28/02/2000 – Lettre d’AREF en réponse à M. LEY-NAGARDIGAL, Secrétaire Général d’ACTUS, sur l’intégration africaine …

AREF MOHAMED AREF
Rue de Moscou
B.P. 1441 ; Tél (253) 35 45 71 ; Fax (253) 35 68 57
DJIBOUTI

Djibouti, le 21 février 2000

Monsieur LEY -NAGARDIGAL Djimadoum
Secrétaire Général de ACTUS

Monsieur le Secrétaire Général,

En présence des aboiements des dogues des dictatures que j’affronte j’ai toujours adopté l’attitude de la caravane qui passe. C’est pourquoi j’ai évité de me baisser et de me laisser entraîner dans les bas fonds crasseux où végète ce germe de pauvres types qui le plus souvent ne savent pas comment gagner honorablement leur vie .

Si je prends la plume c’est uniquement pour vous apporter une précision et pour vous témoigner mon soutien.

La précision concerne mon origine africaine. L’Histoire contemporaine (inutile de remonter plus loin) de la corne orientale de l’Afrique révèle notamment :

que mon arrière-arrière grand-père ABOUBAKER HiRAHIM était Pacha de Zeila : c’est d’ailleurs lui qui a fait venir la France dans cette région pour l’aider à repousser les velléités d’invasion britannique. Zeila se trouve à l’extrême nord de la Somalie et donc en Afrique .
que l’un de ses fils MOHAMED ABOUBAKER était Pacha du HARAR et arrière grand-père de mon cousin MENELIK III fils de sa Majesté YASSOU Empereur d’Éthiopie assassiné par HAlLE SELASSIE ( devenu par la suite Empereur d’Éthiopie ) à la suite d’un coup d’État organisé par les puissances coloniales françaises et anglaises. Je ne vous ferai pas l’outrage de vous dire où se trouve l’Éthiopie qu’un autre de ses fils BOURHAN ABOUBAKER était Bey de Djibouti qu’il a créé. Sa signature figure sur tous les traités conclus à l’époque avec les représentants de ce pays.
que l’un des frères de mon père, mon oncle ALI AREF BOURHAN a été Président du conseil de gouvernement de ce pays appelé à l’époque Territoire des Afars et des Issas qu’il a conduit à l’Indépendance pacifiquement et dans la démocratie .

Comme je n’ai pas l’habitude de faire état de ces origines, la plupart de mes amis les ignorent : vous pouvez d’ailleurs à cet égard interroger les militants tchadiens des Droits Humains dont je salue ici le courage et l’abnégation dont ils ont fait preuve ainsi que l’oeuvre de pionnier qu’ils ont brillamment réalisée en matière de lutte contre l’impunité en Afrique. Mais comme je suis fier de mon origine africaine, je n’ai pu tolérer que vous soyez induit en erreur.

Cela dit j’approuve totalement tous vos propos et plus particulièrement sur l’impérieuse et urgente nécessité d’une intégration africaine que personnellement je souhaite ardemment tant économique que politique. A cet égard je vous adresse, ci-joint, un projet de journées d’étude et de réflexion sur l’intégration africaine, dont en 1992 j’ai rédigé pour la CIJ l’esquisse que vous pourrez dont lire ci-après et dont vos commentaires (privés) m’apprendront certainement beaucoup car depuis huit ans l’idéal que nous avons en commun a considérablement évolué et ne semble plus être considéré comme irréaliste puisque, à l’initiative de Monsieur KADHAFI tous les chefs d’États africains en exercice en ont adopté le principe à la veille de l’an deux mille. Je pense qu’il ne saurait être acceptable que cet idéal soit détourné de son but noble et réel. C’est pourquoi je suis soucieux d’alerter un maximum d’Africains issus de la société civile sur l’intérêt, l’impérieuse et urgente nécessité de veiller au grain avant qu’il ne soit trop tard.

