18/02/08 (B435) JDD : Françafrique: La rupture attendra (Info lectrice)

Par Marianne ENAULT / leJDD.fr

A deux semaines du second voyage du président français en Afrique et en pleine crise tchadienne, un collectif d’ONG interpelle Nicolas Sarkozy. Objectif: mettre en oeuvre la rupture attendue avec la Françafrique, promesse de campagne du chef de l’Etat.

Pour ce collectif d’ONG, le récent soutien au président Déby est une preuve de plus de la persistance de la Françafrique. (Reuter)

« J’espère que nous nous retrouverons pour les funérailles de la Françafrique ». Dans les locaux du Centre d’accueil de la presse étrangère (Cape), situés à la maison de la radio, Seidik Abba, représentant de l’Association de la presse panafricaine (Appa), confie son espoir. Celui de tourner un jour la page de cette Françafrique, faite de réseaux mêlant intérêts économiques, politiques, diplomatiques, militaires et relations personnelles, héritage des quarante dernières années de la politique française en Afrique.

Un espoir au coeur de la démarche d’une douzaine d’ONG françaises, rassemblées sous la bannière « Plateforme citoyenne France-Afrique » et réunies au Cape jeudi matin. Ces associations ont publié l’an dernier un Livre Blanc, sous-titré: « Pour une politique de la France en Afrique responsable et transparente. » Aujourd’hui, elles font un premier bilan de l’évolution des relations franco-africaines. Un bilan assez sévère adressé au chef de l’Etat.

Il faut dire qu’avant même son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy avait promis la fin de la Françafrique. En déplacement à Cotonou, au Bénin, le 19 mai 2006, il avait en effet déclaré: « Il nous faut construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et de ses obsolescences. »

Une rupture qui tarde à venir

Les choses étaient dites: la rupture, chère à Nicolas Sarkozy, devait aussi s’appliquer dans les relations franco-africaines. Mais neuf mois après son accession à la présidence, le changement se fait attendre. Même au sein du gouvernement, on s’impatiente. Lors de ses voeux à la presse, puis dans un entretien accordé au Monde à la mi-janvier, le secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, Jean-Marie Bockel, avait en effet estimé que la rupture avec une Françafrique « moribonde » « tardait à venir ». Aujourd’hui, le collectif d’ONG, parmi lesquelles figurent le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), Survie ou encore Caritas France, tire les mêmes conclusions.

« La rupture promise avec les dictatures africaines tarde à se concrétiser », note ainsi Jean Merckaert, chargé du programme Financement du développement au CCFD et co-auteur du Livre Blanc. Le collectif dénonce d’abord « la grande proximité avec les dirigeants de régimes prédateurs », illustrée notamment par la visite à Paris d’Omar Bongo, président du Gabon, ou encore de Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville), tous deux reçus en grande pompe à l’Elysée.

Vient ensuite le premier voyage de Nicolas Sarkozy en Afrique, en juillet dernier. « Commencer par la Libye et terminer par le Gabon, c’est plutôt mauvais signe », relève Jean Merckaert. Durant ce voyage, le chef de l’Etat a prononcé le désormais célèbre discours de Dakar. Un texte qui vaut aujourd’hui à Sarkozy de fortes inimitiés en Afrique et ailleurs, notamment chez les intellectuels. Il avait dépeint un homme africain « pas assez rentré dans l’histoire » qui a « besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner, d’être en harmonie plutôt qu’en conquête ».

L’exemple de la crise tchadienne

Autre pomme de discorde: les relations économiques entre la France et le continent africain. Jean Merckaert dénonce « l’oreille attentive prêtée par Sarkozy aux intérêts économiques de la France dans des pays peu démocratiques ». Et de prendre l’exemple récent du Togo, quand Nicolas Sarkozy suggère au président Faure Gnassinbé de démontrer son amitié pour Paris en octroyant la gestion du port de Lomé à son ami Vincent Bolloré. Ami dont il a, faut-il le rappeler, emprunté le yacht privé cet été ou encore son avion pour ses vacances de fin d’années en Egypte.

La Plateforme citoyenne France-Afrique regrette également l’hommage rendu par le président français à Jacques Foccart, en septembre dernier. Secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines dans les années 1960, il a été pendant longtemps le « Monsieur Afrique » et l’incarnation, selon Jean Merckaert « de la cellule africaine de l’Elysée et des réseaux occultes ».

