03/08/10 (B563) Point de vue. L’art de ramper : une éducation ou une culture à Djibouti ? (Lecteur)

« Le grand art du courtisan, l’objet essentiel de son étude, est de se mettre en valeur les passions et les vices de son maître, afin de pouvoir le saisir
ensuite par son point faible : il est pour lors assuré d’avoir la clef de son cœur.

Aime-t-il les femmes ? Il faut lui en procurer.
Est-il dévot ? Il faut le devenir ou se faire hypocrite.
Est-il méfiant ? Il faut lui donner des soupçons contre tous ceux qui l’entourent.(…)

Un véritable courtisan doit être un Arlequin : ami de tout le monde, mais sans ne jamais s’attacher à personne ;
obligé même de triompher de l’amitié, de la sincérité, ce n’est jamais qu’à
l’homme en place que son attachement doit cesser aussitôt que le pouvoir cesse.

Il est indispensable de détester sur-le-champ quiconque a déplu au maître ou au favori en cours. » Paul Henri Dietrich d’Holbach (1723-1789)

Essai sur l’art de ramper, à l’usage des Courtisans

"Je ne veux pas être esclave de l’esclavage. Je ne veux qu’une chose : que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme, c’est-à-dire de moi par un
autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se
trouve " Frantz Fanon

C’était le jeudi 27 juillet 2010 aux environs de 10h30 du matin. Je faisais la queue au guichet d’une banque de la place. Le Secrétaire Général d’un ministère débarqua. Comme la plupart des dirigeants de nos institutions, sa nomination a été surement le résultat d’un calcul tribal doublé d’un caractère bien huilé de courtisan et c’est pour cela que j’aimerais taire son identité.

D’ailleurs, ce n’est pas le comportement de ce monsieur qui est à l’origine de ce fait que je vais vous relater mais celui d’un citoyen ordinaire qui était dans la file d’attente devant le guichet.

En voyant l’importance de la file, le SG parla à haute voix d’une manière spontanée en disant « il y a toutes ces personnes qui attendent… », avec un air de découragement. Juste à cet instant un jeune djiboutien dans la trentaine qui faisait la queue comme monsieur tout le monde s’écria avec une mise en scène théâtrale. « Ne vous inquiétez pas Monsieur, vous êtes prioritaire, vous êtes un représentant de l’état, vous êtes un grand monsieur… ».

Le SG qui avait l’air de repartir s’arrêta aussitôt et c’est ainsi que cet homme demeura sur place dans l’attente de passer avant les autres avec un brin de fierté qu’il avait du mal à dissimuler. En assistant à cette scène abracadabrante, je n’ai pas pu me retenir d’intervenir en disant au jeune homme

« La république a déjà un lot suffisant de courtisans. Je ne pense pas qu’un de plus changera quoi que ce soit. Alors épargne-nous, jeune homme, ce type de comportement. Ce monsieur est avant tout un citoyen comme nous».

A ce
moment le SG me demanda si je pouvais répéter ce que je venais de dire. Je me suis exécuté avec un réel plaisir. Un silence s’invita à l’improviste devant le guichet ! À nouveau, je me suis adressé au jeune homme en lui disant ceci : « Si
en général nous vivons en Afrique sous les dictatures c’est à cause de ce genre de comportement ».

La réponse du jeune était à la fois empreinte de courtoisie
et de pertinence, disait : « Monsieur, on m’a appris qu’à m’écraser depuis ma plus tendre enfance et vous voulez que je change du jour au lendemain. Et d’ailleurs, c’est la 1ère fois que j’entends ce genre de discours sur la citoyenneté».

Un moment je suis resté stupéfait et déconcerté.

Le « on » désignait qui ? Sa famille ? La société djiboutienne? L’école ?

Je pense que si nous voulons dépasser nos peurs imaginaires conséquence d’une identité meurtrie sous-jacent à des mythes tribales mystifiées par des légendes mythiques, nous devons partager nos expériences en dénonçant ce qui nous empêchent d’être véritablement un homme ou une femme libre.

Et il est temps
d’appeler chaque homme et chaque femme de ce pays à se libérer de sa condition de soumis et de se réveiller à la vie en participant à la création comme disait Mohammed Iqbal "Un homme libre, chaque instant, crée une chose nouvelle…"

Peut être en nous donnant rendez-vous devant la maison de la peur et qu’une fois à l’intérieur lorsque nous nous apercevrons que la demeure est vide comme écrivait Jean-François Déniau, alors nous aurons exorcisé cette peur imaginaire qui paralyse toute vie et toute création.

Farah A. M.