07/07/08 (B455) A lire dans BDA N°171 (SURVIE) sous la plume de Jean-Loup Schaal / Djibouti : Une partie à quatre.

Le récent conflit
frontalier entre Djibouti
et l’Érythrée révèle
une stratégie complexe dans
la Corne de l’Afrique.

Quatre
puissances y interviennent :
la France, les États-Unis,
l’Érythrée et l’Éthiopie.

Dès le 21 avril, des rumeurs faisaient
état de la présence de forces armées
érythréennes dans le nord de Djibouti.
Des rumeurs que le gouvernement djiboutien
confirmait rapidement. À cette occasion, on a
découvert que l’incursion érythréenne n’était
pas récente mais qu’elle avait commencé trois
ou quatre mois auparavant.

Pi encore, l’armée
érythréenne avait construit des lignes défensives.
Curieusement, il n’y avait eu aucune réaction
djiboutienne alors que les deux pays s’étaient
déjà opposés à deux reprises, en 1996 et 1999,
pour cette zone.

Pourtant, cette région frontalière
de Ras Doumeira et l’îlot de Doumeira
que les Érythréens occupent est stratégique.
Promontoire désertique sans intérêt apparent,
il surplombe la mer rouge et permet le
contrôle du détroit du Bab el Mandeb, voie de
passage d’une grande partie du pétrole mondial.
C’est aussi le site du futur pont que l’un
des demi-frères de Ben Laden envisage de
construire entre le Yémen et Djibouti.

Interrogés sur l’application de l’accord de
défense avec la république de Djibouti, des
hauts responsables français affirmaient, de
façon non officielle, que la France n’avait pas
à intervenir dès lors qu’il n’y avait eu aucun
coup de feu et que Djibouti avait toléré cette
incursion pendant plusieurs mois. La France
n’était pas mécontente, non plus, de laisser
le président djiboutien, Omar Guelleh, se
débrouiller seul après les dernières péripéties
judiciaires de l’affaire Borrel.

Ce n’est que les 10 et 11 juin que les combats
ont éclaté. Djibouti a d’abord prétendu qu’il
s’agissait de déserteurs érythréens – venus
se réfugier côté djiboutien – entraînant une
attaque érythréenne, suivie d’une riposte djiboutienne.
La riposte a fait chou blanc, face
aux moyens militaires déployés par une puissante
armée érythréenne (même s’il semble
exagéré, le nombre de 25 000 soldats a été évoqué) qui n’a pas reculé d’un pouce. Djibouti
n’a pu opposer que 2 000 à 3 000 hommes

À cette occasion d’ailleurs, on a découvert
que l’armée djiboutienne ne pouvait pas
aligner plus de 4 500 à 5 000 hommes, alors
que l’on annonçait toujours 10.000 à 11.000
soldats. La raison est simple : c’est la France
qui assure la paie des militaires. La solde des
6.000 fantômes permettait aux officiers supérieurs
djiboutiens d’améliorer leur fin de
mois.

Au terme de 48 heures de combats, Djibouti
reconnaissait la mort d’une vingtaine de militaires
et une cinquantaine de blessés. Selon
nos informations, ces chiffres sont très inférieurs
à la réalité. On évalue le nombre de
morts et de disparus (souvent enterrés sur
place) entre 200 et 300 et le nombre de blessés
entre 500 et 600. Des chiffres proches de
la réalité au vu des nombreuses rotations des
hélicoptères sanitaires français et le nombre
de familles attendant des informations devant
les hôpitaux de la capitale, saturés selon les
témoins.

Mise au pied du mur par Omar Guelleh, qui
s’est adressé directement à Sarkozy, la France
jusqu’à là mutique, s’est exprimée officiellement.
Elle a surtout accepté de s’engager davantage
en positionnant une base logistique et
200 légionnaires à la frontière, des commandos
des forces spéciales avec tout leur matériel
: missiles sol-air et véhicules blindés. Alors
qu’elle poursuit son aide médicale et la fourniture
de renseignements à l’état-major djiboutien,
deux navires de guerre et des moyens
aériens de surveillance de l’activité des forces
érythréennes ont été également déployés.

