20/05/05 (B299) L’HUMANITE : Omar Guelleh s’esquive

Reçu à l’Élysée, le président djiboutien a regagné précipitamment son avion pour ne pas avoir à être entendu dans le cadre de « l’affaire Borrel ».



Nouveau rebondissement diplomatico-judiciaire dans l’affaire du juge Borrel. Du nom de ce magistrat français dont le corps calciné avait été retrouvé le 19 octobre 1995 à 80 kilomètres de la capitale de l’État de Djibouti. Une enquête précipitée et conduite dans des conditions souvent dénoncées depuis concluait au suicide. Une thèse réfutée par l’épouse du juge, Elizabeth Borrel, parlant d’assassinat politique. Un meurtre dans lequel serait compromis Ismaël Omar Guelleh, à l’époque premier dirigeant du cabinet du chef de l’État Hassan Gouled, et devenu aujourd’hui lui-même président de Djibouti. Selon les avocats d’Elizabeth Borrel, son mari aurait recueilli des informations « gênantes » sur l’attentat commis en septem- bre 1990 au Café de Paris (un mort, onze blessés) lieu traditionnel de rendez-vous de la diaspora française, attentat qui servit de prétexte aux autorités locales pour déclencher une vague de répression à l’encontre de l’opposition. Anc ien officier de la garde présidentielle, aujourd’hui réfugié en Europe, Mohamed Saleh Alhoumekani rapportait avoir été présent à une rencontre entre Guelleh et cinq hommes venus rendre compte, le lendemain de la mort de Bernard Borrel : « Le juge fouineur est mort, il n’y a plus de traces », aurait déclaré, mot pour mot, l’un d’entre eux.


Ce début de semaine, Ismaël Omar Guelleh était présent à Paris pour rencontrer son homologue français Jac- ques Chirac. Convoqué par la juge d’instruction Sophie Clément pour être entendu comme témoin mercredi, conformément à une demande des avocats d’Elizabeth Borrel, il reprenait l’avion sitôt après son passage à l’Élysée. Commentaire empêtré du ministère des Affaires étrangères devant cette dérobade par trop flagrante : « tout chef d’État en exercice bénéficie de l’immunité de juridiction dans ses déplacements à l’étranger (…) toute demande adressée à un représentant d’un État étranger dans le cadre d’une procédure judiciaire obéit à s formes particulières prévues par la loi ». Une référence à l’article 656 du code de procédure pénale, qui prévoit que « la déposition écrite d’un représentant d’une puissance étrangère est demandée par l’entremise du ministre des Affaires étrangères ».


Ce comportement du Quai d’Orsay n’a rien pour surprendre. En février, déjà, il avait été accusé par le Syndicat de la magistrature de chercher à freiner la procédure dans notre pays et de porter atteinte à l’indépendance des magistrats.


Une « attitude inadmissible des autorités françaises » insistait le communiqué alors rendu public. Rappelons que Djibouti accueille la principale base militaire française du continent africain. Un intérêt géostratégique encore accentué par le fait que ce petit pays joue aussi désormais un rôle essentiel dans le dispositif militaire déployé par les puissances occidentales dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » impulsée par Washington. Une base américaine forte de 1 500 hommes est basée au camp Lemonnier, non loin des installations militaires françaises. Le port, lui, voit voisiner les frégates expédiées par la France, mais aussi l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie pour participer à la Task Force 150 (TF 150) chargée d’assurer le « contrôle » en mer Rouge et dans le nord de l’océan Indien. Un déploiement multinational que d’aucuns se refusent à laisser troubler par une quelconque enquête susceptible d’inquiéter les autorit és djiboutiennes et de remettre en cause leur bonne volonté jusqu’à aujourd’hui inconditionnelle.


Jean Chatain