Récemment, le classement sans suite de la plainte pour « recel de détournement d’argent public », déposée en mars dernier par trois associations françaises contre le patrimoine immobilier des chefs d’Etats africains à Paris, est venu donner une nouvelle preuve de la persistance de la Françafrique, selon ces ONG. « Ce classement sans suite est une décision politique » estime aujourd’hui Jean Merckaert.

Enfin, la gestion de la crise tchadienne par Paris est venue renforcer cette impression. Si la France assure ne pas être intervenue militairement pour soutenir le président Déby face aux rebelles, son appui logistique – transfert d’armes de la Libye vers N’Djamena – et en terme de renseignements, ainsi que ses déclarations de soutien au pouvoir tchadien, ont sans conteste permis au chef d’Etat africain de reprendre la main.

Un tournant décisif ?

Autant d’exemples de la persistance des relations personnelles comme moteur de la politique de la France en Afrique, estiment les ONG, lesquelles jugent malgré tout que « les conditions sont réunies pour un tournant décisif ». D’abord, parce que durant la campagne, tous les candidats ont accepté d’entendre la voix des sociétés civiles française et africaine. Ensuite, parce que pour la première fois, une mission d’information parlementaire sur les relations entre la France et l’Afrique a été mise en place. Et Jean Merckaert de citer quelques exemples de ce « début de tournant »: la réticence de Bercy à alléger la dette du Gabon ou sa tentative, avortée, d’empêcher l’augmentation du volume d’aide publique à destination du Congo Brazzaville.

Et pour encourager cette rupture tant attendue, le collectif a mis au point plusieurs propositions, qu’il entend notamment présenter à Nicolas Sarkozy avant son voyage en Afrique du sud et en Angola, fin février. « Nous ne souhaitons pas que la France quitte économiquement et diplomatiquement l’Afrique », tempère toutefois Grégoire Niaudet, membre de Caritas et co-auteur du Livre Blanc.

Entres autres propositions, la Plateforme citoyenne propose que les relations entre la France et l’Afrique ne soient plus le domaine réservé de l’Elysée, plaidant pour le renforcement du contrôle parlementaire. Elle suggère ensuite de revoir les clauses des accords de coopération, notamment militaire, signés avec l’Afrique, dont la plupart demeurent secrètes. Grégoire Niaudet souligne également la nécessité de mettre véritablement en oeuvre la rupture avec les régimes dictatoriaux, en limitant par exemple « au strict minimum » le service diplomatique dans ces pays.

Parmi les mesures fortes envisagées, les ONG proposent notamment de « procéder à la saisie des biens mal acquis en France et les restituer aux populations civiles spoliées ». Pour ce collectif, le voyage de Sarkozy fin février sera très révélateur. « Après son premier voyage raté, ce voyage en Afrique du Sud et en Angola fera figure de test pour savoir si Sarkozy est le dernier rempart de la Françafrique ou s’il veut définitivement tourner la page », note ainsi Jean Merckaert.

Mais la « rupture » tant attendue, devra aussi se faire en Afrique.

Et là aussi, la partie est loin d’être gagnée. Quand Jean-Marie Bockel fustige la Françafrique et demande que l’aide au développement soit conditionnée au caractère démocratique des régimes, le Gabon, particulièrement visé par ces propos, réagit vivement. Et regarde ailleurs. « Si la France estime que l’Afrique lui coûte cher, il lui revient souverainement d’en tirer les conclusions sans être obligée de se justifier de façon aussi péremptoire. Car l’Afrique saura trouver assurément des partenaires plus respectueux de la dignité de ses peuples et de la souveraineté de ses Etats », ont menacé les autorités gabonaises dans un communiqué.

Une allusion à peine voilée à la Chine, dont les investissements en Afrique se sont multipliés ces dernières années, et dont le peu de considération pour les droits de l’Homme arrange de nombreux dirigeants africains.

« Les dictateurs africains sont presque dans une position de force par rapport à la France, car ils peuvent désormais s’adresser à la Chine. Ce n’était pas le cas il y a quinze ans. On a perdu du temps pour cette rupture », reconnaît Fabrice Tarrit, coordinateur du Livre Blanc. Du temps qui pourrait s’avérer bien difficile à rattraper.