30/04/07 (B393) LE TEMPS (CH) INTERNATIONAL : Les prisons secrètes de la CIA continueraient de fonctionner.

ETATS-UNIS.
Le Pentagone vient d’annoncer l’arrestation cet automne de celui qu’il présente
comme un membre important d’Al-Qaida. Pendant cinq mois, on a tout ignoré
de sa détention.

Pour la CIA, c’est une «victoire significative». A tel point que
le directeur de l’agence, Michael Hayden, a envoyé un message vendredi
à tous les employés pour s’en féliciter. La CIA, disait-il,
a joué un rôle-clé pour localiser Abd al-Hadi al-Iraqi.
Présenté comme un proche d’Oussama ben Laden, cet Irakien né
à Mossoul aurait passé une quinzaine d’années en Afghanistan.
Selon le Pentagone, qui lui aussi se réjouissait de la capture, il
serait «l’un des plus hauts responsables d’Al-Qaida et l’un de ses plus
anciens membres».

Selon les responsables américains, Al-Iraqi aurait déjà
fourni une quantité d’informations importantes sur la hiérarchie
et les opérations d’Al-Qaida. Il est soupçonné d’être
l’un des maillons forts liant l’organisation terroriste dans son ensemble
à ses meurtrières excroissances irakiennes.

Cette arrestation, pourtant, laisse un goût particulièrement
amer aux organisations de défense des droits de l’homme. Aussi bien
le Pentagone que la CIA sont restés muets sur le lieu de la capture:
tout au plus ont-ils nié que cela se soit passé au Pakistan
ou en Iran. En revanche, cette arrestation, ont-ils reconnu, remonte à
l’automne dernier. En clair: cela ferait au moins cinq mois que l’homme était
détenu dans des conditions secrètes, hors de toute juridiction
internationale.

Il n’en a pas fallu davantage pour que les défenseurs des droits de
l’homme soient placés devant l’évidence: le système des
«prisons secrètes de la CIA», qui avaient soulevé
il y a quelques mois un torrent international d’indignation, continuerait
de fonctionner sous une forme ou une autre.

C’est en septembre dernier que George Bush avait admis publiquement l’existence
de ces prisons dont, parmi d’autres, le Suisse Dick Marty avait fait le constat
accablant pour le Conseil de l’Europe. A l’époque, peu avant les élections
législatives du midterm, le président Bush avait annoncé
que 14 détenus, que l’on soupçonnait d’être arrêtés
– et torturés – depuis plusieurs années, avaient intégré
le centre de Guantanamo. Parmi eux figurait Khaled Cheikh Mohammed, qui a
reconnu récemment être l’inspirateur des attentats du 11 septembre
2001.

George Bush avait alors affirmé que ces prisons secrètes étaient
vides. Mais, comme le notaient déjà les ONG et le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR), il avait pris bien garde de ne pas
annoncer la fermeture définitive de ce réseau de détention
secret. «Il est possible que cette déclaration du président
n’était vraie que dans un sens purement technique, explique-t-on aujourd’hui
à l’organisation Human Rights Watch (HRW), très active sur la
question. En fait, des personnes continuent d’être détenues dans
d’autres pays pour le compte des Etats-Unis.»

Directrice des affaires de terrorisme et de contre-terrorisme au sein de HRW,
Joanne Mariner va plus loin: «La détention secrète de
Abd al-Hadi al-Iraqi est une violation flagrante du droit international. Son
transfert (à Guantanamo) montre que le Congrès va devoir agir
pour mettre un terme au programme illégal de détention de la
CIA.»

L’automne dernier, George Bush avait affirmé que les interrogatoires
menés dans le cadre de ce programme avaient constitué «l’un
des efforts les plus couronnés de succès de toute l’histoire
des services d’intelligence des Etats-Unis». Cependant, selon les déclarations
des responsables américains, Abd al-Hadi al-Iraqi n’aurait pas été
soumis aux méthodes d’interrogatoire de la CIA, mais à celles
du Pentagone, davantage soumises au contrôle du Congrès.

Human Rights Watch a présenté il y a peu au président
Bush une liste de 38 personnes dont elle est convaincue qu’elles se trouvent
toujours placées dans des lieux de détention secrets. Mais la
Maison-Blanche n’a fait aucune déclaration à propos de la liste
qui contenait le nom, le lieu et la date de chaque arrestation.

Au demeurant, même si ces personnes finissent par réapparaître,
comme dans le cas de Al-Iraqi ou, avant lui, de Khaled Cheikh Mohammed, c’est
pour être incorporées dans le système de Guantanamo qui,
au mieux, ne représente encore qu’une «zone grise» du point
de vue du droit. «Si al-Iraqi et d’autres détenus ont commis
les crimes dont ils sont accusés, ils devraient être jugés
pour actes de terrorisme devant les cours fédérales, dans un
système juste et transparent», fait valoir Joanne Mariner.