19/06/05 (B303) A lire sur le site de RFI : Affaire Borrel : qui joue à cache-cache avec la vérité ? (Sous la plume de David Servenay) (Info lecteur que nous remercions ..)
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Près de 10 ans après l’assassinat du juge français Bernard Borrel à Djibouti, deux instructions judiciaires conduites en France tentent de cerner la vérité et provoquent des remous dans les relations entre Paris et son ancienne colonie qui abrite la plus importante base militaire française à l’étranger. Après des mois de tergiversations, la justice française vient de décider de ne pas transmettre le dossier aux autorités djiboutiennes.
L’image est forte, le geste simple et direct. Doigts écartés, paume ouverte et bras droit enveloppant, le président de la République française, Jacques Chirac, enjoint à son invité de répondre aux questions des journalistes regroupés derrière un cordon dans la cour du Palais de l’Elysée. Protocole oblige, l’invité s’exécute, en habitué du rituel des visites politiques.
Ismaël Omar Guelleh, président de la République de Djibouti, répond brièvement à quelques questions courtes : l’amitié avec la France, l’ancienneté des relations franco-djiboutiennes, la confiance renouvelée. Soudain, une voix fuse de la forêt de micros et caméras : « un mot sur l’affaire Borrel, monsieur le Président ? ». L’homme reste muet, comme s’il n’avait pas entendu la question. Deuxième interpellation. Il recule d’un pas. Un brouhaha s’élève, le président djiboutien sourit et lève la main pour indiquer que l’entretien est terminé. Il tourne les talons et monte à l’arrière de la grosse voiture qui l’attend. La porte claque. Surprise. A ce moment précis, Jacques Chirac redescend les marches du perron pour saluer son visiteur à travers la vitre fumée. La voiture démarre, le président français regagne son bureau.
La plus grande base militaire française à l’étranger
Ce matin du 17 mai 2005, Jacques Chirac et Ismaël Omar Guelleh ont conversé pendant une heure en tête-à-tête. De quoi ont-ils parlé ? Peut-être de la réélection haut la main (96% des suffrages exprimés) du président djiboutien le 8 avril dernier. Il était le seul candidat, l’opposition ayant boycotté le scrutin. Sans doute ont-il évoqué le dispositif anti-terroriste installé à Djibouti : pour les Français, une grosse station d’écoutes et la plus importante base militaire à l’étranger, forte de 2 850 hommes.
Mais le porte-parole de la présidence, Jérôme Bonnafont, évoque un autre sujet : les deux hommes ont parlé de l’affaire Borrel. Le président français a d’abord «rappelé que la justice est indépendante et conduit l’instruction dans le respect de ce principe». «Toutefois, ajoute le porte-parole, le parquet a demandé au juge d’instruction de mener celle-ci, qui se prolonge depuis maintenant dix ans, dans les meilleurs délais». C’est tout.
Le commentaire est pour le moins laconique s’agissant d’un magistrat français détaché à Djibouti dans le cadre de la coopération et retrouvé mort, le 19 octobre 1995, au pied d’une falaise, à 80 kilomètres de la capitale. Laconique, dans la mesure où les responsables politiques savent que Bernard Borrel a été assassiné. Ils le savent, parce que tous les magistrats ayant une connaissance approfondie du dossier ont lu les résultats des expertises médico-légales et celles-ci invalident l’hypothèse du suicide. Tous les magistrats, y compris ceux du parquet de Paris, dont la tâche est d’informer scrupuleusement la Chancellerie de l’évolution des dossiers « signalés ». Or, ni Jacques Chirac, ni aucun ministre de la Justice, n’a publiquement dit qu’il fallait identifier les coupables dans les plus brefs délais et les châtier sévèrement comme on pourrait s’y attendre. Pas d’éloge funèbre pour le troisième magistrat français assassiné depuis le début de la Ve République en 1958.
Bernard Borrel : un Français banal
Mais après tout, peut-être Bernard Borrel a-t-il été victime d’une sordide histoire privée ? Depuis bientôt dix ans, les rumeurs les plus diverses n’ont cessé de courir sur ce thème.
