03/01/07 (B376) REUTERS : Le blitz éthiopien en Somalie, un cadeau pour Washington.

NAIROBI
(Reuters) – La décisive intervention militaire éthiopienne qui
a chassé les islamistes du pouvoir la semaine dernière en Somalie
est un cadeau d’étrennes bienvenu pour George Bush.

La
puissante armée d’Addis-Abeba a porté ce week-end jusqu’à
Mogadiscio un gouvernement transitoire reconnu par la communauté internationale
mais trop faible pour y asseoir son pouvoir et cantonné depuis plusieurs
années à la seule localité de Baïdoa.

En provoquant
la fuite des islamistes qui avaient ravi la capitale aux chefs de guerre en
juin, le principal allié régional des Etats-Unis dans leur guerre
contre le terrorisme a offert à ceux-ci un succès stratégique
dans la Corne de l’Afrique sans qu’ils aient à tirer un seul coup de
feu.

Car ce
sont les Etats-Unis qui, enlisés en Afghanistan et en Irak, ont "encouragé
à passer à l’action" l’Ethiopie, elle-même inquiète
de voir un régime islamiste radical s’installer à sa frontière
sud, estime l’analyste Michael Weinstein.

"Les
Américains ordinaires en ont assez des interventions à l’étranger.
Donc, ce qui s’est passé en Somalie va maintenant devenir leur stratégie
favorite: utiliser des alliés régionaux comme catapulte",
fait valoir ce professeur de science politique à l’université
Purdue de l’Indiana.

De source
militaire occidentale, on confirme que les Etats-Unis ont fourni tous les
moyens de renseignement et de surveillance nécessaires pour assurer
le succès de la marche des troupes éthiopiennes sur Mogadiscio.

"PARALLELE
TROUBLANT AVEC L’IRAK"

Addis-Abeba
comme Washington présentent les dirigeants de l’Union des tribunaux
islamiques (UTI), qui ont mis fin l’an dernier aux 15 ans de règne
sanglant des chefs de guerre en Somalie, comme des marionnettes d’Al Qaïda
dans la région.

A les
en croire, les islamistes somaliens étaient en passe de devenir les
taliban de la Corne de l’Afrique et la Somalie se serait transformée
en un nouveau refuge pour les terroristes et djihadistes du monde entier.

Toutefois,
échaudés par leur proclamation de victoire pour le moins prématurée
en Irak en 2003, le président George Bush et ses collaborateurs se
gardent bien de se réjouir trop tôt de ce succès dans
une région chroniquement instable traversée par des clivages
complexes.

Certains
analystes prédisent déjà que le forces islamistes, qui
ont préféré se replier devant le "blitzkrieg"
éthiopien plutôt que de s’exposer à de lourdes pertes,
vont se réorganiser et se lancer dans une guérilla à
l’afghane ou à l’irakienne.

"Le
parallèle avec l’Irak est troublant", note Matt Bryden, un spécialiste
des affaires somaliennes basé à Nairobi. Rien, selon lui, n’annonce
un retour à la normale et à la paix dans l’ex-colonie italienne
au lendemain de la chute des islamistes.

Le retour
rapide des chefs de guerre à Mogadiscio montre d’ailleurs que le pays
pourrait replonger rapidement dans le chaos et l’anarchie qu’ils y avaient
fait régner entre la chute du dictateur Siad Barre, en 1991, et leur
fuite de la capitale l’an dernier.

LA CHUTE
DES FAUCONS NOIRS

Durant
ces années-là, les forces américaines ont connu une aventure
désastreuse en Somalie qui leur en a assez appris sur le pays pour
ne pas brandir aujourd’hui la bannière "mission accomplie",
souligne Bryden.

L’intervention
militaire américaine pour tenter de pacifier un pays où l’Etat
s’était effondré et les clans s’affrontaient avait commencé
en fanfare par un débarquement des "marines" sur les plages
de Mogadiscio filmé par les médias du monde entier.

Mais elle
s’était achevée par un piteux retrait lorsque les miliciens
somaliens avaient abattu deux hélicoptères américains
Blackhawk ("Faucon noir"), tué 18 "marines" et
exhibé leurs corps à travers les rues de la capitale, toujours
sous les objectifs des caméras.

L’opinion
d’outre-Atlantique, qui n’est pas près d’oublier ces scènes,
"n’aurait pas toléré une nouvelle intervention directe",
juge un diplomate européen qui note que, cette fois, "cela tourne
plutôt bien pour les Américains après la pagaille initiale
qu’ils avaient commencé à semer".

Au début
de l’an dernier, en effet, l’administration Bush avait entrepris, contre les
conseils de ses alliés européens ou régionaux, de financer
secrètement les chefs de guerre encore au pouvoir à Mogadiscio
qui lui faisaient miroiter la capture des de "terroristes".

Cet appui
à des chefs de clans qui rivalisaient de racket et d’exactions a alimenté
le ressentiment de la population, la poussant dans les bras des islamistes
qui ont cueilli Mogadiscio comme un fruit mûr avant d’étendre
leur contrôle au sud du pays.

"TRIOMPHALISME
HORS DE MISE"

Aussi
peut-on considérer qu’un nouveau fiasco vient d’être évité
par Washington en Somalie, grâce à son allié éthiopien.
"L’offensive éthiopienne a été réussie. Les
pertes civiles ont été limitées", remarque Matt
Bryden.

"Mais
le triomphalisme n’est pas de mise", ajoute-t-il. Il reste à asseoir
l’autorité au plan national d’un gouvernement officiel à base
clanique qui en manque cruellement une fois les troupes éthiopiennes
rapatriées – simple question de semaines, selon Addis-Abeba.

"Tous
les Somaliens ont un rôle à jouer dans l’avenir de la Somalie,
sauf ceux qui sont engagés dans le terrorisme et la violence",
a affirmé l’ambassadeur des Etats-Unis au Kenya et en Somalie, Michael
Ranneberger, faisant allusion aux djihadistes mais aussi aux chefs de clans
armés.

Pour Michael
Weinstein, "le gouvernement somalien va avoir besoin de toute l’aide
possible". "Donc, bien sûr, il lui sera utile de se présenter
comme un partenaire dans la guerre contre le terrorisme" décrétée
par Washington après les attentats du 11 septembre 2001.

Un façon
de le montrer serait de livrer trois islamistes que Washington croit réfugiés
en Somalie et qui sont soupçonnés d’avoir pris part aux sanglants
attentats à la bombe de l’été 1998 contre les ambassades
des Etats-Unis à Nairobi et Dar es-Salaam.

L’Union
des tribunaux islamiques avaient refusé de les livrer aux Etats-Unis,
à l’instar en Afghanistan du régime des taliban, qui avait exclu
de livrer Oussam ben Laden à Washington après le 11 septembre.