28/02/09 (B488) Nord Eclair : Papy trafique des stupéfiants.

À quoi pense William B., un habitant de Bordeaux âgé de 63 ans ? Peut-être à sa compagne africaine, qu’on imagine jolie, qui le plonge dans une étrange aventure entre dealers et petits agresseurs. Récit.

Par DIDIER SPECQ

L’homme porte un regard bleu sur la salle d’audience du palais de justice. Le prévenu dans le box sait qu’il a commis une grosse boulette. Ses habits sont encore fripés par la longue garde à vue. Et il examine juges et procureur avec le regard soucieux de la langoustine voyant passer le bol de mayonnaise. À quelle sauce va-t-il être mangé ?

Deux grosses valises

Le 25 février dernier, dans le TGV qui arrive de Bruxelles en gare de Lille-Europe, William B. voyage avec deux grosses valises. On connaît le flair légendaire des douaniers. Ces derniers détectent donc ce voyageur a priori au-dessus de tout soupçon, le contrôlent et ouvrent les valises. Bingo !

Trente-six kilos de khat en excellent état. On commence à connaître : cette plante se mâche beaucoup dans l’Est de l’Afrique – en Éthiopie et en Somalie par exemple – et sert de coupe-faim tout en procurant des effets hallucinogènes. Les Africains de l’Est vivant en France aiment parfois continuer à consommer du khat. « La nocivité du khat est faible » plaide Me Franck Chatelain. Ce n’est pas du tout l’avis de la représentante des douanes ni celui du procureur Guillaume Donnadieu.

William B. fréquente à Bordeaux ces expatriés venus de l’Est de l’Afrique. Il les fréquente d’autant plus qu’il est marié à une jeune femme originaire de Djibouti. Pas besoin de faire un dessin pour le reste : « Amour, bonne foi, sincérité » plaide Me Franck Chatelain.

Il évite la prison

Jamais condamné, sauf pour une vieille affaire de diffamation lors d’une campagne électorale, ayant travaillé jusqu’à sa retraite chez Dassault-Aviation, paisible retraité de la région bordelaise, le prévenu n’est certes pas un grand professionnel du trafic de stupéfiants. Il a par exemple bêtement avoué aux douaniers que c’était la troisième fois qu’il effectuait le voyage vers la Hollande pour en ramener du khat.

Il admet donc avoir acheté au total 105 kilos de khat chez nos amis bataves qui, de toute façon, ne considèrent pas que cette plante constitue une drogue. « Je ne savais pas vraiment que c’était classé stupéfiant en France » dit-il avec un sourire poli.

Le khat n’est pas cher mais la contre-valeur de 105 kilos, c’est tout de même la coquette somme de 15 750 euros. Le prévenu évite la prison : 12 mois entièrement assortis du sursis.

21/02/09 (B487) Nord Eclair : Trente-cinq kilos de « khat » saisis à Lille. Le mardi 17 février, en gare de Lille-Europe, le TGV de Bruxelles est investi par les agents des douanes. « Khat » en stock.

Par DIDIER SPECQ

Rachid Abdi, 50 ans, un Somalien né à Mogasdiscio, attire tout de suite l’attention des douaniers avec ses deux grosses valises odoriférantes. Les préposés de l’administration ne sont pas déçus : la fouille des bagages du Somalien amène la découverte de 35 kilos de « khat ». Cette plante, c’est un peu le chewing-gum de la corne de l’Afrique : les populations souvent affamées de l’est africain ont l’habitude de la mâcher. Faiblement hallucinogène, cette plante joue également le rôle de coupe-faim, un détail non négligeable pour ces populations déshéritées.

Cadeau dans les fêtes

« C’est une plante consommée traditionnellement qui sert de cadeau dans les fêtes de famille » estime, en défense, Me Laura Campisano. C’est la thèse, émise par le truchement d’un interprète, de Rachid Abdi : « J’amenais cette marchandise à Genève, dans ma famille où un grand mariage est organisé. Je ne savais pas que cette plante était interdite en France. cette plante est en vente libre en Hollande où je l’ai achetée ». Évidemment, le président Gérard Flament soupçonne un trafic : « Vous alliez directement à un mariage et vous n’aviez aucun habit de cérémonie, c’est un peu bizarre, non ? » Réponse du prévenu : « Les habits attendent les invités sur place ».

Valeur : 52 500 euros

Pour Patrick Cabon, le représentant des douanes, « l’excuse de la fête familiale revient le plus souvent dans le discours des passeurs quand ils se font prendre. Mais il s’agit bien d’un trafic illicite et, chez les ressortissants de l’Afrique de l’Est, on sait depuis longtemps, même si c’est une plante traditionnelle, que le khat est considéré comme une drogue en France ». 52 500 euros : telle est la valeur invoquée par les douanes de ces 35 kg de stupéfiants sur le marché clandestin en France.

Le procureur Olivier Dabin n’hésite pas à revenir sur cette notion de plante traditionnelle : « D’abord, dans le petit milieu de l’émigration venue de Somalie ou d’Ethiopie, tout le monde sait que le khat est interdit en France. Ensuite, en Somalie, les tribunaux islamiques répriment très sévèrement l’usage et la détention de cette plante ».

Me Laura Campisano insiste à nouveau : « On ne peut considérer cette plante quasi inoffensive comme une drogue, encore moins comme une drogue dure ! » Mais, au final, c’est tout de même 12 mois de prison dont 8 avec sursis qui tombent sur le passeur somalien.