08/07/09 (B506-B) 16 ème anniversaire de l’installation des réfugiés djiboutiens à Addis Abeba. Lettre ouverte du Comité des réfugiés djiboutiens en Ethiopie, adressée au HCR d’Addis.

Au nom des réfugiés djiboutiens

Lettre ouverte Juillet 2009

A l’attention de Madame Anika,
officier de la protection du UN-HCR.

Objet : Préoccupations et difficultés.

Madame,

Tout d’abord, nous voudrions vous remercier de votre amabilité et de bien vouloir consacrer un peu de votre temps précieux pour prendre connaissance de nos différentes préoccupations et difficultés subies dans l’exil, ce qui est malheureusement toujours notre cas.

Avant de rentrer dans le vif du sujet nous allons essayer un tableau pour expliquer la particularité de notre situation.

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1°) Un rappel historique nécessaire :

Tous les réfugiés djiboutiens sont confrontés à un situation exceptionnelle qu’ils endurent depuis 17 années d’exil passées sur le sol éthiopien.

Depuis le premier jour où nous avons mis pieds dans ce pays, les obstacles n’ont jamais cessé de se dresser sur notre chemin . Cela s’est poursuivi lorsque nous avons commencé les démarches pour être considérés comme des réfugies au même titre que tout individu contraint à franchir la frontière en raison des événements dramatiques survenus dans son pays d’origine.

Bien que le HCR et les autorités éthiopiennes aient finalement reconnu « du bout des lèvres » l’arrivée massive de réfugiés djiboutiens sur le sol éthiopien, nous avons eu l’impression que tout était fait pour contester le statut auxquel nous pouvions légitimement prétendre. Bref, les Djiboutiens ont été répertoriés comme des « personnes déplacées à titre temporaire » et il a été convenu de les laisser sans assistance ni statut protecteur.

Les autorités éthiopiennes ont-elles usé de leur influence pour contrecarrer le projet d’un camp pour les réfugies tel qu’il avait été proposé par le UN HCR ?

Peut-on imaginer que ces pressions éthiopiennes possibles étaient destinées à accompagner les relations diplomatiques houleuses avec Djibouti son voisin et à servir éventuellement de moyen de captage des aides ?

Les Djiboutiens réfugiés, en tout cas ont conservé ce statut hybride jusqu’en 2003, soit dix années après avoir franchi la frontière (1993).

Les autorités éthiopiennes admettaient à ce moment la présence de 18.000 Djiboutiens sur leur sol. L’UN HCR et le Programme Alimentaire Mondial en ont pris en charge un certain nombre jusqu’en 1998 avant de décider subitement leur retrait.

Les raisons de ce retrait sont-elles a mettre au compte du changement de politique régionale qui a conduit en 1998, et à un renversement des alliances du fait, en grande partie, du conflit Ethiopio-Érythréen qui a favorisé le rapprochement diplomatique de Djibouti avec l’Éthiopie.

Aussitôt, un rapport officiel de recensement des Djiboutiens réfugiés sur le sol éthiopien, a été initié précipitamment en mai 1998 par l’ARRA. Il justifiera l’interruption de l’assistance du PAM et surtout il a réduit le nombre des réfugiés a quelques 5.000 individus, faute pour les autres d’avoir été avertis et d’avoir eu la possibilité de se faire recenser. Ce chiffre est un seuil au-dessous duquel l’intervention du PAM n’est pas nécessaire.

La conséquence a été le transfert de compétences à l’administration de l’ARRA et du UN HCR .L’UN HCR prétextant l’insécurité inhérente au conflit, a abandonné les refugies a leur sort en leur retirant même la couverture médicale qu’il assurait par le biais de l’ARRA. Le motif officiel étant ‘impossibilité d’entreprendre des déplacements compte-tenu de l’état d’urgence décrèté dans les zones proches des fronts.

Cette période de vide fut dramatique pour nos concitoyens qui ont été abandonnés, sans aides ni soins..

A titre d’exemple, toutes ces familles délaissées dans les périphéries des agglomérations d’Aysaita de Eli-dar, de Boure et de Manda en region2 ont payé un lourd tribu du fait de maladies consécutives à la famine.