Drogué ? Bernard Borrel ne l’était pas, malgré la boule de résine de cannabis découverte dans la poche de son short sur le lieu du crime. Les analyses toxicologiques de ses cheveux n’ont pas révélé la moindre trace de cannabinoïde ou d’amphétaminique.
Amateur de femmes ? Les enquêteurs de la Brigade criminelle remonteront la piste d’une chambre d’hôtel loué fin août 1995, lors d’un passage à Paris. D’après l’hôtelier, le client était en galante compagnie. En l’occurrence sa femme, Elisabeth, que les policiers n’ont pas interrogée.
Un enfant naturel ? Les gendarmes de Muret, près de Toulouse, ont vérifié ce point auprès d’une jeune femme d’origine malgache, dont le jeune Bernard Borrel s’était épris, avant de rencontrer sa femme et de rompre cette relation tout en restant en contact. La jeune femme a bien eu une fille, que les Borrel ont accueillie en vacances, à Djibouti. Mais cette adolescente n’est pas la fille de Bernard Borrel.
Pédophile peut-être ? Là encore, la rumeur a couru les milieux judiciaires, car deux témoins ont parlé, dans la procédure, d’un expatrié homosexuel notoirement connu comme tel. Sans la moindre preuve, ils ont évoqué à son encontre des rumeurs d’actes pédophiles. Or, il ne s’agit pas de Bernard Borrel, dont les juges ont pourtant présenté la photo à des enfants des rues de Djibouti. Personne ne l’a reconnu.
Eric Halphen, ex-juge d’instruction, bon connaisseur des réseaux politico-financiers, y décèle la patte des services secrets. «Lorsqu’on veut salir quelqu’un, le décrédibiliser, dit-il, on lui construit une légende en jouant sur différents ressorts. Les Anglais appellent cela le MICE, le pluriel de souris, M comme Money, I comme Ideology, C comme Compromission, E comme Ego.»
Bernard Borrel n’était rien de tout cela, mais plutôt un homme rangé, marié, père de deux enfants, catholique à la fibre sociale, gaulliste convaincu, ayant voté deux fois Mitterrand en 1981 et 1988 avant d’opter pour le Jacques Chirac de la fracture sociale en 1995. Un Français banal.
Quand le droit prend des airs tordus, Borrel résiste
Le juge Borrel, lui, était un homme beaucoup moins banal. Officiellement conseiller technique auprès du ministre de la Justice, Moumin Bahdon, il était spécifiquement chargé de réformer le code pénal djiboutien. Il fit aussi adopter par l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort. Il était enfin plusieurs documents en attestent le magistrat de liaison attitré du juge anti-terroriste Roger Le Loire, chargé d’instruire plusieurs dossiers franco-djiboutiens. Plusieurs collègues du juge Borrel le décrivent comme un homme très rigoureux, bon professionnel, gros travailleur, soucieux de poursuivre avec la même volonté le menu fretin et les gros délinquants. Il fut aussi le genre de procureur qui ose s’opposer aux ordres de sa hiérarchie, lorsqu’il estime que le droit prend des airs tordus. Ce sens du métier le poussera d’ailleurs à refuser une proposition alléchante d’entrer dans le cabinet du ministre socialiste Pierre Arpaillange. Trop de compromis à faire.
Le raisonnement des enquêteurs, qui dissèquent cette personnalité, est donc de chercher dans son environnement professionnel ce qui peut fournir un mobile à l’assassinat. Plusieurs mois avant sa mort, Bernard Borrel avait confié à ses proches ce malaise entre un sens aigu du rôle de la justice et une réalité politique et sociale plus ambiguë. Il voulait quitter Djibouti. Ses interlocuteurs à la Chancellerie le savaient. Pourquoi ? Personne ne l’a vraiment expliqué à la juge Sophie Clément, qui instruit à Paris, depuis 2002, l’enquête sur l’assassinat du juge Borrel.
Deux témoignages qui dérangent Djibouti
Pour tenter d’y voir clair, le magistrat instructeur va suivre une autre piste : celle qui conduira vers les services secrets français, dont l’activité à Djibouti est importante compte tenu des intérêts français sur place. En fait, ce sont les manuvres en coulisse des services djiboutiens qui l’ont, involontairement, mise sur la piste. En 2000, puis en 2002, deux anciens officiers de la garde présidentielle djiboutienne font défection pour se réfugier à Bruxelles. Tout deux racontent à la justice française ce qu’ils savent de l’affaire.
