13/04/09 (B494) Somalie : Les Nations Unies accusent le Kenya d’abandonner les Somaliens (La Grande époque)

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque

Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR) a exprimé vendredi 3 avril son inquiétude quant à la tendance croissante des autorités kenyanes à renvoyer de force des demandeurs d’asile somaliens vers leur pays d’origine.

Mercredi 31 mars, 31 demandeurs d’asile, dont 9 hommes, 8 femmes et 14 enfants, voyageant en bus vers le camp de réfugiés de Dadaab ont été contraints de repartir vers la Somalie, selon l’agence des Nations unies. Le HCR a reçu l’information d’un officiel gouvernemental précisant que des militaires ont intercepté le bus et conduit les demandeurs d’asile au bureau de police de Dadaab avant d’escorter ensuite leur bus vers Dobley, un centre près de la frontière somalienne.

Lorsque le HCR a demandé l’intervention des officiels, il a été informé que la police et les militaires continuaient de renvoyer les demandeurs d’asile vers la Somalie en agissant sur ordre des autorités du quartier général provincial de Garissa.

La police à Dadaab a également confirmé que des incidents similaires avaient eu lieu le 23 mars lorsque 61 demandeurs d’asile dont 25 femmes, 22 hommes et 14 enfants avaient été arrêtés par des officiers de l’armée, amenés au poste de police de Dadaab puis renvoyés plus tard vers Liboi.

Le HCR a fait parvenir une plainte officielle au ministre de l’Immigration et de l’enregistrement des personnes pour protester contre de tels actes. L’agence des Nations unies s’inquiète de ce que de tels cas soient portés à l’attention du gouvernement, et qu’aucune action ne soit entreprise. Elle « rappelle que le gouvernement kenyan doit adhérer et totalement respecter le principe de non refoulement, comme cela est inscrit dans la loi du Kenya pour les réfugiés et dans les lois internationales, concernant en particulier les demandeurs d’asile somaliens. »

Moins diplomatique, un rapport de 58 pages vient d’être publié par Human Rights Watch, intitulé « De l’horreur au désespoir : La crise oubliée des réfugiés somaliens au Kenya. » Y sont décrites les extorsions, détentions, violences et expulsions que la police kenyane fait subir au nombre record de Somaliens qui pénètrent au Kenya.

« Les personnes qui fuient la violence sévissant en Somalie ont besoin de protection et d’assistance. Or, elles sont confrontées à de nouveaux dangers, de nouvelles exactions et de nouvelles privations », explique Gerry Simpson, chercheur de Human Rights Watch sur les réfugiés et auteur du rapport.

En 2008, un nombre total annuel record de près de 60.000 Somaliens ont cherché refuge dans trois camps situés près de la ville de Dadaab, dans le nord-est du Kenya, tandis que d’autres, probablement des dizaines de milliers, sont allés jusqu’à Nairobi. Lorsqu’ils essaient de traverser la frontière kenyane officiellement fermée, les nouveaux arrivants risquent d’après l’association « d’être extorqués, brutalisés et expulsés illégalement par la police et finalement, ils se trouvent confrontés à d’effroyables conditions de surpopulation dans des camps de réfugiés qui bénéficient de services insuffisants. »

 Le contexte frontalier

Invoquant des problèmes de sécurité, le Kenya a officiellement fermé ses 682 kilomètres de frontière avec la Somalie en janvier 2007, lorsque les troupes éthiopiennes sont intervenues pour appuyer le fragile gouvernement de transition somalien, chassant de Mogadiscio, la capitale somalienne, une coalition de tribunaux islamiques. Au cours des deux dernières années, l’escalade du conflit armé qui oppose les forces gouvernementales éthiopiennes et somaliennes aux insurgés a forcé près d’un million d’habitants de Mogadiscio à fuir en provoquant un afflux croissant de réfugiés somaliens au Kenya. En dépit du retrait éthiopien fin 2008 et de l’élection d’un nouveau président en Somalie, les violences persistent entre les groupes islamistes et le gouvernement et l’on s’attend à l’arrivée de nouveaux réfugiés tout au long de l’année 2009.

