15/02/11 (B591) Nous rediffusons une interview que Jean-Paul Noël Abdi, actuellement détenu illégalement en République de Djibouti, avait donné à l’ARDHD, lors de la visite qu’il lui avait rendue le 28/08/2009. Jean-Paul Noël s’exprime en particulier sur les harcèlements dont il était victime et sur son combat pour le Respect des Droits de l’homme.


(Dessin Roger Picon
Jean-Paul Noël Abdi, Président de la LDDH a tenu à rendre visite à l’ARDHD, avant son retour à Djibouti.

Il a donné une interview en deux parties :

– une première partie a été enregistrée en audio. Vous retrouverez ci-dessous, la possibilité de l’écouter en direct, de télécharger le fichier MP3 et/ou de lire la transcription.

la deuxième partie n’avait pas été enregistrée en audio, mais elle avait été publiée intégralement quelques jours, plus tard, sous forme de texte.

1°) Ecouter Jean-Paul Noël Abdi interviewé par Jean-Loup Schaal
(14 minutes environ. Fichier .wma )

2°) Télécharger le fichier en MP3

Lien pour télécharger (Environ 6 Mo)

3°) Transcription de l’audio (1ère partie)

Jean-Loup Schaal :
Bien, Jean-Paul Noël Abdi, Président de la LDDH, merci de nous accorder cette interview, vous n’en donnez pas souvent et pour nous, c’est un grand plaisir de vous recevoir. Alors, je voudrais commencer un petit peu à parler de votre action depuis de nombreuses années. Nous savons que vous êtes harcelé par le régime, vous êtes arrêté, vous êtes souvent convoqué, vous êtes traduit en Justice, vous êtes accusé sous des motifs qui ne semblent pas toujours très solides.

Comment est-ce que vous pouvez ariver à résister et à continuer vos actions, alors que vous êtes soumis à des harcèlements constants ?

Jean-Paul Noël Abdi :
Tout d’abord je tiens à vous remercier de m’avoir invité dans votre bureau.

Je pense que dans la vie, il y a un choix, soit un choix politique, soit un choix de défense des droits de l’homme, soit un choix dans le secteur privé. Quand on prend un choix, il y a des risques. Les Droits de l’Homme effectivement, il y a des risques. Ces risques, on les constate et une fois que l’on s’est engagé dans cette voie, on a deux possibilités, soit de se taire, soit de continuer.

Comme j’ai choisi, je préfère continuer !

JLS :
Je comprends bien, mais dans un pays comme Djibouti où l’on sait qu’il y a une police omni-présente, des services secrets et la Gendarmerie, est-ce que vous n’êtes pas obligé de temps en temps, de transiger pour conserver votre liberté ?

JPNA :
Vous savez, transiger est un terme qu’Eux (* Les tenants du régime – Note de l’ARDHD) ne comprennent pas. Avec Eux, deux choses possibles, soit vous vous mettez sous leurs bottes, soit vous les combattez. Comme je n’aime pas être sous la botte de quelqu’un, je préfère combattre.

JLS :
Je comprends bien. Et on l’a vu récemment avec l’intervention de Me Tubiana, qui est venu défendre votre dossier, vous avez des soutiens à l’étranger. Quels sont-ils en particulier ?

JPNA :
Vous savez, à chaque fois que je suis arrêté, l’ARDHD, dont vous êtes le Président, lance les premiers appels, les premières alertes. On est membres de la FIDH (Fédération internationale des Droits de l’Homme), membre affilié. On est membre correspondant d’Amnesty international, membre de HRW (Human Rights Watch), depuis récemment. Nous sommes membres du réseau de la Corne de l’Afrique de l’est (EAHRD). Nous sommes aussi membres de l’UIDH.

Comme vous le voyez, même le Front Line, nous sommes aussi des membres correspondants.

Vous savez lorsque vous êtes, vous avez le parapluie des Défenseurs des Droits de l’homme, le gouvernement fait attention
et je crois que c’est un point qui fait ici que même des zélés au sein du Gouvernement, actuellement commencent à temprérer leur zèle.

Certainement, il y a des problèmes entre eux, mais ils voient aussi qu’il y a des limites. et qu’eux, si jamais il y a un changement de ceux qui nous gouvernent, qui va les défendre ?

C’est la question que souvent maintenant, certains responsables politiques se posent cette question. Si demain, ils sont chassés, qui va, parce que certains sont impliqués dans des détournements, etc…qui va les protéger ?