Le premier, Mohamed Alhoumekani, dévoile le contenu d’une conversation, le 19 octobre 1995, dans les jardins du palais présidentiel, conversation où un terroriste, Awalleh Guelleh, dit à Ismaël Omar Guelleh: «le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces».
Le second, Ali Iftin, ex-commandant de la garde présidentielle, assure que Hassan Saïd, le chef des services secrets djiboutiens, la SDS, l’a forcé à écrire une lettre pour décrédibiliser le témoignage de Mohamed Alhoumekani, son ancien subordonné. Dans les semaines suivant leurs déclarations, l’un et l’autre sont l’objet d’intimidations, directes ou indirectes sur leurs parents restés à Djibouti. Puis le pouvoir djiboutien envoie des émissaires pour les amadouer. En échange d’une rétractation, ces visiteurs, assurent les deux hommes, leur proposent titres ronflants ambassadeur et monnaie sonnante plusieurs millions d’euros. Parmi ces envoyés, selon eux, des militaires français et de haut-fonctionnaires djiboutiens.
Pressions sur des témoins : l’affaire dans l’affaire
L’un de ces intermédiaires est moins prudent que les autres. Il s’appelle Djama Souleiman, il est procureur de la République à Djibouti. A plusieurs reprises, Djama Souleiman approche Mohamed Alhoumekani, par téléphone d’abord, puis de visu, dans la capitale belge. Des enregistrements, des photos, des témoignages attestent de ces manuvres. Autant de preuves aujourd’hui entre les mains d’un juge d’instruction de Versailles, qui instruit cette affaire dans l’affaire après que les avocats d’Elisabeth Borrel ont porté plainte pour «subornation de témoins».
Convoqué comme témoin par la juge Pascale Belin, en septembre 2004, le magistrat djiboutien ne s’est pas présenté malgré la volonté affichée publiquement de faire toute la lumière sur cette affaire. Le 7 janvier 2005, le calendrier judiciaire s’accélère brutalement : dans un arrêt de dix pages, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles donne son feu vert à l’audition des deux principaux suspects de ce dossier : Hassan Saïd et Djama Souleiman. Compte tenu de la « coutume internationale », les juges écartent l’audition du chef de l’Etat, en revanche les deux fonctionnaires djiboutiens étant, au regard du droit, des citoyens comme les autres, leur statut judiciaire est celui du vulgum pecus. Un nouveau refus de leur part de prêter leur concours à la manifestation de la vérité entraînerait, automatiquement, l’émission de mandat d’arrêt internationaux, ce mandat ayant valeur de mise en examen du chef de « subornation de témoins ». Ce coup de tonnerre juridique est parfaitement décrypté par Francis Szpiner, défenseur du régime djiboutien et, par ailleurs, avocat attitré de l’Elysée. A 8 000 kilomètres de Paris, le sang d’Ismaël Omar Guelleh ne fait qu’un tour. Le temps des représailles est venu.
Djibouti hausse le ton contre la France
Première étape : couper l’émetteur de RFI à Djibouti, le 12 janvier, en arguant, plus tard, d’un « parti pris » éditorial de notre antenne. Deux semaines plus tard, six coopérants assistants techniques français (santé, éducation, développement rural) sont expulsés du pays. Les diplomates français encaissent : « la France prend note avec regret, dit le communiqué du ministère des Affaires étrangères. Contrairement à ce qui a pu être écrit encore récemment dans certains journaux, rien, dans ces documents [des documents secret-défense qui viennent d’être communiqués à la justice], ne permet de conclure à la mise en cause des autorités djiboutiennes ». Lecture toute diplomatique des notes des services secrets français
Puis le Quai d’Orsay annonce qu’une « copie du dossier relatif au décès du juge Borrel sera prochainement transmise à la justice djiboutienne en vue de permettre aux autorités compétentes de ce pays de décider s’il y a lieu d’ouvrir une information judiciaire à ce sujet ». Or, par un soit-transmis du 13 septembre 2004, la juge Sophie Clément a déjà répondu que « la transmission demandée me paraît tout à fait inopportune ». Or, qui a demandé cette transmission ? Le procureur de la République de Djibouti, Djama Souleiman. La déclaration indigne la veuve du magistrat. «Cette prise de position du quai d’Orsay, déclare son avocat maître Olivier Morice, constitue une ingérence intolérable du pouvoir exécutif dans une information judiciaire en cours». Tous les juristes ont compris que le magistrat djiboutien tente d’utiliser l’astuce procédurale du non bis in idem (on ne juge pas deux fois pour les mêmes faits), astuce qui permettrait de juger des boucs émissaires à Djibouti en bloquant définitivement le dossier français au motif que les faits ont déjà été jugés. Le 14 juin, la justice française a mis un terme aux espoirs djiboutiens en indiquant que le dossier ne serait pas transmis.
