26/10/06 (B366) Dans l’affaire de l’assassinat du Juge Bernard Borrel, le 19 octobre 1995 à Djibouti, l’État actuel a sa «raison» que la morale publique et la Justice française ignorent. (Justicia.)

La raison
d’État est une raison mystérieuse, inventée sous Richelieu,
par et pour la politique aux fins d’autoriser et de légaliser ce qui
se fait sans raison ni justification. Au fil des siècles, cette "Raison
d’État" s’est toujours octroyée de beaux privilèges,
sans réserve d’aucune sorte. De par la force de son pouvoir et de son
seul jugement, ce qui lui paraît utile lui devient forcément
permis, et tout ce qui est nécessaire est honnête, en fait de
politique.

Inavouables
et illégaux en démocratie bien des actes et des cautions apportées
à Ismaïl Omar Guelleh ont ainsi pu se produire dans cette indigne
affaire d’assassinat de la Justice française, grâce à
l’alibi par trop facile du «Secret Défense», du «Secret
d’État» et des hypothétiques "intérêts
des deux États concernés".

Dans une
telle situation, comment peut-on expliquer qu’un pays comme la France, patrie
des Droits de l’Homme, ose tergiverser voire bafouer impunément les
décisions judiciaires dans l’affaire de l’assassinat de
sa propre Justice, et sur ordre des plus hautes instances de l’État
?

Un
peu d’histoire aide à mieux comprendre mais ne saurait tout justifier.

C’est
aux XVIe et XVIIe siècles que l’État «moderne» s’affirme
par une concentration des pouvoirs et la mise en place d’un «appareil»
lisible. Des penseurs tels que Jean Bodin, Machiavel, Richelieu ou Bossuet
défendaient alors l’absolue nécessité d’un État
fort ; celle d’un État capable de résister au cycle infernal
de la décadence qui fut fatale et entraîna la chute de l’Empire
romain, quelques treize siècles plus tôt.

Pour Machiavel,
la seule finalité de l’État est donc de durer envers et contre
tout et dans ce but, «tous les moyens sont bons pour y parvenir ».

Au siècle
suivant, Richelieu va élaborer le fondement de la «raison d’État»,
qui place la survie, la bonne pérennité et les intérêts
de l’État lui-même au-delà de la morale publique.

«Incarné»
par le roi («l’État, c’est Moi»), l’État sera ainsi
doté d’une «raison» permettant de justifier des actes illégaux
couverts par l’alibi du « Secret d’État ».

Les décisions
se prennent dans l’intimité du Cabinet («le secret du Roi»).
Le pouvoir dit se vouloir toujours plus « parfait », et surtout
d’être en mesure d’exercer le contrôle du pays et de ses habitants
le plus absolu.

La
France, un cas d’école

Si la
prise de la prison de la Bastille (où la royauté tenait ses
ennemis «au secret») est le symbole de la Révolution française
et de l’émergence de la liberté, elle ne marquera pas
l’avènement de la transparence entre le citoyen et l’administration
qui va suivre.

L’État
républicain conservera le goût du secret qui se développera
encore sous Bonaparte qui avait compris que «Le Prince» ne saurait
gouverner qu’à l’abri du secret. Le Ministre Fouché inventera,
quant à lui et afin de « mieux servir » l’Empire,
la police moderne avec ses fiches et ses espions.

La défaite
de 1870/1871, la France la doit à une guerre totalement improvisée
contre le Reich, faute de renseignements ; ce qui amena la chute de l’empire
et la proclamation de la république. Suite à la débâcle,
le «2e Bureau militaire» sera créé et chargé
de l’information au sein de l’état-major, puis ce sera la naissance
d’un service de contre-espionnage.

Dans les
années qui vont suivre, on verra apparaître la première
« bavure d’État » officielle avec l’affaire Dreyfus, éclaboussant
l’«opinion publique» et impliquant des militaires de haut rang
agissant « sur ordres ».

L’alibi
du «Secret Défense»

Guerre
après guerre, en France comme ailleurs, les États ont diversifié
et gonflé leurs secrets, qui se sont étendus bientôt à
l’industrie, à l’économie et à la science. Lorsqu’un
individu partage ses secrets avec un autre, on parle de relation intime, de
confiance.