Certains ont été contraints de traverser la frontière en sens inverse pour essayer de sauver la peau de leurs épouses et de leurs enfants. Bien mal leur en a pris, car ils se sont véritablement jetés dans la gueule du loup qu’ils avaient fui auparavant.

C’est que la guerre civile entre l’état Djiboutiens monopolisé par les clans somalis-issas d’un côté et les résistants Afar regroupés au sein du FRUD se poursuivait.

Il n’est pas inutile de clarifier les causes du conflit et des enjeux qui opposent d’un côté l’ethnie Afar et de l’autre les Somalis. Tout a débuté lors de l’accession de notre pays a l’indépendance. Avant l’équilibre ethnique dans la gestion coloniale était à peu près respecté par le colonisateur français qui voulait prévenir les convoitises des voisins régionaux :la Somalie et l’Éthiopie .

E
n se retirant du pays, la France a confié le pouvoir aux Djiboutiens d’origine Somalis qui ont monopolisé l’appareil de l’état au profit de leur seule communauté, favorisant le déferlement des Issa-Somalis en provenance des régions d’Éthiopie et de la Somalie grâce à un système de naturalisation massif des ressortissants exclusivement issus de ces ethnies. L’objectif final étant de justifier leur supériorité numérique et donc de légitimer leur pouvoir aux yeux de l’opinion internationale.

Malheureusement le clan Issa au pouvoir a généré un régime prévaricateur, corrompu et ethnico-clanique. Ses politiques intérieure et extérieure sont fondées sur la prédation des ressources du pays et l’asservissement des Afar. Souhaitent-ils aller jusqu’à leur extermination ? Diffiicile de l’affirmer, mais tous les faits prouvent que le régime a tout mis en place pour les affaiblir et les humilier.

Dans ce minuscule pays de 23. 000km2, l’Armée nationale sous commandement Issa-Somali tient d’une main de fer les 3/4 de la surface qui sont des terres habités par les Afar.

Voila, l’enjeu et la raison d’être du conflit Issa-Somalis contre les Afar a Djibouti.

C’est ce qui explique qu’il n’y ait pas de réfugiés d’origine Issa-Somalie parmi les réfugiés.

Ce conflit a commencé il y a 30 ans et rien ne permettrait d’affirmer qu’il est sur le point de se terminer. Étant donné que l’Armée nationale continue à livrer une guerre sans merci aux Afar dans le nord et le sud du pays, semant le drame et la désolation, dévastant et détruisant les biens privés des Afar.

Les exemples ne manquent pas : exécutions sommaires, viols, torture, disparition mystérieuse sont le quotidien des Afar, sans parler des barrages militaires qui bloquent les routes empêchant tout déplacement non autorisé vers ou du pays afar.

Rien de ceci n’est la conséquence du hasard. Tout ceci est programme dans le cadre d’un vaste projet qui aboutira à la conquête du territoire Afar pour le donner aux Issa-Somali.

Aujourd’hui, c’est au nom cette politique que les Issa-Somalis marginalisent, persécutent et délogent les Afar qui refusent de céder leurs terres natales et les pâturages dont ils se considèrent les héritiers et en s’opposant a ce programme expansionniste de l’appareil d’état Issa-Somali.

Ce rappel historique vous aidera certainement à mieux comprendre les raisons qui nous ont poussé sur la route de l’exil.
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2°) Nos problèmes et nos préoccupations actuelles

Prenons le cas des quelques familles djboutiennes-Afar qui ont été enregistrées en 2003 par votre agence. Ces familles n’ont pas toujours pas bénéficié du programme de réinstallation depuis 9 ans, sous prétexte qu’aucun pays ne voulait les accueillir en raison de la stabilité politique dans leur pays d’origine.

Cette raison a souvent été invoquée par l’UN HCR en réponse aux requêtes des Djiboutiens. Mais en mars 2008, les choses semblaient avoir bougé et les djiboutiens ont commence à espérer. Des rumeurs, puis des informations ont circulé affirmant que la France pourrait nous accueillir dans le cadre d’un accord passé avec le HCR.

