07/12/10 (B581) Témoignage Mémoire d’un torturé “pour que plus jamais” (Info lecteur)

_____________________________ Note de l’ARDHD

Nous avions publié depuis 1999, de nombreux témoignages de personnes qui avaient été torturées à Djibouti par les forces spéciales de la Gendarmerie nationale ou même de l’Armée et nous diffusions une liste non exhaustible, des principaux coupables. (Lien)

Ce nouveau témoignage très précis nous est adressé par un lecteur. Il a été écrit par une victime, d’origine Gadourci, dont de nombreux membres avaient été ciblées et arrêtés après l’attentat du Café de Paris.

Rappelons qu’en dépit d’un procès "de circonstance" à Djibouti, ni les auteurs, ni surtout le véritable commanditaire de cet attentat qui a fait plusieurs victimes (dont un enfant français qui a perdu la vie) et des atrocités commises ensuite de manière ciblée contre les Gadabourci, n’ont jamais été officiellement démasqués, alors que des indices sérieux existaient.

Ce témoignage avait été publié le 21 mars 1994 dans le bulletin d’information de l’UDD
"L’Horizon" et nous le reprenons, car il faut mettre un terme définitif à la torture dans le monde et à Djibouti.

Il est grand temps que les victimes ou leurs ayant droit engagent des poursuites pénales devant les justices internationales compétentes, à la fois pour faire reconnaître leurs droits de victimes et obtenir réparation et surtout pour faire condamner les coupables, afin qu’ils soient mis hors d’état de nuir et que cela serve d’exemples pour freiner d’autres vocations.

Plus jamais cela !

__________________________ Témoignage d’Awalleh

Awaleh est parti loin, très loin. Pour toujours, il a quitté le siens, sa terre natale qui, dit-il, ne l’a pas gâté. Né à Djibouti il y a une trentaine d’années, il s’est vu rejeté par son pays où l’innocence de son adolescence lui a procuré les rares meilleurs moments de sa vie. Puis, c’est le cortège de malheurs…

Sans travail, sans parents qui puissent subvenir à ses besoins, Awaleh a refusé d’être étranger dans son propre pays en allant tenter sa chance ailleurs où il sera sûr d’être étranger. Torturé des jours entiers, emprisonné de longs mois pour une chose qu’il n’a pas faite, Awaleh est parti loin, très loin…

De son corps mutilé, de son honneur souillé et de sa réputation salie, il ne supporta pas ce qu’il a qualifié de monstruosité : l’amputation de l’esprit. Awaleh est parti loin, très loin. Mais avant de nous quitter, il m’a fait faire le sermon de rapporter l’amputation de l’esprit qu’il a subit. Pour dit-il la rage au coeur que plus jamais de telles atrocité ne se reproduisent. Ses malheurs, termine-t-il, n’est pas un cas isolé et nous tient en garde que tout djiboutien peut, d’un jour à l’autre être précipité dans cette horreur.

Le jour de l’attentat, le 27 Septembre 1990, je me trouvais au Yémen pour affaires. Je ne revins à Djibouti que trois jour après, le 30 Septembre 1990. C’est là que les ennuis commencent. «Ennuis» le mot est trop faible pour expliquer ce qui allait m’arriver. Si l’on m’avait raconté cette période de ma vie, je ne l’aurais jamais cru. Et pourtant…

Le 2 Octobre, deux gendarmes tirant derrière eux mon frère arrêté au lendemain de l’attentat, débarquent chez moi. Je reconnais à peine mon frère tant il avait maigri, mal en point. Son visage exprimait la souffrance de ceux qui reviennent de loin.

Un bref interrogatoire commence sur place. Ils m’ordonnent de leur indiquer la cachette où j’ai entreposé les armes que mon frère m’a donné. Ebahi, je leur réponds que je n’ai pas d’armes, et me tourne vers mon frère pour lui demander une explication. Celui-ci avoue que nous n’avions jamais possédé une arme. Mal lui a pris. Ils le rouèrent de coups de poings et coups de pieds jusqu’à ce qu’il se rappelle de m’avoir confié des armes. Avouer même ce qui n’existait pas, pouvait, seul, mettre fin à son supplice. C’est alors que le mien commença.

Je fus pieds et poings liés puis, conduit à la brigade de la gendarmerie du Q5 où attendait d’autres agents dont la réputation de tortionnaires était connue de tous. A peine arrivé, c’est le supplice de la «balançoire», ils me rouèrent de coups, sur des parties bien choisies de mon corps.

Cent fois, j’ai cru mourir à cause de la serpillière arrosée d’eau javellisée qui m’entourait la tête et m’étouffait. Je hurlais tellement fort qu’ils durent s’arrêter. Au bout d’une heure, incapable de placer une jambe derrière l’autre, ils me traînèrent jusqu’à l’hôtel où j’étais descendu à mon retour du Yémen. Ils arrêtèrent tout le personnel puis le relâchèrent. Motif : il n’était pas «de la tribu suspecte».