Si vous connaissez un cercle africain qui étudie cette question je vous serais vivement reconnaissant de bien vouloir m’en communiquer les coordonnées afin de me permettre de me joindre à eux. Car je pense qu’il s’agit là de l’avenir de notre continent et d’une partie non négligeable de l’humanité dont les souffrances sont insupportables pour un être humain normalement constitué farouchement opposé aux  » HAIDER  » quelles que soient leurs origines, leur religion ou la couleur de leur peau. Emprisonnés ou assignés à résidence en Afrique ou encore réfugiés sur d’autre continent nous devons tous nous exprimer sur ce sujet capital car, comme le disait Pierre MENDÉS FRANCE  » si les individus se réfugient dans une sorte de passivité civique, la vie nationale tout entière en subit les conséquences « . Nous devons donc avoir  » le courage de la vérité  » si cher à mon ami Arnaud MONTEBOURG. Et aujourd’hui comme hier surtout en Afrique, pour l’Afrique et les Africains ainsi que l’a si justement défini Jean JAURES dans son discours à la jeunesse  » le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques « .

Je vous en remercie par avance et vous prie d’agréer , Monsieur le Secrétaire Général, l’assurance de mes salutations panafricanistes confraternelles .

Aref Mohamed Aref

Note de l’ARDHD :

Ce courrier fait suite à une lettre ouverte de M LEY-NAGARDIGAL, publié dans le numéro 21.

28/02/2000 – PROJET DE JOURNÉES D’ÉTUDE ET DE RÉFLEXION SUR L’INTÉGRATION AFRICAINE (par AREF MOHAMED AREF)

L’ensemble du continent africain traverse une période difficile dans son histoire et, peut-être, la plus délicate. En effet, à la suite de la déclaration de faillite du communisme en ex-URSS, le vent de liberté et de démocratie qui a soufflé sur les pays de l’Europe Orientale a aussi atteint l’Afrique.

Mais dans la plupart des états, les problèmes demeurent et tournent tous principalement autour de trois maux dont souffrent terriblement les Africains :

– le Nationalisme à base tribale, ethnique ou clanique ;

– l’absence totale de démocratie véritable ;

– le sous-développement économique.

Le tout vecteur d’une corruption effrénée et dévastatrice.

Sans entrer dans les détails, pour rechercher des solutions éventuelles, deux cadres sont généralement envisagés par les uns ou les autres mais une troisième approche semble plus appropriée et en tout cas mérite une sérieuse et profonde réflexion d’autant que les institutions de ce type doivent être pensées pour régir plusieurs générations et non répondre à des besoins conjoncturels.

1°/ La première voie est celle qui consiste à dire que puisque le mal le plus profond dont souffre l’Afrique est le nationalisme résultant du découpage colonial, il suffirait de refaire un tracé des frontières épousant l’occupation ethnique ou tribale des populations concernées, on ferait ainsi disparaître les rivalités tribales dans chaque pays ainsi créé.

Aussi séduisante qu’elle puisse paraître, cette solution ne paraît plus réalisable aujourd’hui car elle sera sans aucun doute, un peu à l’image de ce qui se passe en Yougoslavie, source de conflits après et sans fin, même entre deux ensembles ayant instauré respectivement un régime parfaitement démocratique.

2°/ La seconde position qui est apparemment la plus répandue consiste à dire que tout en gardant telles quelles les frontières héritées de la colonisation, il suffit d’introduire la démocratie dans les pays Africains.

Moins courte que la première, cette vue ne paraît pas plus réaliste car elle ne prend pas en compte et en profondeur les autres maux dont souffre la plupart des états du continent :

– Dans la plupart des pays, aucun système réellement efficace pour surmonter les sentiments tribaux, voire claniques si solidement ancrés par le découpage colonial puis les dictatures n’est possible raisonnablement ;

– sur le plan économique, l’échelle de chaque état est, en règle générale, trop réduite pour envisager un développement réel approprié et de type moderne et efficace pour faire face à la concurrence des autres grands ensembles du Monde et notamment U.S.A., C.E.E., et ASIE.

