25/11/07 (B423) Un long sujet et plusieurs articles fort bien documentés dans Loir et Cher : Quand le sous-préfet de Vendôme était le supérieur du juge Borrel. (Articles signés Lionel Oger) (Info lectrice)

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Le juge Bernard Borrel fut retrouvé mort à Djibouti le 19 octobre 1995. A l’époque, Jean-Jacques Mouline était chef de mission de la coopération. La veuve du magistrat reproche à l’actuel sous-préfet de Vendôme d’avoir fait pression pour favoriser la thèse du suicide. Ce
dernier nie formellement.
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“ Des allégations sordides ”

Le sous-préfet Mouline reproche à Mme Borrel son harcèlement. Il n’est pas au bout de ses peines puisque, depuis la fin octobre, c’est
le régime djiboutien qui l’attaque nommément.

Un juge d’instruction, Ibrahim Issack, a lancé ou va lancer des convocations visant plusieurs Français en poste à Djibouti au moment
de la mort de Bernard Borrel, en particulier l’ambassadeur Jean-Marie Momal et le chef de la coopération, Jean-Jacques Mouline, ainsi
que des conseillers à la présidence djiboutienne comme Patrick Millon (neveu de l’ancien ministre Charles Millon).

Ces convocations font suite à des plaintes pour agressions sexuelles de deux jeunes djiboutiens commises dans le cadre d’un réseau pédophile.

Côté français, beaucoup, y compris Mme Borrel et ses avocats, voient dans cette « dénonciation » une manoeuvre du président djiboutien
et de son entourage pour faire diversion. En effet, en mars prochain, le tribunal correctionnel de Versailles doit juger, en leur absence,
deux dignitaires djiboutiens pour « subornation de témoins » dans l’affaire Borrel.

Jean-Jacques Mouline se dit profondément choqué par cette nouvelle affaire dans l’affaire. « Je suis
écoeuré par ces allégations sordides.

Toute l’équipe française de l’époque est visée, cela ne tient pas debout.

Je pense qu’il s’agit effectivement d’une manoeuvre de la présidence djiboutienne, qui est furieuse contre le nouveau gouvernement français.

Depuis, j’ai rendu compte à ma hiérarchie et je me rendrai prochainement au ministère de l’Intérieur pour solliciter une protection juridique.»

L.O.

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C’est à cause de Jean-Jacques Mouline que j’ai dû me battre tant d’années.

Élisabeth Borrel, veuve du magistrat dont le corps à demi calciné fut retrouvé au pied ’une falaise de Djibouti à l’aube du 19 octobre 1995, est persuadée que l’actuel sous-préfet de Vendôme détient les clés de l’affaire.

Ancien procureur de Lisieux (Eure), Bernard Borrel est détaché comme conseiller technique en avril 1994, auprès du ministre djiboutien de la Justice.

Sa mission consiste alors officiellement à moderniser les institutions judiciaires, en particulier le toilettage du code pénal de ’ancienne
colonie française. A l’époque, son supérieur hiérarchique direct est Jean-Jacques Mouline, chef de la mission de coopération à Djibouti.

L’information judiciaire requalifiée en assassinat est actuellement instruite par la juge Sophie Clément.

Cet ancien militaire passé dans la préfectorale a été, entre 1993 et 1994, chef de cabinet cabinet de Michel Roussin, alors ministre de la Coopération et proche de Jacques Chirac. A Djibouti, il a la charge de quelque 250 coopérants et gère les finances des différents projets de coopération entre la France et la République djiboutienne, de la Culture à la Justice en passant par l’Éducation. « Les relations entre mon mari et Jean-Jacques Mouline se sont progressivement détériorées, assure Mme Borrel, elle-même magistrate dans la région Midi-Pyrénées. Moi-même, j’avais eu un souci avec lui en tant que présidente des parents d’élèves de l’école française de Djibouti.

