19/01/09 (B482) Communiqué commun signé par MM. Kassin Ahmed Dini, Ali Abdillahi Iftin et Mohamed Saleh Alhoumékani

Une légende tenace prétend que la République de Djibouti constitue, depuis son Indépendance, un havre de paix et de stabilité dans une région tourmentée.

Pour un pays qui, en 31 ans d’existence, n’en a connu que 8 sans conflit civil (de 1983 à 1991), et qui, depuis la chute de Siad Barré et de Menguistu au tout début de la décennie 90, a toujours été en conflit larvé ou ouvert avec au moins un voisin, dire que cette légende ne repose sur aucune réalité observable est presque une litote.

Deux facteurs expliquent une telle mystification.

Le premier est endogène : toute forme de contrepouvoir ayant été réduite à l’inaction ou au silence, il n’existe plus aucune voix neutre pour énoncer cette simple vérité dont le simple citoyen a conscience : la prétendue stabilité de Djibouti repose en fait sur un baril de poudre pouvant exploser à tout moment !

La dernière preuve en date étant le procès intenté au Président de la Ligue Djiboutienne des Droits Humains pour avoir relaté la découverte d’un charnier de civils au Day.

Le second est exogène : certains acteurs de la « communauté internationale » militairement présents sur le sol djiboutien n’ont pas nécessairement intérêt à une médiatisation excessive (l’affaire Borrel étant réduite à un malencontreux épiphénomène) des multiples violations des droits de l’homme comme de toutes les formes d’inégalité et de dépossession au fondement d’un régime qu’ils seraient presque ingrats de qualifier de dictatorial : on ne peut prétendre à la fois lutter contre le terrorisme international et tolérer le déni de démocratie qui en constitue le terreau le plus fertile.

Et pourtant…

Parce que le régime djiboutien pratique une inégalité entre ses concitoyens, il est tout aussi instable qu’il ne peut entretenir avec les pays voisin des relations pacifiées fondées sur un intérêt général djiboutien qu’il bafoue de par sa nature ségrégationniste.

Et si ses ingérences déstabilisatrices dans les affaires intérieures des restes disloqués de la République Démocratique de Somalie peuvent se quantifier tant ses immixtions débouchent régulièrement sur des centaines de victimes.

Nul n’ignore (et faire semblant de l’ignorer serait pour nous Djiboutiens une politique de l’autruche suicidaire à très court terme) que des combats de plus en plus violents opposent Afar et Issa en Ethiopie, plus exactement entre Adaytou et Gadamaytou dans l’Etat Régional Afar.

Dire que ce conflit est tout à fait artificiel serait aussi inexact que malhonnête : la totale dépendance à l’égard de la nature et la rareté des ressources inhérentes au mode de vie pastoral s’imposent à tous comme une urgence totale et, pour survivre, car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’affrontement avec le concurrent devient une nécessité existentielle.

Par contre, ne pas reconnaître que ce conflit traditionnel est aujourd’hui totalement instrumentalisé par le régime djiboutien (ceux qui trouvent dans l’Etat moderne une ressource familiale sont par définition moins dépendants des aléas de la nature que ceux qui en sont majoritairement tenus à l’écart) qui a théorisé et attise d’une manière permanente et machiavélique une idéologie de perpétuelle antagonisme entre ces deux communautés.

Nous ne pouvons raisonnablement accepter de nous rendre complices par notre silence du massacre des pasteurs Afars et Issas perpétrés soit sur les injonctions d’un régime séctariste soit en réaction à ses manipulations.

Les preuves existent depuis 1984 que ce sont bien des ressources djiboutiennes détournées qui régulièrement sont utilisées pour entretenir ce conflit ethnique.

Exportant en quelque sorte le fondement tribal de sa dénomination, le RPP à l’instar de l’administration coloniale, trouve à travers les exactions commises sur les pasteurs et nomades de cette région, une raison supplémentaire pour entretenir la haine entre ces deux communautés.

Eviter tout rapprochement entre les différentes communautés est une constante fondamentale de la politique intérieure depuis l’indépendance.

Par ailleurs, il lui faut à tout prix imposer l’idée selon laquelle tous les Issas soutiennent non seulement la ségrégation existante dans notre pays mais adhèrent aussi à la conquête militaire des territoires Afar en Ethiopie.

Au passage, les membres de toutes les autres composantes de la nation Djiboutienne sont réduits au rang d’étrangers tolérés, d’allogènes.

Or il n’en est rien à Djibouti !

En février 2005 déjà, d’illustres notables d’Ali-Sabieh, auprès desquels il voulait confirmer le fondement tribaliste de son pouvoir à travers ses investissements (usine de dessalement d’eau, cimenterie, marbrerie, etc.), avaient invité à Ismaël Omar Guelleh à produire le même effort de développement pour toutes les autres régions du pays, et tout spécialement en faveur de celles dont les infrastructures publiques ont été détruites lors du conflit civil.

Alors que, dans le même temps, les plus hautes autorités traditionnelles Afar le remerciaient pour tout ce qu’il avait entrepris pour aider leur communauté à se relever des conséquences d’une guerre qu’ils estimaient injustifiée !

Il n’en est rien non plus en Ethiopie : des notables Issa tout aussi respectables s’élèvent aujourd’hui contre cet Anschluss clanique et clament haut et fort qu’ils veulent vivre en paix avec les Afar là où ils sont et que l’effort de développement aidant, les ressources naturelles disponibles suffisent parfaitement aux deux communautés.

Surtout à l’heure de la mondialisation et des technologies de l’information, où l’effort doit être porté sur la sédentarisation afin que la scolarisation des plus jeunes constitue une rupture générationnelle mettant un terme à ce conflit d’un autre âge. Et des notables Afar de première importance sont disposés à leur tendre la main afin que cesse une tuerie dont les deux communautés sont en fait victimes : le mal est dans les régimes qui permettent de tels massacres !

En tant que démocrates djiboutiens, conscients de la dimension forcément régionale de notre combat, il est de notre devoir de soutenir une telle initiative de paix entre Afar et Issa en Ethiopie : de part et d’autre, ce sont des morts inutiles qui ne font qu’alimenter une haine intercommunautaire qui renforce un régime djiboutien ségrégationniste.

C’est pourquoi nous signataires,

  • condamnons les agissements criminels du régime djiboutien,
  • soutenons pleinement toutes les initiatives tendant à assurer les conditions d’une coexistence pacifique entre Afar et Issa en Ethiopie,
  • invitons les autorités fédérales et régionales éthiopiennes à apporter leurs concours à de telles démarches et mettre en œuvre pour neutraliser les ingérences néfastes du régime djiboutien,
  • appelons le Peuple Djiboutien à combattre ce régime affairiste qui ne sert les intérêts d’aucune communauté particulière et dont l’illusion de stabilité repose sur l’absence d’un dialogue sans tabou ni exclusive de toute l’opposition afin de définir des formes d’action plus appropriées à la nature de cette dictature qui, de toute évidence, ne peut être vaincue par la voie des urnes,
  • invitons les Djiboutiens à cesser de s’ignorer afin d’entamer une réelle politique de cohésion Nationale, condition de notre survie et de l’avènement de la Démocratie,

Fait à Bruxelles le dimanche 18 janvier 2009

Les signataires du présent Communiqué de Presse
Kassin Ahmed Dini,
Ali Abdillahi Iftin,
Mohamed Saleh Alhoumékani.