17/09/08 (B465-B) L’Express / « Les pirates abordent des navires comme on braquerait une banque » (Info lectrice)
Par Marie Simon
La Somalie est devenue le point chaud de la piraterie ces derniers mois. Deux attaques, en trois jours, contre des thoniers, ont incité les autorités européennes à se pencher sur la situation dans ces eaux, "les plus dangereuses du monde actuellement", selon Emmanuel Terroir, juriste et co-auteur de "Terrorisme et Piraterie, Des menaces contemporaines à la sûreté des transports maritimes de marchandises"*.
Selon le Bureau maritime international, 24 attaques de piraterie ont eu lieu au large des côtes somaliennes au cours du premier semestre 2008. Ces eaux sont-elles, comme on les dépeint, truffées de pirates?
Ce sont les plus dangereuses du monde actuellement. Les actes de piraterie s’y multiplient car la situation économique et politique de la Corne d’Afrique est très dégradée. Il y règne une apparente absence de contrôle et de répression de la part des autorités.
Qui sont ces pirates des temps modernes?
Il s’agit souvent de gens pauvres qui vivent dans des villages situés sur les côtes. Ils abordent des navires comme on braquerait une banque ou une épicerie, pour voler des richesses ou de la nourriture.
Mais il existe un deuxième type de pirates: ceux-là, comme ceux qui ont attaqué le supertanker français Limburg en 2002 au large du Yémen, agissent par idéologie. Ils sont mieux préparés, plus armés. En Asie, ils sont notamment liés à Abu Sayyaf [un mouvement islamiste aux Philippines].
Vous évoquez l’Asie… Observe-t-on une recrudescence des actes de piraterie dans d’autres régions du monde?
Le détroit de Malacca et les environs (Malaisie, Indonésie, Philippines) ainsi qu’une large zone au large de l’Amérique du Sud, notamment près du Venezuela, sont également des régions où ces actes se multiplient. Sans que l’on ait de chiffres précis, d’ailleurs. Car ce classement est réalisé par le Bureau Maritime International, sur la base de déclarations; or seuls 40 à 60% des actes de piraterie sont déclarés par leurs victimes.
Si l’on parle beaucoup de la Somalie actuellement, c’est sans doute parce que les pirates s’en prennent à des navires internationaux. Les pays concernés rendent les affaires publiques et prennent conscience de ce grave problème.
Le ministre français de la Pêche, Michel Barnier, a appelé ce lundi à une réponse conjointe européenne pour se protéger des attaques au large de la Somalie. Et l’UE vient d’approuver la création d’une cellule de coordination pour protéger, notamment, les navires du Programme alimentaire mondial (PAM) régulièrement pris pour cibles. Que pensez-vous de ces initiatives?
La Somalie pourrait considérer la défense d’un navire face aux pirates… comme un acte de guerre
C’est la preuve qu’il existe une volonté politique de traiter le problème. En France, elle a été renforcée par l’épisode du Ponant, ce voilier détourné au large de la Somalie. Depuis, Mogadiscio se montre également bien plus ouverte à la discussion. Mais il reste de nombreuses difficultés à lever.
Quelles sont ces difficultés?
Entre la volonté affichée et la réalité sur les côtes, il y a une différence: il ne suffit pas de protéger les navires, il faut aussi s’attaquer à la corruption des garde-côtes qui, parfois, connaissent les pirates ou profitent des richesses qu’ils ont dérobées!
En outre, il n’est pas évident de faire admettre à un Etat comme la Somalie qu’il est défaillant. Faire entrer une force de police commune armée, pour protéger les navires, sur les eaux territoriales somaliennes, pose un problème de souveraineté.
Imaginez… Un navire est abordé par des pirates. Son escorte armée rispote, en légitime défense. Mais la Somalie pourrait considérer cela comme un acte de guerre. Ajoutez à cela que les armateurs font de plus en plus appel à des sociétés privées pour escorter leurs navires, notamment depuis le 11 septembre 2001. Quelle est la légitimité de ces marshalls de la mer, mercenaires ou anciens militaires, pour ouvrir le feu? Il faut prévoir tous les cas de figure, toutes les implications juridiques.
Et en Asie?
C’est très compliqué aussi. Car les côtes sont très proches les unes des autres, les pays voisins entretiennent une certaine rivalité… et les pirates, autrement mieux équipés, ont des embarcations bien plus rapides.