On me conduisit ensuite à la brigade d’Ambouli où je me retrouvais avec des personnes que je connaissais pour la plupart. Ces personnes étaient là depuis 3 ou 4 jours : elles n’étaient pas belle à regarder. Leur état physique et moral me fit frissonner de peur me rappelant que l’on me soupçonnait d’avoir fourni les armes du crime.

Ces 50 personnes étaient entassées dans une cellule d’une saleté repoussante à peine capable de contenir une dizaine de détenus. C’était d’autant plus exiguë qu’aucun d’entre eux ne pouvait tenir debout suite aux sévices subis.

Seule pièce à conviction, un pistolet trouvé chez un habitant du Q5, vendeur de khat mais absent sur les lieux. Celui-ci ayant été relâché, car de la tribu au pouvoir ! Eh, oui !..

La torture reprit : coups de poings, de pieds, supplice de la balançoire pendant plus d’une heure. La douleur était telle que je me suis mis à parler d’un mabraz au Q6 où tous mes amis se sont avérés être, par la suite, d’un autre clan que le mien. Un des gendarmes ordonna que cette information n’avait aucun intérêt pour permettre la conclusion dirigée sur un groupe à travers cette enquête musclée.

Excédés, les gendarmes entraînèrent quelques autres détenus et moi-même. Nous étions moins nombreux qu’au départ car une dizaine de co-inclupés se désavouèrent en niant leur appartenance au clan visé. C’est ainsi que j’arrivais dans ce lieu macabre, bien connu pour les tortures inhumaines et ini-maginables qui s’y déroulaient : la «Villa Christophe» à Ambouli.

Durant sept nuits et sept jours, je fût bastonné, la serpillière sans cesse arrosée d’eau javellisée parfois de whisky, sans oublier les séances d’électrochocs, voilà le régime quotidien auquel j’étais soumis. Avec un sadisme inimaginable, les tortionnaires choisissaient les parties les plus sensibles de mon corps. Dès que je m’évanouissais à bout de forces, ils m’envoyaient trois ou quatre décharges électrique pour me ramener à la vie et la torture reprenait de plus belle.

Inhumains jusqu’au bout, il était vain d’attendre un quelconque attendrissement.

Mille fois j’ai prié Allah de m’ôter la vie, de mettre fin à mes souffrances. Personne ne pourrait jamais imaginer ce que j’avais enduré pendant cette sinistre semaine d’Octobre 1990. Les tortionnaires, fidèles à leurs maîtes et égaux à eux-mêmes, s’en sont donné à coeur joie.

L’un d’eux à même dit aux autres qu’il fallait en profiter, qu’ils ne devaient avoir pitié, que cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eu une si belle occasion pour montrer l’étendue de leurs répertoires de tortures.

Celui-là, je le reconnais aujourd’hui, et le croise souvent en ville.

Parfois, on se fixe des yeux. Lui s’attendant sûrement à ce que je lui saute dessus pour me venger, tandis que moi, je me demande comment cet homme ordinaire, d’apparence si semblable à nous autres djiboutiens peut être capable d’affliger de telles atrocités sur ses semblables.

D’ailleurs, ces tortionnaires je les connais tous.

Pour mener à bien leur sale besogne, ils se dopent à la drogue et au whisky dont les bouteilles vides servent ensuite pour les tortures. Les seules pièces à conviction n’étaient autre qu’une valise vide, une machine à écrire et une liste servant à la collecte familiale (en somali QAADHAAN).

Sous la torture, la plupart d’entre nous étions à bout et prêts à tout. Les uns dénonçaient des amis de mabraz, les autres, parlent de caches d’armes quelque part… Les plus pathétiques donnaient même les noms de leurs propres frères, soeurs ou parents.

Situation qui engendra la rafle de plus de 200 personnes.

Le 10 Octobre, après une semaine de tortures sans relâche, l’enquête administrative commençait. Quinze d’entre nous (dont moi-même) «fournisseur d’armes» furent interpellés, et jugés comme les plus «dangereux».

Nos tortionnaires souhaitaient enregistrer un mea culpa pour l’établissement du P.V. destiné aux juges. Ce qui fut fait car c’était la seule issue nous permettant de hâter le procès. Cet endroit macabre me rappellera toujours : impuissance, rage, et haine.

Le 11 Octobre, direction le tribunal; nous sommes exactement 24 personnes à y être emmenées. Une dizaine de torturés dont quatre “terroristes” considérés comme les plus dangereux et une autre dizaine choisis au hasard. Se souvenant in extremis que, suite au déclarations des témoins oculaires de l’attentat, parmi les présumés terroristes il n’y avait pas de barbus, les policiers ont emmené, dare dare, l’un de nos barbu au coiffeur et récupéré les poils pour les remettre aux juges.

Fait étonnant, notre procès a mobilisé une ribambelle d’agents de sécurité placés tout autour du tribunal et ce, sur un périmètre de 500 m sans oublier l’escorte de 50 flics armés jusqu’aux dents qui rappelait les légendaires procès des Brigades Rouges.