La France
de Vichy partagera majeure partie de ses secrets avec l’Allemagne nazie (exception
faite de l’endroit où fut entreposé l’uranium de Pierre et Marie
Curie…) et c’est là que les termes de «collaboration»
et « d’asservissement politique »prendront alors tout leur
sens.

Dès
1958, le général Charles de Gaulle saura tirer les conséquences
de cette vigoureuse fraternité de cinq ans. Se défiant de l’allié
américain, il développera dans la plus grande discrétion
la dissuasion nucléaire française, imposera une politique d’indépendance
vis-à-vis de celle des USA et de ses visées et fit du secret
un instrument politique majeur.

Un
mal nécessaire?

Le problème
du secret d’État pose celui du fonctionnement même des institutions
démocratiques et de la transparence. Il existe une contradiction apparente
entre les idéaux démocratiques d’une part inscrits dans la Constitution
et la nécessité pour l’État de mener à bien sa
politique, d’autre part. Il convient d’observer que dans les domaines de la
Défense ou des Affaires étrangères, la réussite
d’une négociation dépend parfois du secret.

Si toutes
les vérités ne seraient donc pas bonnes à dire, le citoyen
serait-il incapable de comprendre certaines choses? On note du moins que ce
que l’on tente d’imposer comme étant le secret d’État
est de moins en moins bien accepté dans des sociétés
dites modernes qui aspirent à toujours plus de transparence ; a fortiori
depuis la fin de la Guerre froide.

Plus
de transparence?

C’est
ainsi que de puissants mouvements associatifs se sont créés
et revendiquent aujourd’hui un droit. Le droit d’être informés,
celui de savoir dans les domaines aussi divers que le nucléaire, le
génie génétique, la pollution, la provenance des produits
de consommation et leur fabrication, les comptes de l’État, la santé
des dirigeants. Mais aussi sur les « suicides » inexpliqués
de hauts fonctionnaires, de ministre, voire de premier ministre, comme sur
les assassinats ou encore sur les «affaires» judiciaires impliquant
des « politiques » ou des élus de la nation.

Les investigations
des médias sur les uns, les unes et les autres, dont les excès
sont jugés dangereux voire criminels par les journalistes d’information
et « indépendants », sont autant « d’affaires
» qui défraient la chronique. D’autres s’agrippent carrément
à la barre du supposé « réalisme » par trop
facile selon lequel, «La sagesse populaire (…) n’ignore pas que les
valeurs sont contradictoires entre elles; que le respect scrupuleux des règles
imposées au simple citoyen ne s’accorde pas toujours avec le service
de l’intérêt général… » et qu’il
convient donc d’accepter cet état de fait et de détourner
la tête, pour ne pas voir…certaines vérités.

Extrême
complexité des relations entre Justice et politique

Par ailleurs,
si l’on n’était pas convaincu de l’extrême
complexité des relations qui existent entre Justice et politique, l’exemple
du déroulement pour le moins scabreux des suites de l’affaire
de l’assassinat du Juge Bernard Borrel suffirait à lever les
derniers doutes que nous puissions avoir dans ce domaine.

Nous observons
une étrange coexistence d’une politique qui se dit être
celle de l’accroissement des libertés judiciaires et du «
Respect de la Justice » (donc de son indépendance par rapport
au pouvoir en place) alors que parallèlement cette même politique
tente, bien maladroitement, d’exercer un contrôle, de poser d’artificieuses
barrières et d’imposer sa seule volonté ; donc le silence
à cette même Justice.

Ceci revient
à dire que, selon certaines considérations, la Justice républicaine
devrait être pleinement aux ordres du pouvoir en place et ne constituerait
de facto qu’une ressource, un creuset pour le politique ; un nécessaire
« outil » pour construire sa grandeur et dorer à l’or
fin ses ambitions comme à justifier a posteriori tous ses actes, souvent
bien éloignées de la « Raison d’État ». Raison
d’État étant, là encore, un alibi que l’on n’a
de cesse de nous opposer pour tenter de masquer, parfois et de manière
si maladroite, des intérêts d’ordre majoritairement privé.

