14/02/07 (B382) RSF / SOMMET FRANCE-AFRIQUE
Rêvons
un peu !
Pour alimenter
les derniers feux de son mandat à la tête de la République
française, le président Jacques Chirac reçoit sur la
Croisette l’essentiel des chefs d’Etat africains, les 15 et 16 février,
à l’occasion du 24e sommet France-Afrique. Un rendez-vous solennel,
qui doit marquer la sortie de scène d’un président français
profondément attaché à l’Afrique. Pendant deux jours,
il accueillera ceux qui, quotidiennement, font et défont le destin
d’un continent meurtri par des conflits armés insolubles et par une
mondialisation féroce. Alors, rêvons un peu.
Cette
perspective remplit d’espoir le cœur des démocrates africains.
Particulièrement
les 44 journalistes incarcérés sur le continent pour avoir exercé
leur métier. Car il est certain que Jacques Chirac ne manquera pas
cette occasion unique de quitter l’Elysée avec panache. Au nom des
valeurs de la République, sans aucun doute plaidera-t-il leur cause
auprès de ceux qui sont responsables de leur incarcération.
Et qui partageront sa table pendant deux jours.
Comment
pourrait-on en douter ?
Certes,
Jacques Chirac n’a jamais cru bon de s’emporter contre le régime tunisien,
malgré la corruption et le népotisme qui le caractérisent.
Mais cette fois, il ne ratera pas l’occasion de défendre ces journalistes,
intellectuels et militants des droits de l’homme que le président Zine
el-Abidine Ben Ali et sa police font taire, tabassent ou emprisonnent. Jacques
Chirac, n’en doutons pas, changera de vocabulaire pour s’adresser au chef
de l’Etat tunisien. Il lui dira combien la méthode tunisienne, faite
de filatures et d’arrestations brutales, aggrave la situation. La liberté
d’expression lui semblera, cette fois, un droit fondamental sur lequel la
France ne transige pas, au même titre que le droit à l’alimentation
et à la santé.
De même,
il est certain que le président Chirac prendra le Premier ministre
éthiopien Meles Zenawi à partie. Il lui dira combien la France
réprouve le maintien en détention, depuis 18 mois, d’une vingtaine
de directeurs de journaux, accusés d’avoir voulu renverser le gouvernement,
alors qu’ils n’ont fait que soutenir l’opposition. Il aura, bien entendu,
un mot tout particulier pour la jeune journaliste Serkalem Fassil, qui a donné
naissance à un petit garçon dans sa cellule, en juin dernier.
Le président de la République française exigera leur
libération.
Jacques
Chirac réservera un traitement particulier au président Issaias
Afeworki, le chef de la jeune République d’Erythrée, dont l’ancienne
ambassadrice en France vient d’être décorée de la Légion
d’honneur. Dans les 314 prisons de ce pays croupissent, depuis septembre 2001,
des centaines de prisonniers politiques, dont une quinzaine de journalistes,
arrêtés alors que le monde regardait ailleurs, vers New York
et les tours du World Trade Center. La France exigera des explications sur
le sort d’au moins quatre d’entre eux qui auraient succombé aux conditions
de détention d’une cruauté inouïe qui règnent dans
les bagnes érythréens. Refusant de serrer la main du Ceausescu
de l’Afrique de l’Est, il clamera haut et fort que le comportement d’un régime
aussi féroce mérite d’être sanctionné.
Et puis
lorsque se présentera Yahya Jammeh, l’ancien sergent putschiste devenu
président de la Gambie, Jacques Chirac s’inquiétera publiquement
du comportement de son agence de renseignements. Il insistera sur l’assassinat
encore impuni du célèbre journaliste Deyda Hydara, en décembre
2004, une affaire dans laquelle de forts soupçons pèsent sur
les services de sécurité. Ce journaliste n’était-il pas
un francophone militant, correspondant non seulement de Reporters sans frontières
en Gambie, mais également de l’Agence France-Presse ? Il y a de quoi
mobiliser le chef de l’Etat français.
Bien entendu,
son ami Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, s’entendra
dire tout le mal que la France pense du déni de justice qu’endure,
depuis 1998, la famille du journaliste assassiné Norbert Zongo. A l’occasion
de sa dernière rencontre avec ce que l’Afrique compte d’hommes puissants
et cultivés, Jacques Chirac lui dira que la République française
ne peut plus continuer à se taire, alors que le président burkinabé
couvre les agissements de son frère François, soupçonné
d’être impliqué dans l’assassinat du directeur de L’Indépendant
et de trois de ses compagnons.
Nous pourrions
continuer l’inventaire du palmarès de quelques-uns de ces chefs d’Etat
que la France a invités à goûter aux délices de
la Côte d’Azur. Nous aurions pu aussi évoquer le journaliste
franco-canadien Guy-André Kieffer, kidnappé en 2004 à
Abidjan après être tombé dans un traquenard tendu par
un proche du président Laurent Gbagbo. Mais la certitude de voir Jacques
Chirac taper du poing sur la table, exiger des comptes, affirmer des valeurs
universelles, défendre les démocrates, nous convainc de ne pas
insister. Nous allons lire la presse avec impatience. C’est certain, le président
français ne nous décevra pas.
Robert
Ménard
Secrétaire général de Reporters sans frontières
Cette tribune a été publiée dans le quotidien français
Le Monde daté du 15 février 2007