Nous avons été invité à passer des interviews et à constituer des dossiers. Mais voilà bientôt deux ans que nous croupissons dans l’attente.

Est-ce la conséquence d’une extrême lenteur administrative du UN HCR ?

Nous ne le croyons pas ! On nous dit que plusieurs dossiers auraient été envoyés au UNCHR du Kenya, pour y être validés.

Et voilà que nous apprenons que certains dossiers auraient été retournés à Addis au motif que certainesquestions n’auraient pas été posées aux intéressés, comme le moyen de les joindre (?).

Une vingtaine des familles sont dans cette situation : plusieur ont déjà passé l’interview. A quand donc ce rendez-vous ?

Nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous demander respectuesement d’accélérer le traitement nos dossiers sachant que nous subissons depuis 12 ans la vie dans des espaces insalubres et que nous partageons nos maigres tranches de pain avec les rats.

Nous sommes confronté à une situation où ne pouvons même pas répondre aux besoins les plus élémentaires de nos enfants : la maigre assistance financière que vous nous pourvoyez est vite utilisé en début de mois.

Comment vêtir des enfants avec l’allocation annuelle d’habillement de 200 birs ?

Comment faire trois repas par jour avec
l’allocation mensuelle de laquelle, il faut déduire le loyer ?

Interdits d’accès au marché du travail et donc sans dignité nous ne pouvons pas nourrir nos familles.

C’est donc la destruction mentale qui nous guette à court terme si rien n’est fait rapidement en notre faveur. Pétris du sentiment d’infériorité conséquence de l’incapacité de subvenir au bonheur des nôtres, c’est en outrepassant le sentiment de la honte qui nous habite que nous vous interpellons sur notre sort.

Pendant combien de temps pourrons-nous encore tenir ce discours ?

Avant de terminer cette lettre ouverte, je tiens à vous signaler le cas particulier de certains djiboutiens qui se sont réfugiés en Éthiopie.

Plusieurs d’entre-deux ont été effectivement enregistrés par l’ARRA et l’UN HCR ,d’autres sont en cours d’enregistrement.

A titre d’exemple, MM. Kamil Ahmed Mohamed et Hassan Ali, bien qu’ils soient enregistrés depuis six mois n’ont toujours pas bénéficié de l’assistance médicale et de l’aide financière d’UN HCR.

1°)
M. Kamil vit avec une famille nombreuse. Il est dans une situation extrêmement précaire et il ne survit que grâce à la solidarité active de ses compatriotes qui se cotisent à hauteur de 10 birrs par personne.

Sa femme souffre d’un grave problème cardiaque : les soins sont très coûteux et il ne peut plus les assumer.

Nous vous prions de prendre particulièrement en considération le cas de cette personne et de régulariser sa situation

2°) Le second cas est celui d’Ahmed Ali Arass. Bien que titulaire de l’assistance financière il n’arrive pas à obtenir depuis sept mois ni les indemnités ni l’assistance médicale pour sa famille.

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3°) La troisième raison qui nous conduit à vous écrire cette lettre est le fait que certains réfugies « urbains » auraient pu être recrutés comme auxiliaires pour des travaux d’interprétariat, de gardes de portiques ou d’accompagnateurs de malades.

Nous avons appris qu’un quota avait été attribué à chaque communauté de réfugiés présents en Ville. Pour quelles raisons, les réfugies Djiboutiens n’ont-ils pas le droit de bénéficier de ce quota comme les autres réfugies de différents pays ?
Nous remercions l’UN HCR de remédier à cette injustice de traitement s’il y a lieu.

Espérant que le HCR et ses responsables mettront en oeuvre tout ce qui est possible pour apporter des réponses satisfaisantes à nos problèmes légitimes,nous vous prions de recevoir, Madame, l’assurance de nos sentiments distingués

Signé au nom du Comité des Réfugies djiboutiens.
par Jean-Loup Schaal,
leur représentant mandaté pour l’Europe.