Dans la salle d’audience, les magistrats arrivent difficilement à dissimuler leurs émotions devant l’état physique des prisonniers. En effet, aucun de nous n’étaient en mesure de s’asseoir, encore moins se tenir debout devant le prétoire, à cause des sévices endurés. A cet effet, deux policiers étaient, d’ailleurs mobilisés pour garder debout celui qui serait invité à la barre.

Pour toute preuve, les policiers possédaient toujours la valise vide, la machine à écrire, la liste de Qadhan et puis maintenant les poils de la barbe. Aussitôt après la présentation des pièces à convictions, on lisait, sans le moindre difficulté, sur le visage des juges la stupéfaction. L’un après l’autre, nous avons tous rejeté en bloc toutes les accusations contre nous.

Nous avons fait remarquer aux juges que les aveux contenus dans les procès verbaux étaient obtenus sous la torture.

Pour ma part, j’ai insisté sur le fait que je ne me trouvais même pas à Djibouti la nuit de l’attentat et que les cachets de la PAF sur mon passeport peuvent attester de mon absence de trois mois du pays. Mais tous nos efforts ont été vains et ne purent convaincre les juges qui, en fait, connaissaient à l’avance le verdict.

Lequel verdict nous conduisait, comme prévu au scénario, directement à Gabode sans donner d’autre précision. A midi, nous nous retrouvâmes à douze à Gabode, les autres étant relaxés sous liberté provisoire.

Insultes, humiliations diverses, réprimandes ponctuent notre accueil à Gabode.

Cette mauvaise réception était le fait du personnel de la prison qui croyait sincèrement à nos crimes. Notre arrivée bouleversa les habitudes de la prison.

Les semi-libertés des prisonniers en fin de peine et bénéficiant de larges facilités de mouvements à l’extérieur et particulièrement ceux dont nous partagions la même tribu étaient étroitement surveillés.

Les trois “terroristes” et moi prenions possession de la cellule N°12 conçue pour les grands criminels et où les menottes sont de rigueur jours et nuits. Les matons, il faut les appeler ainsi, prenaient grand plaisir à nous réprimander et gardaient pour eux toutes les choses intéressantes, à leur yeux, que nos pauvres parents nous faisaient parvenir.

Les plus dur d’entre eux, je m’en souviendrai toujours, était un caporal de la police qui répétait sans cesse “Notre Etat” faisant allusion à sa tribu. Je connais son nom. Les matons étaient extrêmement désagréables à notre égard à cause de la Télé et de la radio où diverses personnalités de l’Etat se succédaient pour nous enfoncer nous, ainsi que toute la communauté dont nous étions issus. On les entendait dire souvent “ABEESO FAR LO TAAGEY…” .

A ces pressions s’ajoutaient les problèmes inhérents à notre santé.

Pendant plus d’un mois et malgré nos nombreuses blessures consécutives aux tortures, nous n’étions pas autorisés à nous rendre à l’infirmerie. Il a fallu attendre un mois pour que les visites nous soient accordées. Nos parents ont pu alors nous fournir les médicaments nécessaires.

C’est dans cette ambiance malsaine que nous avons fait la connaissance d’un jeune éthiopien, en semi-liberté repris, qui nous fit des révélations époustouflantes. Ce jeune jurait connaître les terroristes.

Il les aurait rencontrés à la frontière Djibouto-Ethiopienne à Dawanleh précisément, la nuit de l’attentat et pendant leur fuite vers l’Ethiopie.

Nous nous sommes demandés ce qui pouvait l’inciter à faire ces révélations qui, du fait qu’elles contredisaient la version officielle, risquaient de lui causer pas mal de problèmes.

En fait, il imaginait tirer profit de ces révélations qui devraient, selon lui intéresser les autorités françaises. Mal lui en a pris, il déclencha le colère des matons qui lui ont fait voir de toutes les couleurs.

Considérant ces déclarations comme salutaires, nous avons écrit, par l’intermédiaire de nos parents, aux juges qui convoquèrent aussitôt le jeune homme. Celui-ci confirma ses dires malgré les menaces des policiers l’accompagnant au tribunal.

Plus dangereux pour lui, il reconnut parmi une vingtaine de photos celles des vrais auteurs de l’attentat. En vain, toutes ces gesticulations ne donnèrent aucun effet et restèrent sans suite. Et l’on n’a plus revu le jeune Ethiopien.

Notre découragement était total, le moral à zéro d’autant plus que notre avocat, Maître AREF, nous a rejoint à Gabode pour une affaire aussi ténébreuses que la nôtre. Notre calvaire continua et nous perdîmes tout espoir jusqu’au jour où à notre agréable surprise, nous sommes relaxés sans explication. Soudain, semble-t-il, tous les chefs d’accusation se sont envolés.

Bien que lavés de tous les soupçons, nous n’avons jusqu’aujourd’hui rien reçu comme dédommagement qu’il soit financier ou moral. Nous n’avons même pas eu droit à une annonce officielle de notre innocence comme lors de notre accusation.

L’affaire est aujourd’hui d’actualité et arrive peut-être à son terme.

Quelques uns des auteurs seraient sous les verrous mais les vrais commanditaires sont en liberté.

J’attends d’Allah que justice soit faite.

Awaleh