JLS :
Vous voulez dire que la pression, si on peut appeler cela une pression, mais la mobilisation internationale a un impact sur le régime djiboutien et aussi sur un certain nombre de ses cadres dirigeants.

JPNA :
L’impact international, oui, elle a beaucoup d’atout. Quand on voit l’Ambassadeur de France, il me dit à chaque arrestation « nous, on fait notre travail dans la discrétion » … Les Etats-unis, eux, dès fois se permettent même de venir au Tribunal.

La pression internationale, aussi, existe, parce que tout le monde remarque qu’en fait, il n’y a pas d’alternatives à Djibouti. Il n’y a pas d’alternatives politiques, il n’y a pas de journaux. La cocotte minute, le seul échappatoire, c’est un peu la LDDH

Sinon la cocotte minute risque d’éclater s’il n’y a pas de soupapes ..

JLS :
Sur un autre plan, je dirais que tout le monde, les observateurs et en particulier les organisations que vous avez citées, reconnaissent vous publiez des informations qui sont sérieuses, qui sont crédibles et qui sont, je dirais, empreinte d’une certaine neutralité, dans la mesure où vous ne critiquez que les choses criticables et que vous ne faites pas comme un opposant, je dirais, pour le plaisir de le faire …

Alors ça, ça m’amène à vous poser une question. Comment faites-vous dans un pays comme Djibouti où il est difficile, nous le voyons, bien sur nous sommes à Paris, nous le voyons où il est difficile de recouper les sources, comment faites-vous pour finalement avoir des informations crédibles sur place ?

JPNA :
Vous savez, comment c’est la source d’information, qui est importante. J’ai été arrêté, pendant les premières années, hein, plusieurs fois et la première question que les gendarmes ou les policiers me demandaient : « Qui m’informait ? »

Alors je leur disais gentiment, vous savez, nous les journalistes, à la rigueur, dès fois ils peuvent à la rigueur dévoiler leurs sources d’information, mais nous, si demain vous êtes une victime et que vous venez voir, et que je parle de votre cas…. Est-ce qu’il faut que je dise, alors que vous êtes opprimé et que vous êtes persécuté, et est-ce qu’il faut encore que je vous tue en vous dénonçant, en disant que c’est vous qui m’avez donné cette information; Donc nous, les défenseurs des Droits de l’Homme, FIDH, Amnesty, tout le monde risque de m’attaquer si je donne le nom. Parce que c’est un deuxième crime : une victime qui est martyrisée, si je donne son nom, c’est encore un deuxième martyr que l’on est en train de favoriser.

Donc d’abord nos sources d’information, ce sont essentiellement les victimes.

Nous avons d’autres sources d’information, que ce soit au niveau, ça on l’a dit, que ce soit au niveau de la Police, que ce soit au niveau de l’Armée…. qui nous permettent, quand on a une information de vérifier si effectivement ceci est vrai ou pas.

Le rôle d’un Défenseur des Droits de l’Homme est de dire la vérité. parce que si vous mentez, si vous inventez, vous perdez toute crédibilité. Donc, il faut toujours toujours tendre vers la vérité. Dès fois, il peut y avoir des erreurs. Jusqu’à présent, Dieu merci, on n’a pas eu de cas de ce genre

JLS :
Non c’est vrai. Tout le monde reconnaît et s’accorde à dire que vos informations sont fiables et nous sommes les premiers à les prendre et nous n’avons, en effet, jamais eu d’erreus. Mais maintenant, je voudrais aller un peu plus loin sur le fonctionnement de la LDDH. Une association, tout le monde le sait, ça a un coût. Alors, on peut réduire les coûts, on peut avoir un minimum de personnel, un minimu de bureaux, etc..mais il faut quand même assumer un certain nombre de charges.

Qu’est ce qui vous finance ?

JPNA :
Actuellement nous n’avons aucun financement.

Les cotisations, parce qu’il y a deux genres de financement : les financements sur le fonctionnement. Le fonctionnement, pour être indépendant, il ne faut demander à personne d’autre. Il faut que ce soit les militants qui cotisent. Mais malheureusement nos militants, à 99 %, sont des chômeurs.

Donc c’est difficile de demander à un chômeur … Le fait qu’il nous amène des informations, le fait qu’il est là à notre écoute. On peut les envoyer quelque fois, faire des recherches .. Ils font un travail pour nous. On ne peut pas leur demander en plus, des cotisations.

Donc sur le fonctionnement c’est par principe, nous ne demandons pas de financement.

