09/02/2012 (B642) Quels enseignements tirés des élections municipales à Djibouti ? (Universitaires djiboutiens)

Notre pays vient de connaître après 34 ans d’indépendance, et pour la deuxième fois, des élections communales, le vendredi 20 Janvier.

A la lecture des résultats de ces élections municipales de la semaine dernière, le fait marquant est en premier lieu l’abstention. « 80% » de non-participation, soit 4/5 des électeurs. Un chiffre excessivement élevé et qui fait froid dans le dos de nos chers élus (ou futur élus). Il est fort lamentable, regrettable et déplorable de constater que le vrai «vainqueur» de ce scrutin soit l’abstention.

Pourquoi la rue Djiboutienne a-t-elle boudée ces élections ? Est-ce une révolution à voix basse ?

Je vais essayer de répondre à ces questions et vous livrer une analyse objective qui va au-delà non seulement de mes considérations partisanes mais aussi loin d’une interprétation de mon subconscient qui ne serait que le fruit de mon imagination et de mon impression.

1. Manque de visibilité des élus
Si l’objectif de départ, qui est celui d’élire des conseillers municipaux qui seraient plus proche du citoyen est louable en lui-même, mais à bien y regarder, son poids, sa portée, se trouve atténué par le fait que les conseillers sortants, élus lors du précédent suffrage, ont davantage brillé par leur absence que par un réel souci de participer à la vie quotidienne de leur commune.

Par conséquent, peu, ou très peu de personnes savent le nombre exact des conseillers municipaux élus dans la commune de leurs quartiers, ni qui ils sont, ni quand et où ils siègent.

Qu’ont-ils apporté de nouveau, de concret depuis la dernière élection ?

Qu’ont-ils changé dans nos quartiers ?

RIEN !

D’autre part, contrairement aux élections présidentielles et législatives, les élections municipales restent, eux, une énigme pour le pauvre citoyen car, on lui demande de voter pour des gens qu’il ne voit guère dans son quotidien et de ce fait, il se sent perdu, désabusé et désorienté face au nombre pléthorique des candidats.

Voilà donc, une première raison pour ne pas se déplacer dans les bureaux de votes et qui donne à ce vote peu de visibilité.

2. Une campagne et un vote sans saveur
Une raison qui justifie que cette campagne ait une saveur dénuée de tout piment (BILAA XALAD, en somalie) est le fait que ces conseillers municipaux, ne sont que des jeunes lionceaux, néophytes en politique, qui ont, en tout et pour tout bagage politique, que le consentement de leurs maîtres UMPiste. Rien de plus !

Mais malheureusement, ces jeunes lionceaux, ont du mal à mobiliser et à « drainer » une marée humaine comme leurs lustres ainés, IOG et ARA car ces derniers ont compris de par leurs longues expériences comment lancer avec finesse et subtilité, l’hameçon, pour tenir la population en laisse et muselière. Et ce n’est pas du jour au lendemain qu’on devient calife à la place du calife.

En effet, les meetings proposés par ces jeunes « futurs prédateurs » des deniers publics sont à des années lumières comparés aux meetings folkloriques et à l’ambiance festive du candidat de l’UMP.

La population était habituée à assister à des meetings haut en couleurs sous le soleil djiboutien qui laisse tomber d’aplomb une chaleur lourde sous laquelle non seulement les cailloux du trottoir scintillent mais aussi où la foule enthousiaste, souvent transportée dans les différents sites des meetings par des bus loués sur le dos du pauvre contribuable, entre en transe à la vue de IOG.

Plus il se rapproche et plus la foule rivalise d’ingéniosité, les pas chaloupés qui vont de pairs avec les parasols se balançant de gauche à droite, deviennent de plus en plus rythmés, les chants, devenant de plus en plus intenses et mélodieuses, décuplant ainsi la montée d’adrénaline dans leurs veines (et celles de la population) et faisant chavirer la foule.

