13/02/2016 (Brève 664) Affaires internationales / L’opposition djiboutienne annonce un boycott de l’élection présidentielle

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En avril prochain les Djiboutiens sont appelés aux urnes pour élire un nouveau président. Mais la situation actuelle est particulièrement tendue depuis que le pays est placé, depuis novembre dernier, sous état d’urgence. Alors qu’Ismaïl Omar Guelleh vient d’annoncer sa candidature pour un quatrième mandat, l’opposition menace de ne pas y participer si certaines conditions ne sont pas respectées, notamment à propos de la révision de la Commission électorale nationale indépendante.

Une réforme avortée de la Céni

Ismaïl Omar Guelleh pourrait bien se faire réélire dans son fauteuil lors des prochaines élections présidentielles qui se dérouleront en avril prochain à Djibouti. Il est en effet, pour le moment, le seul candidat sur la ligne de départ. L’opposition n’est pourtant pas inexistante, loin de là, mais l’Union pour le Salut National (USN), coalition de huit partis créée en 2013 quelques semaines avant les législatives, annonce un boycott de l’événement pour non-respect de l’accord-cadre prévoyant une réforme de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

Ce dernier avait été signé en décembre 2014 entre le pouvoir et l’opposition mettant fin à une période de près de deux années de crise politique très violente, à la suite des résultats des élections législatives de 2013. Parmi les conditions figurait ainsi une réforme de la Céni qui devait devenir un organe paritaire, signe de démocratisation. En échange, l’USN n’avait pas contestée les résultats, sujets à diverses irrégularités.

A l’approche des élections présidentielles la Céni a bien été réactivée. Sauf que cette dernière n’a absolument pas été modifiée. Elle est toujours régie par le décret de 2010, celui-là même qui devait être changé. En clair, les membres de la commission continueront d’être désignés par le gouvernement, le Parlement et la magistrature. A cela s’ajoutent également des membres de la société civile et du parti au pouvoir, le Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), soit uniquement des membres fidèles au régime.

Dans ces conditions, l’USN refuse de participer à l’élection présidentielle, les engagements n’étant pas tenus. Mais la réforme avortée de la Céni n’est qu’une des nombreuses tentatives de déstabilisation dont est victime l’opposition. En décembre dernier, après des affrontements violents ayant fait plusieurs dizaines de victimes, l’USN a dénoncé une vague d’arrestations de ses membres, dont son secrétaire général Abdourahman Mohamed Guelleh.

Ismaïl Omar Guelleh accroché au pouvoir

Cette situation est avant tout du à un seul et unique responsable : Ismaïl Omar Guelleh. Président de Djibouti depuis 1999, il ne compte pas abandonner le pouvoir tout de suite, contrairement à ce qu’il avait annoncé en 2011 lors de son élection pour un troisième mandat. A l’époque, le président ne s’était pas embarrassé de considérations démocratiques puisqu’il avait modifié la Constitution du pays qui n’autorisait que deux mandats. Un quatrième mandat lui tend les bras, depuis l’investiture de son parti le 8 janvier, malgré un pays en voie d’implosion.

En plus d’une opposition véritablement bâillonnée et emprisonnée, c’est l’ensemble de la population qui se retrouve victime des appétits de domination du président Guelleh. Depuis fin novembre, le pays vit sous état d’urgence. Officiellement, il s’agissait d’une réponse aux attentats de Paris et de Bamako, officieusement, il s’agirait plutôt de mieux contrôler l’opposition. Rappelons que l’état d’urgence a été mis en plus quelques jours à peine après une grande manifestation de l’opposition dénonçant les abus du président Guelleh.

L’escalade de la violence est montée depuis de plusieurs échelons. Le 21 décembre, de nouveaux affrontements ont éclaté entre des membres d’une communauté religieuse et les forces de l’ordre. Le nombre de morts s’établit à plusieurs dizaines selon les manifestants (neuf pour les autorités) auxquels il faut ajouter une cinquantaine de blessés et autant d’arrestations. L’arrivée des élections présidentielles ne devrait pas freiner l’autoritarisme étatique. Au contraire, toutes manifestations ou rassemblements considérés comme hostiles seront sévèrement réprimandés.

Le maintien au pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh pourrait ainsi mettre Djibouti à feu et à sang. Une conclusion que certaines puissances étrangères ne souhaitent absolument pas voir, à commencer par la France et les États-Unis. Car si Djibouti est petit pays de 23 000 km2, sa position géographique en fait un partenaire indispensable pour les deux pays qui disposent chacun d’intérêts économiques, mais aussi militaires avec la présence de bases françaises et américaines. Et un allié en crise n’est jamais une bonne nouvelle.

Le mois d’avril à Djibouti s’annonce donc tendu, pour ne pas dire explosif. Car la situation ne devrait malheureusement pas en rester là.

09/10/2015 (Brève 485) Selon un article publié par Affaires internationales, IOG aurait refusé de témoigner devant la justice britannique, qui le lui avait demandé, dans le cadre de l’instruction de la plainte qui l’oppose à Abdourahman Boreh.

http://www.affairesinternationales.fr/2015/10/09/djibouti-le-president-guelleh-refuse-de-temoigner-devant-les-tribunaux-britanniques/

Selon les auteurs de l’article, IOG pourrait avoir pris cette décision, car il manquerait d’éléments probants pour conforter sa thèse et sa plainte. La justice britannique aurait levé le gel des avoirs de Boreh ….

