12/05/06 (B349-A) RSF / ETHIOPIE 15 mai 2005 – 15 mai 2006 : Quelle issue après une année noire ? Reporters sans frontières appelle le gouvernement éthiopien à amnistier les prisonniers d’opinion,

Reporters sans frontières appelle le gouvernement éthiopien à amnistier les prisonniers d’opinion, notamment les 21 journalistes actuellement détenus dans le pays, et formule des recommandations pour sortir de la crise dans laquelle le pays est plongé depuis un an.

Un an après les élections législatives du 15 mai 2005 qui ont plongé le pays dans la crise et emporté une partie de la presse indépendante, Reporters sans frontières appelle le Premier ministre éthiopien à amnistier les prisonniers d’opinion, notamment les 21 journalistes actuellement détenus dans le pays et dont certains encourent la peine de mort.

Dans une lettre adressée le 12 mai à Meles Zenawi, Reporters sans frontières a proposé l’organisation d’une "conférence nationale de réconciliation", avec pour objectif de "rétablir le dialogue entre le gouvernement et les journalistes, de lister les problèmes existants dans l’accès et le traitement de l’information, d’imaginer des mécanismes de régulation des médias et d’établir un code de conduite commun des autorités, de la presse publique et de la presse privée éthiopienne". Reporters sans frontières se dit prête à "participer activement" à une telle conférence.

"Quelle que soit l’option que vous choisirez, une sortie de crise est indispensable pour que l’Ethiopie puisse de nouveau être gouvernée sereinement, a écrit l’organisation. Les journalistes aujourd’hui incarcérés, qui ont exprimé leur désarroi et leur volonté d’apaisement depuis leur prison de Kaliti, ont tendu la main à votre gouvernement. Cette sortie de crise, à nos yeux, ne peut donc que passer par une amnistie générale des prisonniers d’opinion et l’ouverture d’un dialogue national, franc et pragmatique, permettant qu’un tel gâchis ne se reproduise pas. Le grand procès politique qui se déroule actuellement à Addis-Abéba, sur la base de chefs d’accusation vagues, voire extravagants, ne fait qu’aggraver la crise. Il fragilise la stabilité de votre pays, situé dans une région extrêmement volatile du continent africain. C’est pourquoi, même si nous connaissons la position déterminée de votre gouvernement, nous vous demandons de prendre en considération notre proposition."

Le dimanche 15 mai 2005, les électeurs éthiopiens étaient appelés à renouveler leur parlement pour la troisième fois depuis la chute de la dictature de Mengistu Haïlé Mariam en 1991. Toutefois, les précédents scrutins ayant été boycottés par l’opposition, les élections législatives de 2005 étaient vues comme la première consultation électorale multipartite du pays et avaient suscité l’espoir de la classe politique éthiopienne comme de la communauté internationale. Mais ce scrutin s’est révélé désastreux. La principale coalition d’opposition, la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD, Kinijit en amharique), a dénoncé des fraudes et organisé des manifestations de protestation, soutenue par une partie de la presse indépendante paraissant dans la capitale. Dans le courant du mois de juin, une dizaine d’arrestations étaient intervenues dans les rangs de la presse indépendante. La situation s’était quelque peu apaisée jusqu’à la proclamation définitive des résultats. A partir du 1er novembre, la police éthiopienne avait violemment réprimé de nouveaux rassemblements organisés à Addis-Abéba et dans plusieurs villes de province. La CUD a affirmé que le parti de M. Meles, l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF), avait truqué le décompte des voix et estimait que le scrutin avait été "volé". Lors des affrontements avec l’armée, 48 personnes avaient été tuées et 200 autres blessées. Au moins 11 000 personnes avaient été interpellées pour des périodes plus ou moins longues.

