18/04/09 (B495) Affaire Borrel : Les preuves s’accumulent ! (Bulletin d’Afrique N° 179 – édité par Survie, article sous la signature de Jean-Loup SCHAAL)

« Il apparaît que (…)
l’État français, à son
plus haut niveau, a
tout tenté sous la présidence
de M. Jacques Chirac pour
étouffer la recherche de la
vérité. »

Le 18 mars dernier, au cours de la
conférence de presse donnée au cabinet
de son conseil, Me Morice, Elisabeth
Borrel, la veuve du juge Bernard Borrel
assassiné en 1995 à Djibouti, demandait la
réouverture d’une enquête pour subornation
de témoin sur la base de deux documents
inédits de la cellule «Afrique» de l’Élysée
saisis par les juges Pous et Ganascia en août
2008.

Il s’agit d’un télégramme diplomatique
confidentiel du 23 janvier 2000 émanant
de l’ambassadeur de France à Djibouti, Patrick
Roussel
, et une note du chef d’État-Major
particulier du président Chirac, le général
Henri Bentegea
t, du 25 janvier 2000.

Ces
deux documents font état de démarches d’un
avocat français, Me Alain Martinet, présenté
comme un proche du président djiboutien
Ismaël Omar Guelleh, visant à discréditer le
principal témoin à charge du dossier.

Rappelons
que parallèlement à l’enquête criminelle
menée par le juge Sophie Clément, deux enquêtes
judiciaires ont été menées en France.


La première, pour «pression sur la justice»,
est toujours en cours à Paris.

La seconde
donc pour «subornation de témoins » (voir
plus bas).

En conséquence, Elisabeth Borrel avait écrit,
le 16 mars, au procureur de Versailles. « Il
apparaît que ces actes d’instruction ont été
extrêmement fructueux, montrant combien
l’État français, à son plus haut niveau, a
tout tenté sous la présidence de M. Jacques
Chirac pour étouffer la recherche de la vérité » écrit-elle. Le parquet de Versailles a
refusé la réouverture de l’instruction (il est
le seul à décider la réouverture ou non d’une
instruction. Cette décision n’est susceptible
d’aucun recours).

Rien d’étonnant car cela
l’aurait conduit à entendre non seulement
l’avocat Me Martinet mais aussi et surtout le
général Henri Bentégeat et l’ancien ambassadeur
de France à Djibouti.
Les notes diplomatiques saisies étayent également
les soupçons de violations du secret
de l’instruction commises par de hauts magistrats du Parquet en liaison avec le
conseiller juridique de l’Élysée.

On pouvait
naturellement craindre que Djibouti ait reçu
toutes ou partie de ces informations …
Cela confirmerait aussi le fait que c’est
bien la présidence de la République française
qui a «suggéré» à son homologue
djiboutienne de saisir la Cour internationale
de Justice de La Haye (CIJ) du «prétendu
» différend qui opposait les deux États.

Un différend imaginaire qui s’appuyait sur
le refus du juge Sophie Clément de transmettre
une copie du dossier d’instruction à
la justice djiboutienne. Car dès lors qu’il est
prouvé que les deux présidences s’étaient
mises d’accord sur la saisine de la CIJ pour
atteindre un objectif commun, celle-ci,
chargée de statuer sur «des litiges entre
États», n’avait donc pas compétence pour
juger «un accord de fait» entre États.

En tout état de cause, cette transmission
aurait privé Madame Borrel et ses enfants
de leur droit à connaître la vérité, la justice
djiboutienne s’empressant de rendre un
«verdict» monté de toutes pièces.

Et selon
le principe selon lequel une affaire judiciaire
ne peut pas être jugée une deuxième
fois, l’instruction de l’affaire en France
aurait été définitivement enterrée et sans
aucune voie de recours.

Contre-feu médiatique

Parmi les pièces présentées, Élisabeth
Borrel a également insisté sur les facilités
offertes par l’Élysée au journaliste Chris
Lafaille pour qu’il puisse rencontrer des
hauts fonctionnaires et des officiers supérieurs
dans le cadre du livre qu’il préparait
sur l’affaire Borrel («L’inavouable vérité
de l’affaire Borrel»).

En fait, un contrefeu
dans lequel Elisabeth Borrel soupçonne Claude Chirac d’avoir jouer un rôle.

Tout cela, a-t-elle conclu, alors que l’Élysée
savait depuis 2002, qu’il s’agissait
d’un assassinat et non d’un meurtre
.
C’est dans ce contexte de nouvelles révélations
que le procès en appel de deux
dignitaires djiboutiens a eu lieu, les 25 et
26 mars, à Versailles.

Cette affaire de subordination
de témoin, en marge de l’instruction
principale s’était conclue par le
renvoi en correctionnelle de deux proches
du président Guelleh. L’actuel procureur
de Djibouti, Djama Souleiman, et le chef
des services secrets djiboutiens, Hassan
Said, absents au procès, ont été condamnés
respectivement, le 27 mars 2008, à
dix-huit mois et douze mois de prison
ferme, reconnus coupables en première
instance d’avoir fait pression sur deux
témoins clefs pour annuler ou discréditer
le témoignage pouvant mettre en cause le
président djiboutien.

Morrachini persiste !


Au cours de l’appel, on a pu noter l’intervention
hallucinante du juge Marie-Paule
Morrachini (qui s’était vue confier l’instruction
de l’affaire Borrel en novembre
1999 après un premier dépaysement, elle
est dessaisie en juin 2000 ) venue soutenir
à la barre qu’elle était toujours convaincue
de la thèse du suicide avec toujours
le même argument : «Quand j’ai découvert
l’endroit où le corps du juge avait
été retrouvé, j’ai compris que ce n’était
pas un lieu pour se faire tuer, mais un
lieu pour se suicider»
.

Son approche
très mystique de l’instruction a suscité
de nombreuses interrogations et les parties
civiles se réservent d’ailleurs le droit
de déposer une plainte pour violation du
secret de l’instruction à son encontre.

La procureure de la République a estimé
que les faits de subornation de témoins
étaient établis et elle a requis des peines
d’un an de prison avec sursis à l’encontre
d’Hassan Saïd et de Djama Souleiman.

C’est un réquisitoire identique à celui qui
avait été prononcé en première instance.

La Cour ne l’avait pas suivie puisqu’elle
avait alourdi les peines requises en les
transformant en prison ferme et en infligeant
au procureur de Djibouti, six mois
supplémentaires, au motif qu’un magistrat
formé dans une école française ne
pouvait pas se permettre de commettre
un délit … et qu’il l’avait fait en toute
connaissance de cause. La Cour avait
confirmé le mandat d’arrêt européen délivré
à leur encontre.

Il faut ajouter la présence, dans la salle
d’audience, du colonel Ladieh, chef du
bureau militaire du président djiboutien,
désigné comme l’un des tortionnaires les
plus féroces, par une de ses victimes, Ali
Coubba, écrivain djiboutien réfugié en
France qui cite son nom à plusieurs reprises.

(«Une nation en Otage», L’Harmattan,
mai 2000)

Le délibéré a été fixé au 28 mai 2009.

Jean-Loup Schaal