29/09/07 (B415) IRIN : SOMALIE: La malnutrition hante une région autrefois fertile

JOWHAR, 28 septembre 2007 (IRIN) – Autrefois réputées pour être le grenier de la Somalie, les régions centrales des Basse et Moyenne Shabelle sont aujourd’hui frappées par la plus grave crise de malnutrition qu’ait connue cette région du pays depuis de nombreuses années.

« Les populations n’ont pas pu semer leurs champs ni nourrir leurs enfants », selon Christian Balslev-Olesen, représentant national du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Somalie.

« La production alimentaire a été terriblement touchée », a-t-il poursuivi. « On constate une augmentation considérable du nombre de personnes qui fuient pour échapper au conflit qui sévit à Mogadiscio [la capitale de la Somalie] et à présent les Shabelle sont confrontées à la menace d’inondations imminentes, les rives du fleuve n’ayant pas été entretenues en raison du conflit et du manque de moyens locaux ».

Selon l’UNICEF, l’accès restreint aux services les plus essentiels en raison du conflit actuel, la dégradation significative de la situation de sécurité alimentaire et la récente épidémie de diarrhée liée aux conditions déplorables en matière d’eau et d’hygiène, ont abouti à un taux global de malnutrition aiguë de 17 pour cent – soit deux pour cent au-dessus du seuil d’urgence.

Sur les quelque 83 000 enfants qu’on estime mal nourris dans le sud et le centre de la Somalie, 35 000 se trouvent en Moyenne Shabelle. Parmi ceux-ci, 8 700 souffrent de malnutrition sévère en Shabelle et sont particulièrement exposés au risque d’y succomber, selon le personnel de l’UNICEF à Jowhar, la capitale régionale.

Selon un autre bilan nutritionnel réalisé en septembre par l’unité d’analyse et de sécurité alimentaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur 10 sites, les taux de malnutrition aiguë sont supérieurs à 20 pour cent chez les enfants de moins de cinq ans ; le bilan fait également état de signes manifestes de kwashiorkor.

Les inondations répétées ont altéré la qualité de l’eau, dégradé les conditions d’hygiène et détruit les cultures ; la mauvaise production de cultures, causée par l’insuffisance des pluies tombées pendant la période du Gu (pluies longues), a provoqué l’inflation rapide du prix des denrées alimentaires et une perturbation des activités économiques, aggravant d’autant plus la situation.

Ces chocs cumulés, selon les travailleurs humanitaires, ont eu des répercussions négatives sur le bien-être nutritionnel des populations des établissements riverains et agro-pastoraux ruraux, ainsi que sur celui-ci des populations urbaines. Notamment, 25 pour cent des personnes récemment déplacées de Mogadiscio sont actuellement en Basse et Moyenne Shabelle.

Quand bien même, un rétablissement rapide ne sera pas possible sans une amélioration de la sécurité civile et si les pluies courtes du Deyr (octobre-décembre) ne tombent pas normalement. Or, les prévisions ne sont pas favorables. Pis, les mesures prises pour faire face à la situation ont été ralenties par l’absence de nombreuses organisations internationales, le manque de moyens du gouvernement et le soutien insuffisant apporté aux organisations non-gouvernementales (ONG) nationales.

« Au vu du taux élevé de malnutrition, on pourrait s’attendre à voir partout un nombre important de grandes ONG et agences », a expliqué M. Balslev-Olesen. « Mais elles ne sont pas là à cause de la situation de sécurité ».

Le conflit

Pour les travailleurs humanitaires, les flambées de violence qui sévissent actuellement à Mogadiscio, à 90 kilomètres de Jowhar, sont au cœur de la crise humanitaire qui touche le centre de la Somalie.

« Le statut économique de la population a été gravement compromis par la situation de sécurité à Mogadiscio et le coût de certains produits alimentaires a augmenté », selon James Kingori, coordinateur de l’équipe nutritionnelle de l’UNICEF. « L’afflux de PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] dans les Shabelle est un fardeau de plus pour cette population d’accueil déjà touchée par la crise ».

Les affrontements se sont intensifiés à Mogadiscio en décembre lorsqu’une force conjointe composée de soldats somaliens et éthiopiens a expulsé l’Union des tribunaux islamiques de la ville. Depuis lors, la violence générale a forcé les populations civiles, particulièrement les femmes et les enfants, à quitter la ville pour chercher refuge dans des camps tels que celui du Cheikh Omar, à Jowhar.

Selon les estimations des Nations Unies, plus de 400 000 personnes ont fui la ville entre les mois de février et mai. Quelque 115 000 sont rentrées chez elles entre les mois de mai et juin, mais 40 000 autres sont parties en juillet-août.

Précipitations insuffisantes, inondations et mauvaises récoltes

Ces dernières années, la Somalie a cumulé chutes de pluie insuffisantes, inondations et mauvaises récoltes à des degrés variables. « Nous avons eu des crues le long de la Shabelle [fleuve] – les pires en décembre 2006 », a indiqué Hussein Mohammed Dhere, gouverneur adjoint de la Moyenne Shabelle.

« D’un autre côté, plus à l’est, il n’a pas plu depuis deux ans. Et puis, vous avez les communautés du bord de mer qui n’ont rien récolté depuis le tsunami [de décembre 2004]. Et 50 kilomètres à l’ouest de Jowhar, il n’y pas de centre de santé ».

