19/09/08 (B466) Libération / Pas de répit chez les pirates de mer somaliens
Deux navires ont été interceptés hier malgré la surveillance internationale.
CHRISTOPHE AYAD
Deux cargos en 24 heures. Soit les pirates somaliens ont très peur des menaces de Nicolas Sarkozy et profitent de leurs dernières semaines de liberté, soit ils se moquent comme d’une guigne d’avoir à leurs trousses une force aéronavale européenne promise pour décembre. Hier à l’aube, ils se sont emparés du Centauri, un navire grec avec 25 marins philippins à bord. La veille, ils avaient pris un cargo chinois, le Great Creation, avec 24 marins chinois et un commandant sri-lankais. Pour éviter les navires de guerre occidentaux qui patrouillent dans le golfe d’Aden, les pirates ont attaqué au sud de leur zone habituelle.
«Fast boats».Ces pirates, que l’on a tendance à voir comme une survivance d’un autre âge, sont tout le contraire d’aimables amateurs. Comme le relate Patrick Marchesseau, le capitaine du Ponant, dans son livre sur la prise d’otages qu’il a vécue en avril (1), les pirates sont organisés. Il a été pris par l’une des milices les plus puissantes, les Costiguards. D’après lui, ils seraient trois à quatre cents hommes, équipés d’armes automatiques et de lance-roquettes, en vente libre en Somalie, où la kalachnikov se négocie à moins de 100 dollars. Mais l’arme fatale des Costiguards, ce sont leurs fast boats, ces barques de pêche dotées de moteurs surpuissants achetés à Dubaï. Ils en auraient une centaine, ainsi qu’au moins une dizaine d’appâts et d’espions, des bateaux de pêche qui observent les proies ou feignent la panne, et un «bateau mère», qui sert de navire amiral pour la coordination des opérations. Les hommes correspondent entre eux par Thuraya, des téléphones satellitaires d’un prix modique.
Les vedettes rapides, trop petites, sont indétectables par les radars. L’assaut, mené en général par une dizaine d’hommes, dure moins d’une demi-heure. Une fois à bord, les pirates sont difficiles à déloger à cause des otages, ou de la cargaison quand il s’agit de supertankers. Les navires sont rapidement convoyés vers Eyl, l’un des principaux repaires de la piraterie.
C’est alors qu’entre en scène le négociateur, qui noue le contact avec l’armateur et désigne le compte, le plus souvent à Dubaï, sur lequel doit être virée la rançon, qui va de 300 000 dollars à 2 millions, dans le cas du Ponant. Lorsque le bateau est amarré à Eyl, les otages sont sous la surveillance de gardiens rémunérés. Tout manquement aux règles est sanctionné par des amendes. Dans le cas du Ponant, le chef de l’opération devait toucher 20 000 dollars, un homme de base 8 000. La famille d’un pirate tué en opération touche 15 000 dollars. Cet argent irrigue le village d’Eyl, où ont essaimé des gargotes pour nourrir les otages et des bureaux de transfert de fonds, mais aussi la région autonome du Puntland.
Clanique. Les pirates d’Eyl appartiennent au clan Majarteen, qui contrôle le Puntland et d’où est issu le président somalien, Abdallah Yusuf. De là à dire que les pirates bénéficient de protections au sein du fantomatique Etat somalien En outre, l’industrie de la piraterie fait vivre plusieurs milliers de familles, via la redistribution clanique de l’argent des rançons, dans un pays dont 40 % des habitants dépendent de l’aide alimentaire internationale.
Ni le gouvernement somalien, trop faible et corrompu, ni les armées occidentales, pas adaptées, n’ont les capacités de prendre durablement le contrôle d’Eyl. Depuis le début de l’année, 55 bateaux ont été attaqués dans cette zone, au débouché du canal de Suez, et les pirates détiennent actuellement onze navires et leurs équipages. Comme le suggère un expert maritime, la seule solution serait de couler les navires des bandits des mers. Mais peut-on combattre la piraterie avec des méthodes de pirate ?
(1) Prise d’otages sur le Ponant, Michel Lafon.