14/11/07 (B421) LE MONDE : Dans la capitale somalienne dévastée sévit une guerre sans front et sans règles. (Info lectrice)
On ne détruit pas méthodiquement une ville, au mépris des conventions de la guerre, sans avoir besoin de reprendre son souffle de temps à autre. Contrairement aux jours précédents, Mogadiscio n’a pas connu de combats importants, mardi 13 novembre, entre les insurgés embusqués dans la capitale somalienne et leurs ennemis, les troupes éthiopiennes et leurs alliés du gouvernement fédéral de transition (TFG) du président Abdullahi Yusuf.
La trêve a peu de chances de durer avant que ne reprenne, à Mogadiscio, la nouvelle phase d’une guerre sans front et sans règles, seconde bataille menée par des insurgés qui regroupent milices de clans majoritaires dans la capitale et groupes fondamentalistes de la galaxie des shabab (jeunesse). Ils sont lancés dans une lutte à mort contre les forces éthiopiennes entrées en Somalie voilà presque un an pour chasser les Tribunaux islamiques qui avaient pris le pouvoir dans le sud du pays.
La bataille précédente, en avril, avait fait plusieurs centaines de morts, sans épargner les habitants de la ville. Des secteurs entiers de Mogadiscio avaient été ravagés par des pilonnages de l’artillerie lourde éthiopienne. Puis les insurgés, après avoir été écrasés sous un déluge de feu, s’étaient retirés de la capitale. Après s’y être infiltrés à nouveau, ils ont repris crescendo, au cours des dernières semaines, des attaques frontales avec plusieurs centaines de combattants appuyés par des mortiers et de petits canons contre les bases et les positions de l’armée éthiopienne ou du TFG.
En réponse, les forces éthiopiennes ont lancé une vaste opération de ratissage qui touche au moins un tiers de la ville. Le principe en est simple et dévastateur. Partout où les insurgés sont soupçonnés de pouvoir s’abriter, au nord comme au sud de Mogadiscio, les troupes éthiopiennes et leurs alliés du TFG ont entrepris de faire le vide, chassant les habitants pour fouiller les maisons au porte-à-porte, et pillant allégrement tout ce qui peut l’être. Ceux qui en ont les moyens ont déjà fui dans les environs de Mogadiscio ou d’autres quartiers de la ville, désormais surpeuplés. Les plus démunis, n’ayant nulle part où aller alors que les prix s’envolent, restent aux abords de leur maison, exposés à la mort.
Les attentats-suicides avaient été introduits en avril. Ces dernières semaines, l’assassinat ciblé ou aveugle s’est imposé comme une nouvelle tactique de la sale guerre urbaine. Des cas de décapitation ont été signalés. Les insurgés sont soupçonnés d’en être responsables. Plusieurs sources confirment l’existence de tireurs d’élite éthiopiens qui abattent quiconque passe dans leur ligne de mire dans les quartiers que les alliés du TFG veulent vider, sans distinction d’âge ou de sexe.
Depuis que la foule a traîné les corps de plusieurs des leurs dans les rues de Mogadiscio, les troupes d’Addis-Abeba ont perdu toute retenue. Les soldats éthiopiens tirent sur les passants, et ont ouvert le feu avec des chars sur des quartiers d’habitation ou sur le marché de Bakara. Ce quartier, poumon économique d’un dynamisme qui inondait, il y a encore un an, toute l’Afrique de l’Est de produits en provenance d’Asie du Sud-Est, est désert et ses entrepôts pillés, selon les rares informations qui en filtrent. Quiconque s’en approche risque de se trouver dans le viseur d’un tireur, comme cela s’est encore produit mardi.
Dans le quartier de Hamar Weyne, moins exposé aux destructions – il a été en grande partie démoli pendant les grands combats entre clans, il y a quinze ans -, les ruelles grouillent de monde. Dans l’une des maisons où s’entassent les familles, cheikh Abba, un leader spirituel, s’interrompt au milieu de consultations de médecine traditionnelle pour implorer « la communauté internationale d’arrêter le massacre ».
Alors que la ville suffoque, les hôpitaux regorgent de blessés. A Medina, les corps racontent une guerre qui n’épargne aucun civil. Une famille exhibe la balle ôtée du corps d’Abdinur Uluso. La pointe du projectile a été rognée par le tireur, technique qui rend les blessures plus horribles encore. Non loin, une adolescente fixe le plafond, hébétée par les sédatifs. Un tir de lance-roquettes lui a emporté le bras droit. « Les Ethiopiens entrent dans les maisons et tirent sur nous en nous traitant de terroristes », hurlent des femmes dans le couloir. Un homme, blessé à la tête, trouve encore la force d’injurier les troupes du TFG.
Jean-Philippe Rémy