Pour ce
qui ce qui la concerne, la Banque mondiale considère que l’existence
d’une « bonne Justice » dans un pays constitue un critère
déterminant le niveau démocratique du pays concerné.
Un État qui se veut démocratique et moderne est constitutionnel,
en ce sens que son fonctionnement est soumis à des règles explicites
; à une Constitution nationale et à des lois. Dans une telle
logique, les gouvernants ne devraient donc n’être que les «commis
du peuple» de qui ils ont reçu, directement ou indirectement,
pouvoir d’agir en son nom. Tel qu’il se proclame, l’État, dans
la mesure où il a été façonné par la tradition
contractualisée, devrait donc être soumis entièrement
au contrôle des citoyens ou de leurs représentations.

En fait,
cet État a un pouvoir de dernière instance, qu’on appelle communément
« la souveraineté » et qui s’exerce sur tous les citoyens
; y compris sur la Justice, a fortiori si elle ne veut pas être soumise
et aveugle.

Tout ceci
signifie que dans certains domaines, en cas d’urgence et de situation que
le pouvoir politique jugera comme étant d’exception, comme c’est
le cas dans l’affaire Borrel, aucune autorité ne peut être
opposée à la sienne et qu’ainsi l’État n’a de comptes
à rendre à personne, si ce n’est éventuellement à
ses propres instances étatiques de contrôle.

Or les
instances étatiques de contrôle tout comme la Justice française
ont les « mains liées » dès l’instant où
leur est opposé la « Raison d’État » et ses secrets.

Cette
raison d’État est ainsi devenue depuis Richelieu une forme de pouvoir
énorme et incontrôlable des instances gouvernementales.

Comme
le précise le dictionnaire du « petit Larousse », «
la raison d’État est un prétexte allégué pour
justifier une action illégale, une considération de l’intérêt
public justifiant une action injuste ».

Bousculant
les « mauvaises habitudes instaurées », un «appel
pour l’émergence de la vérité sur l’assassinat du Juge
Bernard Borrel» a été signé par plus de 170 personnalités
françaises et étrangères.

Dans cet
« appel pour l’émergence de la vérité »,
les personnalités signataires ont clairement demandé que les
obstacles rencontrés par l’instruction judiciaire en cours soient levés,
notamment en ce qui concerne la remise au juge d’instruction, Madame Sophie
Clément, des documents émanant des services de l’État
français pouvant avoir un lien avec cet assassinat et dont certains
sont toujours classés «Secret Défense».

Dans les
suites de l’affaire de l’assassinat du Juge Bernard Borrel, comme
dans bien d’autres, on peut parler d’une amorce de changement
à l’initiative d’une Justice, sans interférence
politique et consciente de sa charge. En effet, force est de constater que
ce qui relevait d’un traitement confidentiel et particulier de et par
la « sphère politique au pouvoir » (selon la formule consacrée
du « Circulez, y a rien à voir !… ») se déplacerait
de plus en plus fréquemment vers l’arène judiciaire.

Dans cette
affaire, la « petite juge» (qualificatif dont l’a affublé
IOG) est décidemment sans complaisance d’aucune sorte ce qui,
bien évidemment, a le don d’irriter au plus haut point le sacro-saint
pouvoir de l’Élysée préoccupé qu’il est, nous
dit-il, à maintenir les « bonnes relations » avec Ismaïl
Omar Guelleh.

Maintenir
les « bonnes relations » afin de préserver la présence
militaire et civile française à Djibouti ?

Certes
Djibouti a une grande importance géopolitique mais à l’Élysée
serait-on préoccupé, aussi, par la crainte que n’émerge,
à quelques 8 mois des élections présidentielles en France,
un dossier nauséabond car ayant transité en un temps dans les
« caves du Palais de l’Escale ». Dossier vraisemblablement de
première importance et que l’on recherchait désespérément,
y compris au domicile du défunt, dans les heures qui ont suivi la mort
du Juge Bernard Borrel.

Au
fait que pourrait-bien contenir de si important ce dossier au point que l’on
sera allé jusqu’à « suicider », un juge intègre
?

Chut
!!! C’est un « Secret d’État » et n’y revenez pas !!!!