27/08/2013 (Brève 173) ALERTE ROUGE – Revue de presse – Le Monde sous la plume de Cyril Bensimon / L’étrange arrestation, au Yémen, d’un témoin-clé dans l' »affaire Borrel »

L’étrange arrestation, au Yémen, d’un témoin-clé dans l' »affaire Borrel »

Par Cyril Bensimon

Le chef d’état-major des armées djiboutiennes, le général Fathi Ahmed, envoyé par vol spécial au Yémen en vue d’obtenir une extradition… Voilà de quoi situerl’importance de Mohamed Saleh Alhoumekani, qui apparaît comme un témoin-clé de l’affaire Borrel.

Lundi 26 août, cet ancien officier de la garde présidentielle à Djibouti était toujours détenu à la brigade criminelle de Sanaa sans que soient officiellement connues les raisons de son interpellation deux jours plus tôt. « Physiquement il se porte bien, mais moralement il est KO », confesse sous couvert d’anonymat l’un de ses proches qui lui a rendu visite. Selon cette source, Mohamed Saleh Alhoumekani devait être entendu mardi par les enquêteurs d’Interpol au Yémen et par le procureur de la République.

Sera-t-il envoyé à Djibouti où la justice l’a condamné par contumace en 2004 à un an de prison et à un million de francs djiboutiens (4 200 euros) d’amende pour dénonciation calomnieuse ? Pour l’heure, sa famille à Bruxelles, où il est réfugié, et son avocat gardent espoir. « Le consul de Belgique m’a fait savoir qu’il n’est théoriquement pas extradable car, outre son passeport belge, il dispose de la nationalité yéménite et que ce pays n’extrade pas ses ressortissants », veut croireson défenseur, Me Benoît Cambier.

« ÇA Y EST, LE JUGE FOUINEUR EST MORT »

Pour le pouvoir à Djibouti, mettre la main sur Mohamed Saleh Alhoumekani revêt une importance stratégique dans le bras de fer qui l’oppose à la justice française.« Le Yémen aura toutes les garanties qu’il sera bien traité », promet un diplomate djiboutien, impatient d’assister au transfèrement. « S’il est extradé, ils le ferontrevenir sur ses déclarations, sinon ils le feront disparaître », avance Ali AbdillahiIftin, un ancien chef de la garde présidentielle tombé en disgrâce et lui aussi exilé en Belgique.

Mohamed Saleh Alhoumekani a sérieusement contribué à consolider la thèse de l’assassinat du juge Bernard Borrel. En janvier 2000, il avait témoigné devant les magistrats français chargés de l’enquête. Il leur avait alors révélé avoir surpris une conversation dans les jardins de la présidence djiboutienne quelques heures après la découverte du corps calciné du juge français, le 19 octobre 1995, en contrebas d’une falaise.

Selon M. Alhoumekani, ce conciliabule réunissait le futur président Ismaël Omar Guelleh, qui était alors chef de cabinet de son prédécesseur, les patrons desservices de renseignement et de la gendarmerie, un Français, mais aussi deux hommes qui auraient dû se trouver derrière les barreaux après leurs condamnations pour des attentats contre des intérêts français quelques années plus tôt. L’un de ces « évadés », Awalleh Guelleh, aurait alors lâché : « Ça y est, le juge fouineur est mort. »

COLÈRE DE LA VEUVE DE BERNARD BORREL

Depuis ses déclarations, l’ex-officier de la garde présidentielle a été condamné par contumace par la justice de son pays d’origine et une partie de sa famille a été contrainte à l’exil. La justice française, elle, après avoir privilégié la thèse du suicide, a réorienté son enquête vers un assassinat en 2002 après une seconde autopsie.

En 2007, la mort en service de ce magistrat détaché à Djibouti au titre de la coopération a été reconnue par la France mais, pour Elisabeth Borrel, le compte n’y est pas. « Aujourd’hui, l’enquête est noyée par des informations sans intérêt alors que nous attendons toujours que soient versées au dossier les pièces classées secret défense sur la période 1995-1997, celles qui concernent la mort de mon mari. Personne ne veut que cette enquête aboutisse », fulmine la veuve du juge.

Lire : Affaire Borrel : une ONG dénonce une tentative d' »étouffer l’affaire »

Dix-huit ans après les faits, les raisons de cet assassinat demeurent mystérieuses. Les relations entre Paris et Djibouti ont connu de sérieux trous d’air mais jamais au point de remettre en cause la présence dans ce pays du plus important contingent militaire français en Afrique.

Cyril Bensimon