La situation a incité les quelques agences qui opéraient dans la région à intensifier leurs opérations. Le Programme alimentaire mondial (PAM), par exemple, a augmenté le nombre de personnes bénéficiaires de son aide alimentaire – 1,2 million – bien que l’agence ait besoin de 20 millions de dollars pour continuer à opérer au-delà du mois d’octobre.

« Du fait des mauvaises récoltes, des inondations et de l’insuffisance des précipitations, [ces personnes] n’ont pas pu recouvrer leur niveau de sécurité alimentaire initial », a expliqué Chris Baron du PAM, à Dhaygawan, tout près de Jowhar, où l’agence distribuait des rations de nourriture – dans le cadre d’un arrivage de 578 tonnes de denrées, ciblant 29 000 personnes.

« Le statut économique de la population a été gravement compromis par la situation de sécurité à Mogadiscio et le coût de certains produits alimentaires a augmenté »
Nourrir les enfants

Exerçant une légère pression sur le pied de Shoukri Mohammed, un nourrisson de cinq mois, au centre Cheikh Omar de Jowhar, qui abrite 800 familles ayant fui Mogadiscio au cours des six derniers mois, M. Kingori a expliqué : « Cet enfant présente un léger œdème ; il doit suivre d’urgence un traitement de récupération nutritionnelle. S’il y a un retard de traitement ou si son état se dégrade, il sera peut-être trop tard ».

La fillette faisait partie de plus d’une centaine enfants soumis à un examen de dépistage de la malnutrition, le 25 septembre. « Nous avons découvert qu’environ la moitié des enfants souffraient de malnutrition ou y étaient exposés », a observé Mariam Cheikh, responsable d’une ONG locale, qui coordonne la préparation d’une bouillie enrichie, destinée aux enfants touchés.

« Nous allons en envoyer certains au centre de nutrition thérapeutique qui se trouve non loin, à l’hôpital régional de Jowhar », a-t-elle indiqué. Un programme dirigé par Intersos, une ONG italienne, en partenariat avec l’UNICEF.

Le camp, qui porte le nom de son fondateur, est un établissement étroit, situé dans la ville de Jowhar, près de la Shabelle. La plupart des PDIP sont originaires de Jowhar et s’étaient installés à Mogadiscio. Mais la violence les a forcés à rentrer chez eux.

Pour M. Omar, les principaux problèmes auxquels sont confrontés les déplacés – essentiellement les femmes et les enfants – ont trait à l’assainissement, l’alimentation et l’hébergement. « Et ils sont de plus en plus nombreux chaque jour », a-t-il révélé à IRIN.

« Je suis arrivée ici avec mes cinq enfants », a raconté Ubar Abdille, 30 ans, qui dirige la cuisine du camp. « J’ai quitté ce village pour aller me marier à Mogadiscio – et j’y suis revenue parce que c’est le seul village que je connaisse ».

A la question « pourquoi ne retournez-vous pas tout simplement au sein de votre famille, au lieu de rester dans un camp ? », Mme Abdille a répondu : « Ils ne sont pas mieux lotis. Ici, personne ne peut aider les autres ; d’ailleurs, si la paix se rétablissait, je retournerais à Mogadiscio ».

Selon certains travailleurs humanitaires, le nombre élevé d’enfants mal nourris au camp est représentatif de la situation générale. Les plus gravement touchés, y compris lorsqu’ils ne vivent pas dans le camp, sont emmenés dans des centres de nutrition ou à l’hôpital.

D’après Matanei Abraha, directeur de projet sanitaire à l’hôpital régional de Jowhar, 112 enfants mal nourris y ont été envoyés au cours des cinq derniers mois, et 467 autres ont été traités dans les villages et dans six camps de PDIP de Jowhar.

« La capacité du pays à soutenir la croissance normale des enfants est un problème », a estimé Grace Kyeyune, chargée de programme résidente de l’UNICEF pour le centre-sud de la Somalie. « Dans certaines familles, jusqu’à quatre enfants ont grandi dans un centre de nutrition ».

Selon une enquête inter-agences sur les indicateurs [de la malnutrition] réalisée en 2006, la mortalité des moins de cinq ans a diminué, passant de 224 pour mille en 1999 à 135 pour mille en 2006, tandis que l’accès à l’eau salubre a augmenté pour passer de 23 à 29 pour cent, au cours de la même période.

« Si 70 pour cent de la population n’a pas accès à une eau propre, vous n’allez pas cesser de voir des cas de diarrhée », a affirmé M. Balslev-Olesen. « Et nous parlons d’une population au sein de laquelle seuls 22 pour cent des enfants vont à l’école ».

Vingt centres thérapeutiques pour enfants mal nourris ont été mis en place en Moyenne Shabelle, mais la couverture reste insuffisante en dehors des régions riveraines et en Basse Shabelle.

« Nous avons besoin de plus de partenaires », a noté M. Balslev-Olesen. Il est essentiel que les ONG internationales interviennent davantage et que le gouvernement somalien de transition offre un soutien plus engagé, a-t-il ajouté.

« Le gouvernement somalien de transition doit lever tous les obstacles au travail humanitaire – l’insécurité, les impôts et la fermeture d’un certain nombre de pistes d’atterrissage », a-t-il poursuivi. « Les autres organisations internationales doivent également être plus présentes. C’est une question de capacité ».