15/03/05 (B289) RSF / ETHIOPIE / Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira : deux prisonniers oubliés à deux mois des élections. Inquiétude de RSF.
Deux mois jour pour jour
avant les élections générales du 15 mai, Reporters sans
frontières exprime sa « très grande inquiétude
» quant au sort de Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira, deux journalistes
éthiopiens du service en langue oromo de la télévision
publique Ethiopian Television (ETV), emprisonnés par les autorités
pour leurs liens supposés avec un groupe séparatiste.
« Alors que les
Ethiopiens s’apprêtent à voter, deux journalistes croupissent
dans une prison où des cas de tortures et de mauvais traitements sont
régulièrement rapportés par des organisations internationales,
a déclaré Reporters sans frontières. A quelques kilomètres
du siège de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, l’Ethiopie
déroge impunément à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples. Quels que soient les chefs d’accusation retenus contre
eux, ces deux journalistes ont des droits. Ceux-ci ont été manifestement
bafoués par les autorités éthiopiennes, qui ne se sont
pas soumises aux décisions de la Haute Cour fédérale.
Selon le droit éthiopien, Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira doivent
être relâchés immédiatement. Par ailleurs, le contexte
dans lequel ils ont été jetés en prison nous incite à
penser que l’accusation de terrorisme portée à leur encontre
est totalement dénuée de fondement », a conclu Reporters
sans frontières.
Shiferraw Insermu et Dhabassa
Wakjira, tous deux journalistes du service en langue oromo de la chaîne
de télévision publique éthiopienne ETV, ont été
arrêtés pour la première fois à leur domicile d’Addis-Abeba,
le 22 avril 2004. La Haute Cour fédérale a ordonné leur
libération sous caution le 9 août suivant, mais seul Shiferraw
Insermu a été relâché. Arrêté de nouveau
le 17 août, le journaliste a été libéré
sur ordre de la Haute Cour fédérale à la mi-octobre.
La chaîne ETV ayant refusé de l’autoriser à reprendre
son emploi, il tentait de retrouver une activité professionnelle lorsqu’il
a été arrêté une troisième fois, le 11 janvier
2005. Dhabassa Wakjira, lui, est détenu sans interruption depuis près
d’un an sans que l’administration pénitentiaire obéisse aux
différents ordres de libération provisoire de la justice. Selon
les informations recueillies à Addis-Abeba par Reporters sans frontières,
les deux journalistes ont comparu le 7 mars 2005 devant un tribunal, qui a
reporté l’audience à une date ultérieure. A ce jour,
tous deux sont emprisonnés à la prison centrale d’Addis-Abeba,
dite « Kerchiele ».
Selon nos informations,
ils ont été inculpés en vertu des articles 32, 252 et
522 du code pénal éthiopien. Ils sont accusés de «
transmission d’informations gouvernementales à la direction du Front
de libération oromo (Oromo Liberation Front, OLF) », «
planification d’attentats », « association à caractère
terroriste » et « levée de fonds en vue de perpétrer
des actes terroristes ». Il est spécifiquement reproché
à Shiferraw Insermu d’avoir transmis des informations gouvernementales
à la Sagalee Bilisummaa Oromoo (Voix de la libération oromo,
SBO), la radio de l’OLF, « par e-mail ou d’autres moyens ».
Selon le témoignage
d’un ancien collègue des deux journalistes, aujourd’hui en exil, ils
ont été interpellés, en compagnie d’autres employés
oromos de ETV aujourd’hui libérés, suite à la diffusion
d’un reportage sur la violente répression d’une manifestation d’étudiants
oromos sur le campus de l’université d’Addis-Abeba, le 4 janvier 2004.
L’intervention des forces de l’ordre avait donné lieu à des
brutalités policières et à de nombreuses arrestations,
notamment de membres de l’association d’aide sociale Macha Tulema, qui souhaitait
protester contre la décision du gouvernement éthiopien de déménager
les institutions régionales de la région oromo d’Addis-Abeba
(appelée Finfinne par les Oromos) à Adama (également
connue sous le nom de Nazret, à 100 km à l’est de la capitale).
L’OLF, fondé en
1974, est un mouvement insurrectionnel du Sud qui s’oppose à la mainmise
des Amharas et des Tigréens sur le pays et milite pour l’instauration
d’un pays indépendant, rassemblant les Oromos éthiopiens et
ceux vivant dans le nord du Kenya. Les Oromos représentent, selon les
experts, de 35 à 40 % de la population éthiopienne. L’OLF est
soutenu par l’Erythrée, ancienne province éthiopienne où
une coalition de guérilla a livré une guerre d’indépendance
contre le gouvernement d’Addis-Abeba entre 1962 et 1991. Après l’indépendance
de l’Erythrée en 1993, les deux pays se sont livrés une guerre
territoriale meurtrière entre 1998 et 2000. Les organisations communautaires
et les fonctionnaires oromos en Ethiopie subissent régulièrement
la répression du gouvernement, qui les accuse d’être des espions
de l’OLF. Le 28 février 2005, le département d’Etat américain,
d’habitude plutôt favorable à l’Ethiopie, a publié un
rapport très critique sur la situation des droits de l’homme dans le
pays, « notamment envers les personnes suspectées d’être
membres de l’OLF ».
Les difficultés
éprouvées par Reporters sans frontières pour obtenir
des informations en Ethiopie sur le cas de ces deux journalistes montrent
à quel point ce sujet est sensible. Selon les recoupements effectués
par l’organisation, au moins douze journalistes oromos ont fui la répression
en Ethiopie depuis le début de l’année 2004 et ont trouvé
refuge dans les pays avoisinants.
Entre 1997 et 2001, Garuma
Bekele, Tesfaye Deressa et Solomon Nemera, respectivement directeur de publication,
rédacteur en chef et journaliste de l’hebdomadaire Urji, avaient passé
près de quatre ans en prison pour « participation à des
activités terroristes » et « fabrication de fausses nouvelles
». Ils avaient simplement remis en cause une déclaration officielle,
selon laquelle trois hommes tués par les forces de sécurité
étaient membres de l’OLF.
Leonard VINCENT
Bureau Afrique / Africa desk
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