20/03/07 (B387-A) LE SOIR (Belgique) Un charnier de 1994 hante le régime Guelleh

Auteurs:
LALLEMAND,ALAIN

Djibouti Incarcéré ce dimanche, le défenseur des droits
de l’homme agitait un dossier encombrant pour le président

Ce sont sept corps anciens, un charnier sans odeur, des os nus, un massacre
presque oublié. Sept civils abattus le 1er janvier 1994 à Day,
dans le district de Tadjoura, en représailles (ce qu’on appelle un
« ratissage ») pour une embuscade essuyée la veille par
les forces armées djiboutiennes. Un reliquat de guerre civile.

Mais treize années plus tard, ce 9 février
2007, lorsque les sept cadavres ont été exhumés, ces
ossements ont dégagé une forte odeur de soufre dont le premier
à être incommodé ne pouvait être que l’actuel président,
Ismaïl Omar Guelleh.
Une odeur qui lui est montée
au nez pour une raison historique et évidente : le jour où ces
victimes ont été abattues et ensevelies sans sépulture,
l’actuel président était à la tête de la Sûreté
nationale. Dans quelle mesure était-il lié au carnage ?

La responsabilité du pouvoir est certaine.

Comme le déclarera devant le Parlement, dès le 5 janvier 1994,
un ministre du gouvernement, « nous sommes tous des responsables du
même parti. Mais nous devons nous dire la vérité, entre
nous. Les forces armées font toujours des bavures là où
des embuscades lui sont tendues (…) il y a eu extension des ratissages.
Parmi les morts, il y a un vieillard édenté. Tout ceci est regrettable.
» Les aveux sont là, mais ensevelis par l’Histoire.

Quoique.

La découverte du charnier – des corps a priori anonymes – aurait pu
ne connaître aucun prolongement si le président de la ligue locale
des droits de l’homme et correspondant d’Amnesty International, Jean-Paul
Noël Abdi, ne s’était souvenu que, dans une autre vie, avant que
Djibouti ne plonge dans la dictature, il était lui-même élu,
président de commission parlementaire et avait recueilli les déclarations
officielles relatives au massacre.
Désormais défenseur
des droits de l’homme, il lui suffisait de les exhumer et de les poster sur
le Net, au risque d’un nouveau séjour en prison.

Car c’est ce qui s’est passé : ce 9 mars, un mois après la découverte
du charnier, et alors que M. Noël Abdi avait commencé à
en révéler les tenants, un détachement des Forces nationales
de police est venu l’arrêter à son domicile, « sans mandat
d’arrêt, sans même connaître le motif de mon arrestation
», nous a-t-il communiqué. Après avoir été
interrogé à la brigade criminelle, puis incarcéré
le 10 mars à la prison centrale de Gabode, M. Noël Abdi a comparu
le 11 mars devant un tribunal de flagrants délits. Et son passeport
lui a été confisqué, pour être certain qu’il ne
puisse présenter ses dossiers le 14 mars au Burkina Faso, devant le
Congrès de l’Union interafricaine des Droits de l’Homme…

Autre problème : alors que, selon M.
Noël Abdi, les interrogatoires de la brigade criminelle portaient sur
le charnier de Day, le tribunal l’a poursuivi pour diffamation dans un dossier-prétexte.

Et troussé une condamnation minute : ce dimanche 18 mars, avec
une célérité inouïe pour un pays où aucun
organe judiciaire ne fonctionne correctement,
le tribunal a condamné
le défenseur des Droits de l’homme à six mois de prison ferme.

Le régime de Djibouti réfute toute mésinterprétation
de cette procédure judiciaire, soulignant que « nul n’est au-dessus
des lois ». Déclaration grotesque
dans un pays qui a interrompu sa coopération judiciaire avec la France
depuis que son président y est suspect d’avoir commandité le
meurtre d’un juge français
(le juge Borrel assassiné
en 1995), et où la corruption et la malgouvernance sont telles que
la seule addition des revenus déclarés du trafic de drogue (c’est
l’un des postes du budget !) et des rentes militaires française et
américaine