______________________________ L’article

Dans le cadre de la procédure menée contre Abdourahman Boreh, ancien conseiller et proche du Président de Djibouti, Ismail Omar Guelleh a été convoqué en qualité de témoin devant la Haute Cour de justice du Royaume-Uni et a récemment déclaré qu’il ne répondrait pas à cette invitation. Un recul de la présidence de Djibouti qui ne joue pas en sa faveur alors que la prochaine élection présidentielle du pays se déroulera dans quelques mois.

Condamné à 15 ans de prison pour terrorisme

Tout a commencé devant les tribunaux djiboutiens. Ancien conseiller et proche du Président Guelleh, Abdourahman Boreh, homme d’affaires franco-djiboutien, a été Président de l’autorité des ports et de la zone franche (APZF) entre 2003 et 2008. En 2008, il a fait l’objet d’une plainte des autorités djiboutiennes pour évasion fiscale et insolvabilité frauduleuse. Un différend avec les services fiscaux qui l’a contraint à quitter le pays la même année.

Il s’est d’abord exilé à Dubaï, où il avait déjà résidé et commencé à construire sa fortune dans les années 1990, puis au Royaume-Uni. Ce n’est pourtant pas la procédure engagée par le gouvernement en 2008 qui aura mené à la condamnation de l’homme d’affaires. Accusé d’avoir participé à l’organisation d’un attentat à la grenade dans un magasin de Djibouti en mars 2009, Abdourahman Boreh a été condamné par contumace à 15 ans de prison en 2009 par un tribunal de Djibouti.

Les tribunaux britanniques ordonnent la levée du gel des avoirs

Les autorités djiboutiennes ont décidé de porter l’affaire devant les tribunaux britanniques en demandant le gel des avoirs de Boreh à hauteur de 77 millions de dollars, et la divulgation au gouvernement de Djibouti ainsi qu’à la Haute cour de la nature de ces actifs ainsi que leur emplacement. En mai 2013, en France, la justice a autorisé la République de Djibouti à faire geler les avoirs d’Abdourahman Boreh sur le territoire français pour une somme totale de 23 millions d’euros.

La Haute cour de justice britannique a quant à elle rejeté les accusations de terrorisme et ordonné la levée du gel de 100 millions de dollars. En cause, notamment, la falsification des retranscriptions de conservations téléphoniques censées avoir été enregistrées le lendemain de l’attentat. Me Peter Gray, avocat britannique associé au sein du cabinet Gibson, Dunn & Crutcher mandaté par le gouvernement de Djibouti pour mener les procédures devant les tribunaux britanniques, a reconnu avoir falsifié ces preuves et parle d’une « erreur spectaculaire », comme le rapporte The Lawyer.

Le gouvernement Guelleh avait mandaté ce cabinet américain de rang mondial pour sa présence dans plusieurs villes à l’international dont Paris, Londres et Singapour, où la République de Djibouti entendait entamer des procédures de gel des avoirs. Aujourd’hui, la Haute cour de justice du Royaume-Uni souhaite entendre le Président de Djibouti au sujet des accusations de corruption contre Abdourahman Boreh. Un retournement intéressant quand on sait les liens qui ont uni les deux hommes. Il jette de nouveau le doute sur l’administration Guelleh, déjà accusée d’avoir détourné des fonds à des fins personnelles, notamment dans une affaire de subventions supposées financer la création de l’entreprise de la fille de Guelleh, entreprise qui n’a finalement jamais vu le jour.

IOG refuse de témoigner : sa candidature en 2016 menacée ?

Abdourahman Boreh n’a cessé de dénoncer les motivations politiques du gouvernement Guelleh. Nommé en avril 2013 « délégué itinérant de l’Union pour le salut national (USN) », coalition regroupant tous les partis d’opposition et qui se dit « le véritable vainqueur des élections législatives de février 2013 », Boreh représente en effet un opposant politique de taille contre Guelleh, à la tête du pays depuis 1999. Plusieurs observateurs voient dans cette saga judiciaire une bataille pour la présidence.

La fortune d’Abdourahman Boreh lui permettrait en effet de concurrencer l’actuel chef d’État en 2016. Une candidature de l’actuel président qui est d’autant plus mise en danger qu’il a finalement refusé de témoigner dans le juge britannique, laissant ainsi libre court à toutes les interprétations concernant les raisons de ce refus. La théorie la plus probable étant que, manquant d’éléments probants contre Abdourahman Boreh, le président djiboutien a préféré ne pas laissé son sort décidé par un tribunal occidental sur lequel il n’a aucun pouvoir.

A la tête du pays depuis 16 ans, Guelleh n’a toujours pas affirmé clairement son intention de briguer un nouveau mandat. Une révision constitutionnelle serait nécessaire pour qu’il puisse se présenter une quatrième fois consécutive, mais cette difficulté ne l’avait pas empêché de se présenter lors des précédentes élections, qui avaient déjà nécessité une révision de la Constitution djiboutienne. Un diplomate américain a finalement le dernier mot : « Djibouti est moins un État qu’une ville commerciale gouvernée par un seul homme, Ismail Omar Guelleh ».