04/05/07 (B393-B) L’Humanité : Le palais de l’Élysée rattrapé par l’affaire Borrel (Info lectrice)

Les
juges qui instruisent d’éventuelles pressions sur la justice,
dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du juge Borrel,
ont été empêchées hier de perquisitionner l’Élysée.

« C’est une obstruction à la justice. »

Comme sa consoeur du Syndicat de la magistrature (SM), Bruno Thouzellier,
président de l’Union syndicale des magistrats (USM), n’avait
hier pas de mots assez durs pour dénoncer le refus de l’Élysée
de laisser les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia procéder
à une perquisition dans le cadre de leur instruction sur d’éventuelles
pressions exercées sur la justice dans l’enquête sur l’assassinat,
en 1995, à Djibouti, du juge Bernard Borrel.

Arrivée en matinée, les deux juges, qui cherchaient à
recueillir des documents émanant de la « cellule africaine »
de l’Élysée (lire notre encadré), ont été
bloquées par les gendarmes. Elles sont finalement reparties sans avoir
perquisitionné, après avoir tenté sans succès
de requérir l’autorité du gouverneur militaire de Paris,
qui dispose d’une autorité sur l’Élysée dont
le statut est celui d’une enceinte militaire.

La présidence de la République a justifié ce refus en
invoquant l’article 67 de la Constitution (lire ci-dessous), qui octroie
l’immunité au président dans l’exercice de ses fonctions,
et a engagé les juges à reprendre leur enquête après
le départ du président Chirac. Une argumentation que contestent
les organisations de magistrats. Elles rappellent que ce n’est pas la
personne du chef de l’État qui était visé mais
un des services de la présidence et s’inquiètent des risques
de destructions de preuves.

« dépérissement des preuves »

L’instruction des juges Pous et Ganascia pour « pression
sur la justice » est un des trois volets judiciaires de l’affaire
Borrel. Elle concerne une plainte déposée en février
2005 par la veuve Borrel contre Hervé Ladsous, alors porte-parole du
ministère des Affaires étrangères. Ce dernier avait affirmé
dans une déclaration officielle que le dossier de l’instruction
en cours sur le meurtre du juge Borrel allait être « transmis
à la justice djiboutienne ». Une déclaration qui avait
précédé l’avis négatif de la juge en charge
du dossier, pourtant seule habilitée à trancher sur une éventuelle
transmission du dossier.

Interrogé comme témoin, Hervé Ladsous a justifié
sa déclaration par une erreur technique du ministère de la Justice.
Une version démentie par Pierre Vimont, alors directeur de cabinet
du quai d’Orsay, qui a confié que la déclaration incriminée
avait été rédigée en accord avec le chef de cabinet
du garde des sceaux, l’actuel procureur général de Paris,
Laurent Le Mesle, et du responsable de la cellule Afrique de l’Élysée,
Michel de Bonnercorse.

Pour tenter de comprendre comment et par qui cette déclaration a été
élaborée, les juges Pous et Ganascia avaient procédé,
les 19 et 20 avril, à des perquisitions au quai d’Orsay et la
chancellerie. Elles y ont récolté de nombreux documents, se
heurtant déjà au refus de participer de la section recherche
de la gendarmerie (SR).

Selon les informations révélées par le journal
le Monde, la SR, bien que légalement contrainte d’exécuter
les commissions rogatoires des juges, avait invoqué les risques d’une
« exploitation politique et médiatique » d’une telle
perquisition « en période électorale » pour justifier
son refus.
Elle avait proposé de procéder aux perquisitions
après le second tour de la présidentielle, alors même
que les deux juges avaient évoqué, de leur côté,
« l’urgence tenant au risque de dépérissement des
preuves ».

« Cela fait douze ans bientôt que je subis obstruction sur obstruction
de la part de mon propre pays, de ses institutions, et là c’est
l’institution suprême (…) qui prend ombrage d’une perquisition
dans une cellule qui n’a aucune existence juridique », a commenté
hier la veuve Borrel. Le refus de l’Élysée n’est
en effet qu’un des épisodes d’une saga judiciaire marquée
par les manoeuvres des autorités djiboutienne et française,
qui ont tenté pendant des années de faire passer le décès
du juge Borrel pour un suicide, pour empêcher la manifestation de la
vérité.

Une longue saga judiciaire

Une attitude que pourrait expliquer l’implication des plus hautes autorités
djiboutiennes dans cette affaire, notamment celles de l’actuel président
Ismail Omar Gelleh ou encore de Hassan Said, chef des services de sécurité,
également mis en cause pour « subordination de témoins
» dans un autre volet de l’affaire. Ces accusations sont vues
d’un mauvais oeil par Paris, qui dispose d’une importante base
à Djibouti mais dont l’influence est menacée par la présence
croissante des Américains. Bien que convoqué par la justice
française, c’est une fois de plus sans être inquiété
que le président Gelleh a pu participer, en février dernier,
au sommet Afrique-France de Cannes.

Camille
Bauer