En novembre et décembre 2005, quatorze directeurs de journaux ou rédacteurs en chef de la presse indépendante ont été raflés. Il s’agit de : Eskinder Nega Fanta, 37 ans, membre de la CUD et journaliste des hebdomadaires Asqual, Menelik et Satenaw, ainsi que son épouse enceinte, Serkalem Fassil Woldeselassie, 30 ans, propriétaire et directrice de publication des trois hebdomadaires ; Fassil Yenealem Agenehu, 31 ans, propriétaire et directeur de publication de l’hebdomadaire Addis Zena ; Wosonseged Gebrekidan Tegene, 36 ans, rédacteur en chef d’Addis Zena ; Sisay Agena Gole, 35 ans, propriétaire et directeur de publication de l’hebdomadaire Ethiop ; Andualem Ayele Legesse, 31 ans, rédacteur en chef d’Ethiop ; Wonakseged Zeleke Tessema, 23 ans, rédacteur en chef d’Asqual ; Dereje Abtewold Yimanu, 31 ans, rédacteur en chef adjoint de Menelik et de l’hebdomadaire Netsanet ; Nardos Meaza Gebrehanna, 41 ans, rédacteur en chef de Satenaw ; Dawit Fassil Woldeselassie, 24 ans, rédacteur en chef adjoint de Satenaw ; Zakarias Tesfaye Hargu, 29 ans, propriétaire et directeur de publication de Netsanet ; Mesfin Tesfaye Gobena, 31 ans, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Abay ; Dawit Kebede Bahata, 25 ans, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Hadar ; Feleke Tibebu Abraham, 40 ans, rédacteur en chef adjoint de Hadar.

A partir de décembre 2005, d’autres journalistes ont été arrêtés et condamnés pour des affaires de diffamation. Getachew Simie, journaliste de l’hebdomadaire Addis Admas et ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire aujourd’hui disparu Agere, Leykun Engeda, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire disparu Dagim Wonchif, Abraham Gebrekidan, rédacteur en chef de l’hebdomadaire disparu Politika, Wosonseged Gebrekidan, rédacteur en chef d’Addis Zena et ancien rédacteur en chef d’Ethiop, et Abraham Reta Alemu, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Ruh, ont été condamnés à des peines de trois à dix-huit mois de prison pour des affaires datant de 1998 ou 1999. Leykun Engeda, Abraham Gebrekidan, Wosonseged Gebrekidan et Abraham Reta sont toujours en détention.

Depuis le 1er janvier 2006, deux autres journalistes sont venus s’ajouter aux "prisonniers de novembre". Solomon Aregawi, journaliste de Hadar, arrêté en novembre 2005, a été inculpé le 21 mars 2006 d’"outrage à la Constitution" et de "génocide", en compagnie de 32 autres prisonniers, membres avérés ou supposés de la CUD. Arrêté le 19 février, Goshu Moges, de l’hebdomadaire Lisane Hezeb, a été inculpé de "trahison" le 19 avril.

Un certain nombre d’autres journalistes, membres de l’opposition ou d’associations, ont été inculpés alors qu’ils se trouvaient hors du territoire éthiopien et sont jugés in absentia.

Dans son courrier, Reporters sans frontières a également appelé une fois de plus à la libération de Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira, deux journalistes du service oromo de la chaîne de télévision publique ETV, détenus depuis avril 2004. Selon le témoignage d’un ancien collègue des deux journalistes, aujourd’hui en exil, ils ont été interpellés le 22 avril 2004, en compagnie d’autres employés oromos de ETV aujourd’hui libérés, suite à la violente répression d’une manifestation d’étudiants oromos sur le campus de l’université d’Addis-Abéba, le 4 janvier 2004. L’intervention des forces de l’ordre avait donné lieu à des brutalités policières et à de nombreuses arrestations, notamment de membres de l’Association d’aide sociale Macha Tulama qui protestaient contre la décision du gouvernement éthiopien de déménager les institutions de la région oromo d’Addis-Abéba (appelée Finfinne par les Oromos) à Adama (également connue sous le nom de Nazret, à 100 km à l’est de la capitale). Les deux journalistes sont accusés d’avoir été des informateurs du mouvement séparatiste Oromo Liberation Front (OLF).

Leonard VINCENT
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