28/06/06 (B356_B) Libération : Sur la piste ADN des tueurs du juge Borrel

Et si l’on retrouvait les assassins du juge Borrel ? Cette hypothèse inespérée, dans un dossier vieux de plus de dix ans et semé d’embûches, est pourtant envisagée par la justice avec le plus grand sérieux. Le docteur Olivier Pascal, pionnier de l’ADN en France, expert près la Cour de cassation, vient d’identifier dans son Unité fonctionnelle d’Empreintes génétiques (UFEG) à Nantes, «deux empreintes masculines» inconnues sur les effets de Bernard Borrel.

«C’est une avancée énorme, jubile Olivier Morice, avocat d’Elisabeth Borrel, la veuve du juge, partie civile. Parce que jusqu’à présent, on avait la certitude de l’assassinat, mais maintenant, on est sur la trace des assassins et on avance à grand pas». La juge d’instruction de Paris chargée de l’enquête, Sophie Clément, qui avait ordonné cette expertise en octobre 2004, peut donc aujourd’hui utilement demander leur ADN à de possibles témoins (lire ci-contre).

A-pic. Ces empreintes inconnues ont été retrou es sur le short de Bernard Borrel conservé dans des scellés qui n’avaient jamais été ouverts depuis le 19 octobre 1995, au lendemain de sa mort dans de cruelles circonstances. Le corps de ce magistrat français de 40 ans, alors en poste à Djibouti, avait été découvert en partie carbonisé, recroquevillé dans les rochers à dix-sept mètres en contrebas d’une route isolée, en face de l’île du Diable. Il n’était vêtu que d’un tee-shirt et d’un slip. L’un de ses pieds était déchaussé. En haut de l’à- pic, posés sur les rochers, son short (celui mis sous scellés), sa ceinture, un bidon d’essence et le bouchon, ainsi que l’autre sandale. Plus bas, sa montre et un briquet.

Malgré des incohérences, notamment l’absence totale de motif, le suicide par immolation avait aussitôt été imposé à sa veuve par les autorités françaises et djiboutiennes comme l’unique explication à cette mort étrange. Cette thèse, vite rejetée par Elisabeth Borrel et ses conseils, Olivier Morice et Laurent de Caunes, a été définitivement mise à mal en 2002. Cette année-là, un collège d’experts judiciaires a démontré que l’à-pic était en fait une scène de crime. D’autres expertises ont prouvé que le juge avait eu le crâne fracturé et qu’il avait été arrosé d’essence post mortem. Mais par qui ?

Le spécialiste de l’ADN, dans un premier rapport daté du 4 avril dernier, conclut à l’existence de trois empreintes génétiques masculines. L’une a été comparée à celle des deux enfants du juge. C’est la même. Une autre, relevée à l’intérieur de la poche avant droite du short, mélangée à celle du juge, n’a été retrouvée qu’«en très faible quantité». Rappelons au passage que du shit avait été découvert dans les poches de ce même short, alors qu’une expertise ultérieure des cheveux de Bernard Borrel a démontré qu’il n’en avait jamais absorbé.

Origine. C’est la troisième empreinte qui est la plus intéressante. Là, l’ADN est identifiable, c’est-à-dire qu’il correspond au profil génétique d’un individu. «Quand la juge Sophie Clément a reçu ce apport, poursuit Me Morice, elle a demandé au Dr Pascal de vérifier si cette empreinte était compatible avec l’hypothèse d’un transport du corps, élément de la mise en scène évoquée par les experts de 2002». La réponse est tombée le 21 juin. Le Dr Pascal explique qu’il n’a pas pu établir l’origine du tissu biologique, sang, crachat ou simples cellules épithéliales laissées par un contact avec la peau d’un inconnu. Cependant, ajoute-t-il, «un grand nombre de cellules étaient présentes sur le short». Leur quantité varie selon trois critères : «la durée du contact», «la force avec laquelle l’objet a été tenu» et la génétique des individus, certains laissant plus de cellules que d’autres après un contact. Ses conclusions sont nettes : il peut «exclure l’hypothèse d’un contact bref» avec Bernard Borrel au profit d’un «contact long et/ou un maintien avec force». L’hypothèse d’«un transport du corps» est donc privilégiée. Et l’ADN inconnu serait bien celui de l’assassin, ou d’un des complices de l’assassin.

Contactée hier, Elisabeth Borrel se réjouit de ces résultats. Elle ne peut s’empêcher de rappeler que les prédécesseurs de Sophie Clément, les juges parisiens alors en charge de son dossier, Marie-Paule Moracchini et Roger Leloire, lui avaient refusé de nouvelles expertises en 2000, estimant qu’elles seraient «inutiles à la manifestation de la vérité». Ils avaient été dessaisis quelques mois plus tard.

par Brigitte VITAL-DURAND
QUOTIDIEN : mercredi 28 juin 2006