05/11/08 (B472) France Soir // Défense – La Royale part à l’abordage des pirates.

Par Philippe Cohen-Grillet

Hier, à Djibouti, le ministre de la Défense est allé à la rencontre des soldats français qui traquent les bandits des mers.

Les rêveurs et nostalgiques en seront pour leurs frais. Les lointains successeurs de Rakam Le Rouge ont perdu en folklore. Les pirates d’aujourd’hui tiennent plutôt du croisement entre Surcouf et Rambo : ils sont organisés, structurés et solidement armés. A bord de leurs embarcations, baptisées skiff par l’armée française, ils n’hésitent pas à prendre d’abordage les navires qui croisent leur route, écumant les eaux du golfe d’Aden.

« Depuis le début de l’année, nous avons été confrontés à cent dix tentatives de piraterie, dont trente et une ont été un succès pour leurs auteurs », comptabilisait, hier, le vice-amiral Gérard Valin, commandant des forces françaises pour l’océan Indien. A bord de la frégate Courbet, croisant au large de Djibouti, il accueillait le ministre de la Défense Hervé Morin et son homologue espagnole, Carme Chacon Piqueras. L’occasion pour les deux ministres de signer une « déclaration d’intention » visant à poser les bases d’une force européenne d’intervention contre la piraterie (lire ci-dessous).

3,5 millions de barils de brut par jour

Entre la Corne d’Afrique et le Yémen, le golfe d’Aden est un point de passage stratégique. « Tous les ans, 16.000 bateaux empruntent ce rail de navigation et 3,5 millions de barils de brut en provenance du golfe Persique y transitent chaque jour », relevait Hervé Morin. Impossible de poster un bâtiment de guerre derrière chaque navire commercial sur une étendue d’eau grande comme la moitié du territoire français.

La Royale joue donc au chat et à la souris avec les pirates. « Notre première mission est d’effectuer du renseignement, de repérer les bateaux suspects ou qui ne devraient pas se trouver là », explique le pacha du Courbet. Illustration, le 26 août dernier, la frégate repère un skiff manœuvré par une dizaine d’hommes et traînant dans son sillage deux autres embarcations, apparemment vides. La reconnaissance aérienne fait apparaître que celles-ci transportent en fait… des échelles ! « Pas très utile pour la pêche », remarque le commandant français.

Il s’agissait de pirates en quête d’une proie. Aussitôt, le Courbet les prend en chasse. S’ensuit une traque qui durera plusieurs jours et nuits : approche, intimidation, montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir. La dizaine de flibustiers s’était postée au beau milieu du rail de navigation, attendant tranquillement qu’un navire vulnérable croise sa route. La marine française a alerté du péril les bateaux croisant dans les parages. Cette fois, les pirates sont rentrés bredouilles.

Ces paramilitaires attaquent au lance-roquettes

Ces bandits des mers ne sont pas pour autant des amateurs qui canotent le couteau entre les dents au petit-bonheur-la-chance. « Ce sont de vrais professionnels, explique l’amiral Valin qui parle d’expérience. Leur organisation est paramilitaire. Ils disposent de moyens importants et d’équipements performants pour mener un assaut. » Les pirates échangent avec leur base arrière via des moyens de communications perfectionnés. Le sabre est rengainé, un abordage se fait désormais sous la menace de lance-roquettes et kalachnikov au poing. Durée d’un assaut, quinze minutes tout au plus.

En avril dernier, les trente Français de l’équipage du Ponant ont enduré une telle mésaventure avant d’être libérés par les commandos-marine. Une partie de la rançon a été récupérée et six des pirates, capturés, attendent aujourd’hui d’être jugés en France. Même scénario en septembre avec la prise en otage d’un couple à bord du voilier le Carré d’As. Cette fois, le sang coulera. Un pirate a été tué par l’armée française.

Largage à haute altitude

Pour libérer le Ponant, les militaires ont mis en œuvre une technique bien particulière et à haut risque : le largage par avion et à haute altitude d’un commando-marine avec son équipement, embarcation comprise, un « trapon » dans le jargon de la Royale. En quelques minutes, les hommes assemblent leur matériel dans l’eau et foncent sur l’objectif. Hier, sur le pont d’envol hélico du Courbet – 35° C à l’ombre et pas d’ombre –, les ministres français et espagnol devaient assister à la démonstration d’un « trapon ».

Las, la mer du golfe d’Aden était quelque peu agitée, le show est donc tombé à l’eau. Plus précisément, il a été limité au largage de matériel. Espérons donc que la prochaine attaque de pirates se déroulera par temps clair, si possible dans la rade de Toulon. Mais plus sérieusement, il eut été en effet bien inutile de faire courir le moindre risque aux hommes.

D’autant que les commandos-marine auront prochainement, à coup sûr, l’occasion d’exercer leurs talents. Un officier confie que l’armée a identifié au moins « trois bandes structurées de pirates ». Chacune compte près de 400 soldats « déterminés », et qui n’ont pas grand-chose à perdre. En fin de semaine dernière, de l’autre côté de l’Afrique, dix hommes dont six Français, employés d’une firme pétrolière, ont été à leur tour pris en otage par des pirates dans le golfe de Guinée.

Leurs revendications restent floues et, a priori, seraient plus politiques que motivées par l’appât du gain. Hier, Hervé Morin préférait « ne rien dire » de cette situation de crise pour des raisons de sécurité. Après avoir brandi la menace, les pirates auraient renoncé à exécuter les hommes un à un.