Les avertissements d’Ismaël Omar Guelleh
La deuxième étape des représailles est politique. En avril, candidat sans opposant à sa réélection, Ismaël Omar Guelleh profite d’un entretien avec la presse internationale pour évoquer l’actualité du moment. RFI n’est pas de la partie, les autorités ayant refusé un visa à notre envoyé spécial chargé de couvrir l’événement. Face aux journalistes du Figaro et de l’Agence France Presse, le chef d’Etat réfute toute accusation d’un argument simple où le ton se veut ferme : «on nous dit qu’on a assassiné quelqu’un qui est venu (nous) servir, qui est venu (nous) aider au ministère de la Justice. S’il y avait eu un problème avec ce monsieur Borrel, pourquoi on ne lui aurait pas demandé de partir ». Il ajoute : «on n’a rien à voir dans cette histoire », et précise n’avoir « jamais vu l’intéressé».
Et le chef de l’Etat djiboutien de conclure par cette phrase sybilline : «Si demain quelqu’un tombe dans sa salle de bain, on va me dire que c’est moi qui l’ai tué. Il vaut mieux qu’ils [les coopérants] rentrent chez eux avec leur famille, comme ça ils n’auront pas d’autres Borrel sur la conscience.» Est-ce une menace, un aveu ou une simple allusion à la liste complémentaire de 24 noms de coopérants prête, selon nos informations, à être utilisée pour un second train d’expulsion ? Que signifie cette expression avoir «d’autres Borrel sur la conscience» ? Laissant les pythies de la géopolitique à leurs réflexions, le président djiboutien a effectué la première visite à l’étranger de second mandat à Washington avant de s’arrêter, sur le chemin du retour, à Paris. Un arrêt de courte durée, car en sortant de l’Elysée, après cette chaleureuse accolade et cette double descente de marches du perron, un fax adressé à l’ambassade de Djibouti allait assombrir son humeur.
Ce fax provient du bureau de la juge d’instruction en charge de l’enquête sur l’assassinat du juge Borrel et elle convoque Ismaël Omar Guelleh dans son bureau le lendemain matin. A quel moment son aide de camp a-t-il prévenu le chef de l’Etat djiboutien ? Avant, pendant ou après l’entretien avec Jacques Chirac ? La version officielle des Djiboutiens nous dit qu’Ismaël Omar Guelleh était déjà loin du territoire français lorsque la convocation comme témoin signée par la juge Clément lui est parvenue ce mardi 17 mai. Si aucun texte n’empêche un chef d’Etat de coopérer avec la justice d’un Etat étranger à titre de témoin, les usages sont bien différents.
Les notes des services secrets français privilégient la thèse du suicide
Aux yeux d’Ismaël Omar Guelleh, c’est un nouvel affront. Le seul précédent en la matière, en dehors du cas Pinochet, est celui du colonel Kadhafi convoqué en octobre 1999 par le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, dans l’affaire du DC-10 d’UTA, convocation finalement invalidée par la Cour de cassation. En foulant le tarmac, à son arrivée à Djibouti, le président djiboutien est en colère. Colère contre ces juges français qui lui en veulent, contre cette presse française qui « fait campagne » et contre ces fonctionnaires du renseignement djiboutien incapables de régler cette affaire, ni même de l’avertir de ces aléas.