Mais il y avait des moments où l’on trouvait un peu de financement pour pouvoir encourager certains de nos militants. D’abord c’était l’IRI (International Republican Institute) des Etats-unis, qui elle voulait financer des projets.

Deux projets sont venus. Les deux projets, le Gouvernement les a refusés parce que j’étais l’interlocuteur, le premier interlocuteur. Ils avaient financé même les états généraux de la Justice et c’est grâce à eux j’ai pu participer. On était quatre de la LDDH. On a pu participer aux travaux des états généraux.

C’est eux qui l’ont imposé.

Après il y a eu deux autres projets sur le théâtre de rue. Le Gouvernement a refusé en disant, il n’est pas reconnu. A ce moment là, je n’avais pas une autorisation officielle, je l’ai eu simplement en 2004.

Et ça a énervé l’IRI. Et surtout il y avait un point qui était très important et c’est à notre demande que ca était fait ça.

– le premier, c’était sur les accords de paix qui ont été signés en 2001. Nous avons demandé qu’il y ait des théâtres de rue pour l’accompagnement des accords de paix. Ils ont été très séduits, ils sont venus à Djibouti. Le Gouvernement a dit Non.

– Aprés, on a proposé un autre truc. J’ai dit bon, on a d’autre pesonne, mais c’est sur la décentralisation. Ils sont venus, là on l’a fait. Ils ont accepté. On a donné à des gens de théâtre, mais c’est moi qui surpervisais le déroulement de ces …

Mais quand même, quand ils ont voulu travailler en profondeur avec nous, sur la décentralisation, le Gouvernement a mis son Véto. C’est pour vous dire : il est difficile de travailler, ne serait-ce, que des projets de formation.

On a participé une fois, à notre charge, à la formation de policiers. Cette année, je vais le leur demander puisque le Colonel a dit, il faut que l’on soit en bonne relation. Je vais le lui poser la question et on verra.

Je ne suis pas tellement sur. Ca vous pouvez le dire. Je ne suis pas tellement sur, mais je vais lui poser la question.

Mais le financement. Actuellement, nous n’avons aucun financement.

JLS :
Alors de quoi vivez-vous ?

JPNA :
Moi je vis de ma retraite et les autres c’est des chômeurs …ils vivent

JLS :
Ce sont des bénévoles

JPNA :
Ce sont des bénévoles

JLS :
Très bien. Juste un petit mot pour conclure, mais cela va être général, puisque vous allez aussi nous donner des réponses par écrit que nous publierons ensuite. Comment voyez-vous l’évolution de Djibouti dans les prochains mois, dans les deux ou trois prochaines années ?

JPNA :
Actuellement, Djibouti, sur le plan écnonomique est, disons, sur la banqueroute. Parce que qu’en je parle de l’économie, c’est l’économie sociale. …..C’est un sur un site officiel que le Gouvernement le dit :45 % de la population mange un repas par jour. Donc on est à l’extrême pauvreté.

Moi je dirais, il y a au moins 30 % qui mange une fois tous les deux jours.

JLS :
A ce point-là ?

JPNA :
A ce point là !

JLS :
Et personne n’en parle ?

JPNA :
Personne n’en parle !

Une fois ils ont dit à la télévision, ils ont dit, ça a éclaté. Ils ont dit, ils ont reconnu qu’il y a ce problème.

Tous les millions que nous recevons. Nous recevons à peu près 100 millions de Francs Djibouti, heuh, 100 millions de US $. Par les Etats-Unis, la France et l’Otan. Ces 100 millions, actuellement, avec le problème des pirates de mer avec l’Otan, ca doit gravir dans les 130 millions …

Où passent ces 130 millions ? Où passe l’argent du port ? Ca on le dit, on l’a toujours dit. Où passe l’argent de l’aéroport ? Aujourd’hui le port est en déclin, parce que les Ethiopiens ont transféré 75%, c’est Méles qui l’a dit à la télévision de la BBC en Anglais.

75 %, ils l’ont transféré au Port Soudan.

C’est donc Djibouti, économiquement est en train de s’effondrer. Tout cela pour la mauvaise gestion de celle de l’Etat.Quand le Chef de l’Etat gère mal un pays, tout ce qui lui reste, c’est ce que nous lui demandons, c’est de quitter … et surtout de ne pas se représenter une troisième fois..

JLS :
Très bien, merci pour cet entretien. Nous publierons par la suite, toutes vos réponses à nos questions écrites.

JPNA :
Merci beaucoup

JLS :
Bon retour à Djibouti.

JPNA :
Merci beaucoup