10/05/07 (B394) A lire cette semaine sur le Canard Enchaîné : La justice se mord la queue aux portes de l’Elysée (Info lectrice)

Le
Procureur général de Paris n’aide pas beaucoup les deux
juges qui lui cherchent des poux dans l’hermine.

La confrontation
en est restée au stade de la simple « bousculade ». Mais
elle a prouvé que la séparation des pouvoirs n’est pas
un vain mot, et peut même aller jusqu’à l’affrontement.
Le 2 mai, en fin de matinée, en présence des caméras
de télé, l’autorité judiciaire sous le visage des
deux juges d’instruction, Fabienne Pons et Michèle Ganascia,
s’est présentée à la porte au sommet de l’exécutif,
au palais de l’Elysée. Les deux magistrates avaient l’intention
de perquisitionner le bureau de la cellule africaine, à la recherche
des preuves d’une éventuelle « pression sur la justice
» dans l’Affaire Borrel.

Bernard Borrel est ce juge assassiné à Djibouti en 1995, probablement
avec la complicité des plus hautes autorités locales. En 2006,
le Quai d’Orsay avait annoncé que le dossier allait être
transmis à la justice Djiboutienne, alors que la juge chargée
de l’enquête s’y opposait. C’est la publication de
ce communiqué imprudent qui fait l’objet d’une enquête
distincte, et qui a conduit les deux juges aux portes du château.

La caserne ou le château ?

Elles n’y ont pas été très bien reçues.
Leur expédition a été racontée, par elles-mêmes,
dans un procès verbal dont le « Journal du Dimanche » (6/5)
a publié quelques extraits : « Une résistance physique
nous est opposée, écrivent-elles.

En dépit de nos exhortations à
la mesure et au respect de notre fonction, nous sommes bousculées par
les gardes républicains…

Dans un premier temps, il leur est signifié que l’Elysée
est une enceinte militaire. Le Palais, une caserne ? Qu’à cela
ne tienne, les juges rédigent sur-le-champ la « réquisition
» prévue par la loi et à laquelle l’autorité
militaire est obligée de se soumettre.

Pour cela, elles utilisent une poubelle, que le service d’ordre met
à leur disposition, en guise d’écritoire. Mais tout compte
fait, le directeur de cabinet de Chirac, Michel Blangy, descendu dans le local
à poubelles, leur fait savoir que, selon lui, l’immunité
pénale du chef de l’Etat s’étend à tout le
personnel placé sous son autorité. Une interprétation
audacieuse de la Constitution.

Qui a tort, qui a raison ?

Il aurait été assez farce que la question se règle
par la force.

Théoriquement, cela est possible. Les deux juges, et l’officier
de police judiciaire (un commissaire) qui les accompagnait, ont le droit,
dit la loi de « requérir directement la force publique »,
pour l’exercice de leur fonction. Une ou deux compagnies de CRS auraient
pu être « requises » pour prendre d’assaut l’Elysée.
Quel spectacle, ne rêvons pas…

Procureur et Partie

Cette affaire Borrel a décidément failli mettre le feu à
la République. Deux semaines plus tôt, les 19 et 20 avril, les
deux juges avaient perquisitionné, cette fois avec succès, deux
palais nationaux : le Ministère de la Justice et celui des Affaires
Etrangères. Mais il s’en fallu de peu qu’elles ne se heurtent
à un autre obstacle.

La gendarmerie, qui avait été sollicitée pour ces deux
opérations – finalement menées par un commissaire de police
-, a tout simplement refusé. Le lieutenant-colonel Guérin, qui
commande la section de recherches de Paris, a estimé que ces interventions
prendraient « un sens politique ». Cela faisait longtemps qu’un
officier ne s’était pas aventuré dans une analyse personnelle
sur l’opportunité politique d’exécuter un ordre.
Cela rappelle de bons souvenirs.

Heureusement, ce brave soldat ne risque pas grand-chose.

Certes, il a commis une faute grave en n’obéissant pas aux juges.

En 1996, le directeur de la PJ parisienne, Olivier Le Foll, avait
été sanctionné pour avoir refusé d’assister
le juge Halphen dans une perquisition au domicile du couple Tiberi.

Mais qui détient l’autorité disciplinaire sur les officiers de Police judiciaire ? Qui leur donne et leur retire leur habilitation ?

Le Procureur général, dit le Code de procédure pénale.

Or à Paris, ce haut magistrat s’appelle Laurent Le Mesle. Il vient tout droit du Ministère de la Justice, dont ila dirigé le Cabinet, justement à l’époque de la publication de ce communiqué litigieux !

Résumons : un offcier de police refuse une mission qui risque de mettre en cause le Procureur général. Et le Procureur général n’a pas l’intention de mettre en cause cet officier. Où est le problème ?