23/12/2011 (B636) ELLE : Affaire Borrel: « Je ne fais plus confiance au pouvoir en place »

Par Axelle Szczygiel

Cela fait seize ans qu’Elisabeth Borrel, veuve du juge Bernard Borrel, retrouvé mort à Djibouti en 1995, se bat pour faire punir les auteurs de ce crime.

Un parcours semé d’embûches puisque pendant longtemps, la justice française a privilégié la thèse du suicide, avant de finalement requalifier les faits en assassinat.

Aujourd’hui, le témoignage d’un militaire en poste au sein d’une unité chargée des écoutes à Djibouti dans les années 90 vient relancer l’enquête. Selon lui, l’armée française aurait su dès la découverte du corps en partie carbonisé du magistrat qu’il s’agissait d’un assassinat. « Un jour, j’ai entendu dire au centre qu’un homme avait été immolé par le feu par des personnes du nord du territoire à l’aide de jerricanes d’essence. C’était un Français qui avait été brûlé non loin du Goubet. C’était dans la ville d’Arta (où le corps de Bernard Borrel a été retrouvé, ndlr)», a-t-il ainsi déclaré à la juge Sophie Clément en juillet dernier.

« C’était une information provenant de la surveillance des communications internes de la police djiboutienne », a-t-il précisé. « Aujourd’hui je peux donc affirmer que M. Borrel ne s’est pas suicidé. Il a été tué et des militaires étaient au courant. » aurait poursuivi ce militaire ?

Une révélation qui embarasse au plus haut sommet de l’Etat, accusé depuis le début par la veuve du juge d’avoir étouffé l’affaire.

Ce jeudi, Elisabeth Borrel a d’ailleurs appelé de nouveau l’Etat à lever le secret-défense, chose que Nicolas Sarkozy lui avait promis en 2007. « Or rien n’a été fait », affirme-t-elle. Ce que confirme son avocat Me Olivier Morice sur ELLE.fr.

ELLE.fr : Vous vous battez depuis seize ans aux côtés d’Elisabeth Borrel pour faire éclater la vérité au sujet de l’assassinat de son mari. Que vous inspire ce rebondissement dans l’affaire ?

Olivier Morice : Je suis bien évidemment en colère. Le témoignage de ce militaire prouve que la justice aurait pu avoir tous les éléments en sa possession pour faire son travail dès la découverte du corps du juge Borrel. Mais nous avons toujours été convaincus qu’on nous avait menti depuis le début de l’affaire, et ce au plus haut niveau de l’Etat.

Il était évident que, contrairement à ce qu’on n’a cessé de nous dire, il y avait bien eu des notes relatant les circonstances de l’assassinat du juge Borrel transmises au ministère de la Défense. Et malgré les promesses qui nous ont été faites, dans ce dossier, les notes classifiées n’ont jamais été transmises à la Commission consultative du secret de la défense nationale qui aurait pu décider ou non de leur transfert à la justice.

Elisabeth Borrel parle de mensonge d’Etat et elle a raison puisqu’il est avéré que cette affaire implique clairement des personnalités très haut placées.

ELLE.fr : Le ministre de la Défense Gérard Longuet a immédiatement réagi en affirmant que l’armée française ne savait pas que Bernard Borrel avait été assassiné…

Olivier Morice : L’analyse de Gérard Longuet est spécieuse. Selon lui, si l’armée avait su, elle aurait eu l’obligation de transmette au magistrat toute information sur une affaire juridique.

Mais si l’on demandait à tous les militaires en poste de relater tout ce qu’ils savent, on serait effaré de ce qu’on découvrirait. L’argument de Monsieur Longuet n’est pas sérieux.

ELLE.fr : Dans quel état d’esprit se trouve Elisabeth Borrel aujourd’hui ?

Olivier Morice : Elisabeth Borel est plus déterminée que jamais à poursuivre son combat pour que soient enfin punis les auteurs de ce crime odieux.

ELLE.fr : Quelles vont être les suites données au témoignage de ce militaire ?

Olivier Morice : Il appartient désormais aux politiques de faire déclassifier les notes relatant les circonstances de la mort du juge Borrel pour qu’elles puissent enfin être transmises à la justice. S’il le faut, nous irons jusqu’à faire entendre les ministres de la Défense qui se sont succédés depuis 1995. Sous serment, ils n’auront pas d’autre choix que de dire la vérité.

Quoi qu’il en soit, je ne fais plus confiance au pouvoir en place. Je souhaite l’arrivée d’une nouvelle sensibilité à la tête de l’Etat qui pourra favoriser la poursuite de l’enquête.