Pour Human Rights Watch, la fermeture de la frontière aux réfugiés viole le droit international des réfugiés qui interdit le retour forcé. Le rapport cite des réfugiés qui expliquent avoir été forcés de retourner en Somalie parce qu’ils n’avaient pas les moyens de soudoyer les policiers kenyans. « Le Kenya invoque un souci légitime de sécurité et a le droit de contrôler ses frontières, mais celles-ci ne peuvent être fermées aux réfugiés qui fuient les combats et les persécutions », précise Gerry Simpson.

Pour ceux qui réussissent à entrer au Kenya, les difficultés ne sont pas finies. Les réfugiés n’ont pas droit à l’assistance humanitaire s’ils vivent en dehors des camps. En violation du droit des réfugiés à la libre circulation sur le territoire kenyan, les autorités kenyanes exigent qu’ils demandent un permis spécial pour se déplacer à l’extérieur des camps. Et, à la différence de l’inscription sur les listes qui se fait rapidement dans les camps, les demandeurs d’asile somaliens devaient jusqu’à récemment attendre neuf mois ou plus pour que leur statut de réfugiés soit reconnu par le HCR à Nairobi.

Des capacités d’accueil insuffisantes

Malgré l’élection d’un nouveau président somalien en janvier, l’afflux de Somaliens continue au Kenya. Depuis le début de l’année, plus de 20.000 nouveaux arrivants ont été enregistrés dans les trois campements qui composent le complexe du camp de Dadaab – Hagadera, Ifo et Dagahaley. La plupart des nouveaux arrivants interrogés par le HCR évoquent une insécurité accrue, particulièrement dans les régions de Centre-Juba et de Bas-Juba, en plus de la sécheresse et des pénuries de nourriture, comme étant les principales raisons de leur fuite vers le Kenya.

Les camps ont été conçus il y a près de vingt ans, pour abriter un ensemble de 90.000 personnes. Ils en accueillent actuellement plus de 261.000, faisant ainsi du complexe de Dadaab l’un des plus anciens, des plus importants et des plus surpeuplés sites de réfugiés au monde.

Le HCR négocie l’allocation de nouveaux terrains avec le Gouvernement du Kenya, afin de construire de nouveaux camps mais cela reste encore à finaliser.

« Il est crucial que le gouvernement nous alloue dès que possible des terrains, où nous pourrons bâtir d’autres camps, décongestionner ainsi les camps existants et nous préparer à accueillir davantage de personnes si la tendance actuelle des arrivées se poursuivait », explique un porte-parole du HCR.

Plus de la moitié des nouveaux arrivants sont des femmes et des enfants et nombre d’entre eux sont exténués après avoir marché de longues distances, empruntant souvent des chemins détournés pour éviter de se faire repérer au moment de franchir la frontière. Certains parcourent de très longues distances. Ils viennent notamment depuis Mogadiscio par la route ou à pied, ce qui correspond à un voyage de 800 kilomètres pouvant durer jusqu’à 16 jours.

« Nous craignons que la situation ne se détériore encore à l’arrivée de la saison des pluies en raison des contraintes d’abri. La prochaine saison des pluies est prévue ce début avril », indique le porte-parole.

En décembre 2008, l’agence pour les réfugiés a lancé un appel de fonds de 92 millions de dollars américains pour réparer les conséquences du délaissement dont les camps de Dadaab ont souffert des années durant, prodiguer une assistance au nombre sans cesse croissant de nouveaux arrivants et construire de nouveaux camps pour 120.000 réfugiés.

Le conflit incessant en Somalie a causé la mort de milliers de personnes ainsi que des déplacements massifs de population. Les camps de réfugiés de Dadaab ont été établis en 1991 et en 1992, après la chute du gouvernement de Siad Baré en Somalie.