En fait, l’implacable mécanique judiciaire est en train de se refermer, petit à petit, et de mettre en pièces des vérités successives. Sinon, comment expliquer qu’Ismaël Omar Guelleh n’ait « rien à voir » avec cette histoire, alors qu’il dépêche à Bruxelles des émissaires chargés de négocier la volte-face des témoins que sont Mohamed Alhoumekani et Ali Iftin ? Que faut-il comprendre aux déclarations de plusieurs officiels djiboutiens qui présentent le sujet comme une «affaire franco-française» ?
En fouillant les archives des services français, la juge Clément n’a pas obtenu de réponse très convaincante. D’un côté, des notes « secret-défense » déclassifiées après le filtre prudent de la Commission consultative du secret de la Défense nationale. Quelques-unes sont antérieures à la période des faits, 1993 et 1994. D’autres sont postérieures à la mort de Bernard Borrel, ce sont les notes adressées au gouvernement Jospin, de 1997 à 2002. En résumé, ces notes privilégient largement l’hypothèse du suicide au détriment de celle de l’assassinat. Et ce, même après les premières déclarations de Mohamed Alhoumekani.
«Informations compromettantes»
Par ailleurs, ces notes rappellent à leurs lecteurs que l’affaire Borrel peut mettre en péril les relations franco-djiboutiennes. Comprenne qui pourra dans ce langage d’initiés. La chronologie absence de notes pour les années 1995 et 1996 suffit à nourrir des interrogations. Mais ce n’est pas tout. Pour tenter de comprendre la perception, l’analyse et la réponse des services de renseignements, la juge convoque dans son cabinet tout ce que Djibouti comptait d’agents plus ou moins secrets à l’époque des faits. Du commissaire du SCTIP (service de coopération de la police) aux représentants de la DPSD (sécurité militaire), en passant par les hommes de la DGSE (service d’espionnage), tous ont un avis sur l’affaire Borrel. En témoigne la réunion qui eut lieu le 21 octobre 1995, rassemblant tout ces hommes deux jours après la mort de Bernard Borrel, chacun développe son point de vue : suicide ou assassinat. Un seul se pose d’autres questions, il était alors en poste à Paris.
Voici comment cet agent de la DGSE entame son récit : «fin 1995, j’ai reçu, dans le cadre de mes activités professionnelles, des informations selon lesquelles Bernard Borrel serait mort, que cette mort serait due à un suicide fondé sur des tendances pédophiles. ( ) En réalité, poursuit le témoin, il aurait été assassiné en raison d’informations compromettantes qu’il aurait recueilli dans le cadre de ses activités professionnelles à Djibouti. » L’espion ne va pas plus loin sur les faits, mais il précise: « cette source m’a donné des détails sur la légende construite autour de la mort de Bernard Borrel pour dissimuler l’assassinat et également pour que sa mort serve d’exemple. » Cette fois-ci, la légende, dans le jargon des espions, est la couverture donnée à un agent ou à une cible pour justifier une version officielle crédible.
Question de la juge : « vous a-t-il dit si des membres du personnel politique djiboutien étaient impliqués dans cet assassinat ? Réponse de l’agent : Il m’a dit que des membres des services spéciaux étaient directement impliqués, au moins dans l’exécution de l’opération. ». Il conclut son audition par ces phrases sibyllines : « Le sens de la DGSE, son seul sens, c’est la raison d’Etat. Elle travaille en dehors de la légalité nationale et internationale, avec des procédures clandestines pour obtenir des renseignements. Sa seule légitimité est la raison d’Etat. Il peut arriver, comme partout ailleurs, qu’il y ait des dérives personnelles ou des coalitions d’intérêt. Dans ce cas, son travail peut être dévoyé, voire dévergondé. Je pense que cela a dû aussi être le cas à propos du décès de Bernard Borrel. ». En se retranchant derrière le secret-défense et la protection des sources du service, ce témoin ne va pas plus loin dans l’explication de texte qui semblait vouloir donner corps à la thèse de l’affaire « franco-française » évoquée par les responsables djiboutiens. Dix ans après la mort du juge Borrel, la vérité a toujours autant de mal à faire surface dans les remous des relations franco-djiboutiennes.
David Servenay
Article publié le 17/06/2005
Dernière mise à jour le 18/06/2005 à 08:00 (heure de Paris)