Bien au contraire et malheureusement, cette hypothèse risque à la fois de voir ressurgir les réflexes nationalistes à base ethnique ou tribale et de n’apporter aucune solution économique et, en définitive, de permettre à plus ou moins court terme la résurgence et par la suite, la pérennité de la situation actuelle qui fait injustement apparaître l’Africain comme un éternel assisté.

3°/ Une troisième approche consiste à s’interroger sur le fait de savoir si le temps n’est pas venu d’envisager la création d’une ou plusieurs fédérations Africaines regroupant sous une même bannière tous les états d’Afrique ou plusieurs d’entre eux au fur et à mesure qu’ils instaurent un état de droit démocratique à partir des frontières existant actuellement.

Tout en permettant les particularismes locaux dans divers domaines, une telle vue présente plusieurs avantages à des niveaux multiples et notamment :

– de substituer une nation Africaine aux nationalismes à base tribale ou ethnique ;

– de faire disparaître (au pire à terme) les conflits territoriaux ethniques dans la mesure où chaque Africain sera chez lui dans n’importe quel état de la fédération envisagée ;

– d’assurer, grâce à une Cour Suprême Fédérale un contrôle détribalisé des décisions judiciaires locales et faire ainsi prévaloir la primauté du droit ;

– d’arriver à un résultat similaire en matière législative et gouvernementale grâce à des institutions fédérales ;

– grâce aussi à la création de grandes voies de communication indispensables, de lever toutes les barrières économiques et facilités d’échanges interafricains, ce qui permettra la création d’un vaste et libre marché Africain, seul susceptible d’engendrer de grosses entreprises Africaines enfin capables d’affronter la concurrence de celle des états développés et de susciter un développement endogène ;

– de stimuler un marché du travail Africain par la possibilité pour un employeur de puiser légalement et sans contraintes dans une main d’œuvre qualifiée aussi nombreuse que diversifiée ;

– de réduire, voire supprimer de façon significative l’arsenal militaire impressionnant accumulé par les états Africains et d’utiliser les économies budgétaires qui en résulteront à des fins pacifiques et à l’insertion dans le développement économique et social des états concernés des soldats ainsi dégagés ;

– de restaurer la paix sur le continent qui y aspire ;

– de rationaliser enfin l’aide économique internationale et de l’appliquer à grande échelle à sa réelle destination ;

– de diminuer considérablement les dépenses de prestige qui pourront être mieux utilisées ;

– de faire accéder ce vieux continent au rang de puissance moderne ;

ETC…

Il n’est pas inutile d’ajouter qu’au fond de lui-même, chaque Africain ressent le sentiment profond d’appartenir à une communauté à l’échelle continentale.

Le continent Africain tout entier est actuellement totalement absent de l’élaboration des nouvelles stratégies politiques, industrielles et commerciales mondiales. S’ils ne réagissent pas très rapidement, les Africains seront très vite irrémédiablement sur la touche et deviendront à jamais les éternels assistés du Globe.

Il est bien évident qu’un tel projet ne peut-être mené que par les Africains eux-mêmes et appelle de leur part un engagement sans faille et déterminé.

Mais la réflexion qui le précède ainsi que sa réalisation ne peuvent être conduites à terme qu’avec le soutien absolument indispensable de tous ceux qui ont le souci sincère et désintéressé de sauver tout un continent d’une catastrophe apparemment inéluctable. Pourront aussi s’y joindre tous ceux qui se souviennent de l’engagement généreux et désintéressé de tous les Africains aux côtés des puissances alliés et notamment de la France en particulier lors de deux conflits mondiaux.

Une réflexion sur l’intégration Africaine si elle peut être encouragée et soutenue devra regrouper durant au moins une semaine des juristes et des économistes du continent Africain avec l’aide indispensable de toutes les bonnes volontés. Il en sortirait un document susceptible de servir de base à un vaste débat politique à l’échelle du continent Africain voire des Nations Unies.

Aref Mohamed Aref
Djibouti