Il avait émis un avis défavorable sur le choix d’un architecte dans le cadre d’un projet de travaux. M. Mouline était le supérieur de mon mari. Le jour de sa mort, il a convoqué les différents chefs de service de la coopération pour leur indiquer que mon époux s’était suicidé alors même qu’aucune autopsie n’avait été effectuée.

C’est lui qui a rédigé un communiqué en ce sens à l’intention du quai d’Orsay et qui, dans l’après-midi, s’est rendu chez le ministre de la Justice djiboutien pour l’inviter à diffuser un communiqué similaire. Le certificat de décès de mon mari portait la mention : “ mort accidentelle dont les circonstances restent à déterminer ”.

Il leur fallait absolument faire accréditer la thèse du suicide pour éviter toute enquête compromettante pour les relations entre la France et Djibouti. »

Élisabeth Borrel a, dès l’annonce de son décès, refusé de croire que son mari a mis fin à ses jours. Elle accuse l’actuel président djiboutien, Omar Guelleh, d’être l’un des commanditaires de l’assassinat. « On a tenté de faire croire que mon époux Bernard Borrel était dépressif et qu’il avait de gros soucis professionnels, c’est totalement faux. Je suis persuadée qu’il enquêtait sur un dossier très gênant et qu’on l’a éliminé parce qu’il avait découvert des informations sensibles.

Ce qui me gêne le plus dans cette affaire, c’est l’attitude observée à l’époque par Jean-Jacques Mouline et certains militaires en poste à Djibouti. Ils se sont montrés odieux et méprisants à mon encontre. Je pense que M. Mouline connaît les secrets de cette affaire et je considère qu’en sa qualité de chef de la mission de coopération, il était à l’époque aussi puissant sinon plus puissant que l’ambassadeur de France à Djibouti.

J’ai déposé plusieurs plaintes. M. Mouline a été
entendu à plusieurs reprises par
les magistrats en charge de l’instruction.
Je pense qu’il ne dira jamais
la vérité sur cette affaire. »

Après des années de procédure, faisant preuve de ténacité,
se heurtant au silence et à la raison
d’État, Élisabeth Borrel a été
reçue en juin dernier par le nouveau
Président de la République
Nicolas Sarkozy, afin de lui demander
de lever les obstacles
empêchant la justice de faire son
travail.

L’information judiciaire
requalifiée en assassinat est actuellement
instruite par la juge
Sophie Clément. « J’attends aujourd’hui que l’on compare l’ADN
de plusieurs suspects aux empreintes
génétiques retrouvées sur
le short de mon mari », nous confiait
Mme Borrel, jeudi soir par
téléphone.

Lionel OGER

__________________________ La piste d’un trafic d’uranium
Elisabeth Borrel / Bernard Nicolas

Élisabeth Borrel, veuve du juge et magistrate, se bat depuis des années pour connaître la vérité sur la mort de son mari. Elle pense que l’actuel
sous-préfet de Vendôme détient les clés du mystère.

Ancien journaliste à TF1 puis Canal Plus, Bernard Nicolas est aujourd’hui
indépendant et travaille
pour des magazines d’investigation.

Il fut l’un des tout premiers à enquêter sur les circonstances troublantes
de la mort du juge Borrel. Il y a un
an, il a co-signé un livre avec Élisabeth
Borrel, Un juge assassiné
(Flammarion).

A plusieurs reprises, il a tenté d’interviewer Jean-Jacques
Mouline : « C’était en 2000 ou 2001,
il m’a à chaque fois raccroché au
nez. Il a bien rédigé ce communiqué
sur le suicide du juge Borrel le 19 octobre
1995, c’est dans le dossier
d’instruction.

Plusieurs témoignages viennent également confirmer sa visite
au garde des Sceaux dijoutien.

Nous pensons que Jean-Jacques Mouline a obéi à un ordre… mais
émanant de qui ?

C’est tout le noeud de l’affaire. Mme Borrel a retrouvé
des notes manuscrites et dactylographiées
de son mari, montrant
qu’il s’intéressait à un trafic d’uranium
enrichi entre l’Éthiopie et des
pays du Moyen-Orient, via le port de
Djibouti. Il a sans doute gêné des intérêts
djiboutiens et aussi français.