Le rapport de force lui étant défavorable,
même avec l’appui américano-français, le régime
djiboutien a donc choisi la voie diplomatique
plutôt que l’affrontement militaire. Les
approches diplomatiques sont restées vaines,
l’Érythrée refuse toujours le moindre contact.
De son côté, l’Union africaine (UA) a poliment
demandé aux adversaires de conserver
une certaine réserve et la Ligue arabe a délégué
une mission d’enquête qui a conduit à une
condamnation de l’attitude érythréenne, mais
rien de plus. Le Conseil de sécurité de l’ONU
a voté à l’unanimité et à deux reprises un appel
pour demander à l’Érythrée de retirer ses troupes.

Enfin, le 19 juin, la rupture diplomatique
entre l’Érythrée et Djibouti était consommée
mais sans confirmation officielle.

Quatre puissances
en présence

De son côté, l’autre puissance régionale,
l’Éthiopie, dont la quasi-totalité des importations
transite par Djibouti, avait déployé une
importante colonne militaire pour défendre les
deux corridors «routes et chemin de fer » qui
relient le port de Djibouti à sa capitale, Addis
Abeba. Depuis l’indépendance de l’Érythrée,
l’Éthiopie n’a plus d’accès à la mer.

Ce point
explique une partie des enjeux stratégiques de
la région.

Le déploiement militaire éthiopien
a été stoppé par la diplomatie française, qui a
garanti à ce pays qu’elle assurerait la défense
de ces corridors vitaux. La France souhaitait
éviter un nouvel affrontement direct entre
l’Éthiopie et l’Érythrée mais, cette fois, sur
le sol djiboutien.

Rappelons que, dans cette
partie de l’Afrique, l’Éthiopie et l’Érythrée
sont en état de quasi-belligérance permanente
depuis leur guerre frontalière de 1998-2000.
Addis Abeba et Asmara s’opposent également
en Somalie, livrée au chaos depuis le
déclenchement de la guerre civile en 1991.

L’armée éthiopienne soutient le gouvernement
somalien, tandis que l’Érythrée appuie
l’opposition, dominée par les islamistes, qui a
formé il y a un an à Asmara une nouvelle coalition,
l’Alliance pour une nouvelle libération
de la Somalie (ARS).

N’oublions pas également le quatrième acteur
de la région : les États-Unis qui disposent
aussi d’une base à Djibouti et qui utilisent leur
allié éthiopien pour affronter les tribunaux
islamistes dans une Somalie en décomposition.
Les États-Unis ont également inscrit
l’Érythrée dans leur liste noire des États terroristes.

Seulement voilà : l’armée érythréenne
est une des plus puissantes d’Afrique avec
200.000 hommes bien entrainés et du matériel
récent : artillerie, aviation, marine, etc.
Dans ce contexte, outre le caractère stratégique
de Ras Doumeira, on se demande quelles
étaient les motivations de l’Érythrée pour
s’engager dans un conflit avec Djibouti.

Dans
une lettre au Conseil de sécurité, datée du
mardi 24 juin, l’Érythrée laisse entendre que
la tension actuelle résulte de la construction
d’un «nouveau camp militaire» par l’Éthiopie,
à Moussa Ali, là où se rejoignent les
frontières des trois pays.

Djibouti n’ayant été
que le complice de l’Éthiopie dans une affaire
plus vaste.

Peut-être faut-il se rappeler que le
gouvernement djiboutien a abrité récemment
de nouveaux pourparlers intersomaliens. Des
discussions qui ont abouti à la signature d’une
trêve entre le gouvernement de Mogadiscio et
l’ARS. Cette trêve a aussitôt été dénoncée par
des islamistes ayant le soutien de l’Érythrée.

Jean-Loup Schaal

Dernière minute ! Le procureur général de la République
de Djibouti et le chef des services secrets
de Djibouti, tous deux condamnés,
à Versailles, pour subornation de
témoin dans l’affaire Borrel viennent
d’être décorés du Grand Ordre du mérite
djiboutien par le Premier ministre…
ce qui apparaît comme une provocation
à l’égard de la France et un désaveu de
la justice française à l’heure où Djibouti
a pourtant besoin de la France.