30/08/2013 (Brève 188) ALERTE ROUGE : revue de Presse (Rue 89) Qui est le « témoin-clé » de l’affaire Borrel, arrêté au Yémen ?

Camille Polloni | Journaliste 

En 1995, le magistrat français Bernard Borrel est retrouvé mort, son corps en partie calciné, dans un ravin de Djibouti. D’abord interprété comme un suicide, puis comme un assassinat, son décès reste entouré de mystère depuis bientôt vingt ans. Il fait planer une tension persistante sur les relations entre la France et Djibouti.

Régulièrement, sa veuve Elisabeth tente de rappeler aux autorités françaises qu’elle, au moins, n’a pas oublié ce dossier. La mort de son mari a des connotations politiques marquées, puisqu’il aurait pu être tué pour avoir enquêté de trop près sur le président djiboutien et ses proches. Une information judiciaire, conduite par la juge d’instruction Sophie Clément, est toujours en cours à Paris.

Samedi, l’affaire a rebondi au Yémen. Mohamed Saleh Alhoumekani, un Belgo-Yéménite venu voir sa famille, a été arrêté dans un hôtel de Sanaa à la demande des autorités djiboutiennes. Il est présenté comme un « témoin-clé ». Et pour cause. Ses déclarations devant la justice française, en 1999, avaient consolidé la thèse de l’assassinat.

« Le juge fouineur est mort »

Ancien officier de la garde républicaine djiboutienne, Mohamed Alhoumekani avait mis en cause la responsabilité personnelle du président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, et de son entourage, dans l’assassinat du juge Borrel.

Comme le relatait RFI, Mohamed Saleh Alhoumekani avait assisté à une conversation au sommet, le 19 octobre 1995, dans les jardins de la présidence djiboutienne. C’était quelques heures après la découverte du corps de Bernard Borrel.

« Dans la scène rapportée par Alhoumekani, ce jour-là, cinq hommes s’approchent d’Ismaël Omar Guelleh (surnommé IOG), alors chef de cabinet du président Gouled Aptidon.

Parmi eux, Hassan Saïd, le chef de la SDS, les services secrets, le colonel Mahdi, chef de corps de la gendarmerie et un Français, Alain Romani.

A ceux-ci s’ajoutent les deux terroristes [Awalleh Guelleh, Djiboutien condamné par contumace dans l’attentat du Café de Paris (1990), et Hassan Adouani, Libanais d’origine tunisienne, condamné à mort dans l’attentat du café L’Historil (1987), ndlr], censés être derrière les barreaux de la prison de Gabode.

Toujours selon le lieutenant Alhoumekani, Awalleh Guelleh s’approche alors d’IOG et lâche en langue somali : “Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces.” »

Une interview sur Rue89

Dans un documentaire minutieux diffusé cette année-là, un journaliste de Canal+ avait confronté Ismaël Omar Guelleh aux déclarations de son ancien officier, en pleine conférence de presse à Paris.

Sa question a entraîné une réponse confuse du président djiboutien, commençant par affirmer qu’il n’avait « pas besoin » de faire assassiner le magistrat, puis qu’il n’était pas au courant des accusations, avant de demander qu’on arrache le micro du journaliste et de mettre fin à la conférence de presse.

EXTRAIT DU « LUNDI INVESTIGATION » CONSACRÉ À LA MORT DE BERNARD BORREL, 2007

Le témoignage de Mohamed Alhoumekani lui avait valu d’être condamné par contumace à Djibouti pour dénonciations calomnieuses. Réfugié en Belgique en 2000, il a obtenu la nationalité belge. Sa famille entière a été expulsée de Djibouti en 2007. Il avait alors témoigné sur Rue89.

Le « témoin-clé » parlait de tentatives d’acheter son silence, puis d’intimidations répétées. « Comme je refusais de revenir sur mes déclarations, ils sont en train de s’acharner sur ma famille », avait-il confié à l’époque.

Président à l’époque, « IOG » l’est toujours

Si l’avocat belge de Mohamed Saleh Alhoumekani, Luc Cambier, craint l’extradition de son client vers Djibouti, c’est qu’Ismaël Omar Guelleh est toujours Président. L’avocat a annoncé avoir « alerté les autorités belges afin que la sécurité de monsieur Alhoumekani puisse être assurée ».

Dimanche, l’agence de presse Belga a recueilli le témoignage d’un cousin de l’interpellé qui a pu lui rendre visite à la brigade criminelle. Il l’a trouvé « en slip et présentant des hématomes ».

Dès son arrestation, des organisations de défense des droits de l’homme se sont inquiétées du traitement qui pourrait être réservé à Mohamed Saleh Alhoumekani s’il était extradé à Djibouti. En France, l’association Survie en appelle, dans un communiqué, au gouvernement français pour « empêcher de voir disparaître un témoin essentiel ». « A moins qu’il ne cherche à étouffer l’affaire comme les gouvernements précédents ? » interroge l’ONG.