Djibouti représente un enjeu économique
et stratégique important pour
la France. Quant aux accusations de
réseau pédophile, elles sont “ bidon
”, même s’il est vrai qu’il y a de
la prostitution infantile à Djibouti. »

__________________________ « Je suis las de ce harcèlement »
Jean-Jacques Mouline

Jean-Jacques Mouline a été nommé sous-préfet de Vendôme
en 2003. Dans quelques
jours, le 24 novembre, il rejoindra
sa nouvelle affectation à
Nogent-sur-Seine. Pour la première
fois, il a accepté de répondre
à un journaliste sur
cette délicate affaire survenue
alors qu’il était en poste à Djibouti.

« La veuve du juge Borrel vous accuse d’avoir rédigé
un communiqué indiquant
que son mari s’était suicidé
et ce, quelques heures après
la découverte de son corps.

Que répondez-vous ? »

« Ceci est complètement faux, je n’ai jamais rédigé un tel communiqué.

J’ai en effet été entendu par la justice à ce sujet. J’ai
été informé de la mort de Bernard
Borrel au matin du 19 octobre
1995, j’étais alors à mon
bureau. Je me suis rendu à l’ambassade
où M. Momal, ambassadeur,
réunissait les différents
chefs de service et attachés militaires.

Ce n’est qu’après qu’un communiqué annonçant le suicide
de Bernard Borrel a été envoyé
à Paris, mais je n’en suis pas
le rédacteur. De même, je n’ai
pas rendu visite au ministre djiboutien
de la justice ce jour-là.

Depuis dix ans, les versions concernant cette mort et les conditions
de sa découverte ont beaucoup
varié, mais je n’ai pas à me
mêler de cette enquête judiciaire.

Je suis soumis au devoir de réserve tout en envisageant la
possibilité d’une plainte en diffamation.»

« Vous étiez à l’époque le supérieur
du juge Borrel.
Quelles étaient vos relations
et en quoi consistaient vos
missions respectives ? »

« Bernard Borrel était l’un des 250 coopérants dont j’avais la
responsabilité. Il travaillait,
comme vous le savez, auprès du
ministre de la Justice djiboutien.

Nos relations étaient très cordiales. M. Borrel m’a, au bout de
quelques mois, fait part des difficultés
qu’il rencontrait dans
l’exercice de sa mission. Il me disait
qu’il était fatigué, accablé et
qu’il souhaitait changer d’affectation.

De plus, il avait été affecté par le suicide d’un ami magistrat.

J’ai alors demandé à ce que cette mission de coopération judiciaire
soit suspendue. Je n’ai pas
été suivi. J’affirme cependant que
le feu vert à la mutation de Bernard
Borrel a été finalement accordé
mais, malheureusement
trop tard, car la réponse m’est
parvenue après sa mort. »

« Mme Borrel et Bernard Nicolas, le journaliste qui a cosigné
un livre, évoquent une
enquête délicate sur laquelle
travaillait le juge Borrel
et qui aurait pu lui coûter
la vie. Qu’en pensez-vous ? »


« Je n’y crois pas une seconde.

La mission du juge Borrel n’était pas d’instruire des enquêtes judiciaires,
mais de préparer une réforme
institutionnelle de la justice
djiboutienne. A aucun
moment il ne m’a informé d’une
enquête menée par lui. Si cela
avait été le cas, il aurait de toute
façon dû en référer à l’ambassade.
»
« La veuve du juge Borrel vous reproche d’avoir quitté
Djibouti peu après sa mort
et de vous être momentanément
installé à Addis-Abbeba,
la capitale éthiopienne…
»
« Ceci est également faux. Je
suis resté en poste à Djibouti encore
quelques mois, puis on m’a
affecté au printemps suivant à
l’Ile Maurice, également comme
chef de mission de la coopération.

Je tiens à vous dire que je suis las du harcèlement dont
Mme Borrel fait preuve à mon
encontre depuis des années. »

Propos recueillis par L.O.