. Nul journaliste ne peut y pénétrer.

Et, si officiellement une vingtaine d’ONG sont accréditées, elles ne sont plus qu’une poignée à œuvrer dans la région, étroitement surveillées et harcelées par l’administration. Toutes, comme les diplomates étrangers et les spécialistes de la zone, sont taraudées par un même dilemme: informer la communauté internationale de ce qui se trame en Ogaden, où se taire pour ne pas risquer d’en être expulsé et donc d’abandonner la population à son sort.

Car la situation reste aujourd’hui extrêmement critique pour les quelque deux millions de personnes qui n’ont pas quitté la zone conflictuelle. Pris entre les feux des troupes d’Addis-Abeba et de l’ONLF, des centaines d’entre elles sont l’objet de tortures et de détentions arbitraires, relate HRW. Ils sont aussi guettés par les mines, la soif et la malnutrition.

«Guerre économique»

Le bouclage de l’Ogaden s’est en effet doublé d’un blocus commercial officieux.

Il entrave l’accès de ces éleveurs nomades aux denrées alimentaires qu’ils ont coutume d’échanger contre leur bétail. Facteurs aggravants, l’augmentation généralisée du prix des céréales en Ethiopie et le détournement de l’aide alimentaire internationale. «Elle est captée aux trois quarts par l’armée et l’administration. Et le reste n’est pas distribué selon des critères humanitaires mais politiques», explique un spécialiste.

La famine redoutée il y a quelque mois par des observateurs étrangers, comme celle qui s’annonce au centre du pays, ne s’est pas pour l’heure concrétisée. Mais, alors que sévit la sécheresse, la menace que fait peser cette «guerre économique» dénoncée par HRW persiste. «Nous avons pu prendre la parole parce que nous ne sommes plus présents en Ethiopie, depuis que nous en avons été expulsés après avoir dénoncé les violences contre l’opposition, lors des élections générales de 2005», explique John Eliott, l’un des corédacteur du rapport.

HRW enjoint les gouvernements occidentaux, ceux-là même qui fournissent chaque année 2 milliards de dollars d’aide à l’Ethiopie, à ne plus fermer les yeux.

Et notamment les Etats-Unis, qui en ayant fait de l’Ethiopie un allié privilégié de leur croisade contre le terrorisme dans la région, confortent le régime autoritaire d’Addis-Abeba dans l’impunité. Une fois de plus, ce dernier a nié en bloc les «fabrications d’HRW». La chape de plomb pèse toujours sur le drame de l’Ogaden.