Le jeune arabe de 11-12 ans, en tenue traditionnelle yéménite, se précipitant devant la garde républicaine, qui, elle, quadrille et entoure impeccablement son chef, roulant de manière acrobatique ses deux couteaux, tout fier de se produire devant son idole.

Voilà des images qui nous laissent souvent, tous, sans voix et bouche bée.

Cette foule, décrite ici, souvent liée au parti unique du président-candidat unique pour des considérations affairistes, tribalistes, manichéennes et entres autres, n’est absolument pas représentative de la population ni de la rue Djiboutienne, qui, elle, vient souvent assister pour écouter les chants et poésies à l’effigie du président-candidat et regarder, ainsi, les différentes troupes nationales se succéder sur la tribune gratuitement sous leurs yeux.

C’est toute la ville qui est en situation d’alerte constante que ce soit les pompiers, les gendarmes, les policiers et les RG.

Voilà ce qui a fait défaut à cette campagne. C’est-à-dire une situation de bouillonnement total où le khat, arme fatal, coulerait à flots et non pas distribué avec parcimonie comme j’ai dû le voir dans les différents quartiers.

Il a manqué à cette campagne de l’adrénaline pour la pimenter.

Pour vous donner une image de cette campagne, c’est comme si à Rome, dans l’arène, Jules Cesar offrait, à la foule surexcitée un combat de coqs, après un long combat sanglant entre 2 gladiateurs.

Que feraient les spectateurs dans l’arène ?

Un chahut et un boucan de contestations terrible se feraient entendre, de sifflets fuseraient de partout, et ils quitteraient illico presto l’arène et s’en détourneraient pour vaguer à leurs occupations personnelles et professionnelles sans pour autant faire une révolution même à voix basse soit-elle. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’ils assisteront demain, à un autre combat entre leur gladiateur préféré et un autre gladiateur, vaincu d’avance. C’est juste une manifestation de leurs mécontentements.

Et c’est exactement de la même façon qu’a réagi la rue Djiboutienne à la différence, qu’ici, ce n’est ni une manifestation d’un quelconque mécontentement ni d’ailleurs un ras-le-bol mais une indifférence généralisée, expliquée par les 3 autres éléments de réponses qui suivent (points 3, 4 et 5).

Et pour intéresser une population, en politique, il faut avoir de l’imagination et de l’audace qui n’ont de limite que des moyens.

Encore faut-il que nos jeunes politicards aient l’intelligence de cerner et la capacité de s’imprégner de tous les us et coutumes de notre « réal-politique » si exceptionnelle et si complexe (dixit, feu Hassan Gouled).

Voilà donc, une autre raison pour ne pas se déplacer et assister à un combat de coqs sans saveur, sans adrénaline et qui expliquerait ce faible taux de participation.

3. Une campagne et un vote au contour flou
Que recherchent ces jeunes néo-politiciens ? Quels objectifs poursuivent-ils ? Quels programmes nous proposent-ils ?

J’ai personnellement suivi de près les meetings, et j’ai trouvé risible les approximations de leurs discours, la naïveté de leurs raisonnements mais aussi choqué par le manque criant de propositions ou d’idées. Et le peu qu’ils en avaient, n’étaient que du vent. C’était pathétique !

J’avais d’autre part noté que leurs allocutions et explications ressemblaient plus un démêlé vindicatif, qu’un débat politique sérieux.

Vous noterez tout comme moi, qu’aucune proposition concrète n’a été faite par ces néo-politiciens, dont le chef de fil, n’est autre que ce jeune Abdourahman TX.

Qu’est-ce qui les intéressent ? Leur seul voeu est celui d’être élu, uniquement pour avoir des postes lucratifs, des postes « vache à lait ».

Et pour y arriver, ils ne font que gesticuler à droite et à gauche, se chamaillant dans l’antichambre de la cour pour se partager le gâteau juteux du pouvoir.

Quelles propositions ont-ils pour éradiquer l’insalubrité dans nos quartiers populaires ? AUCUNE !

Quelles propositions ont-ils pour combattre l’insécurité dans les communes qu’ils se présentent? AUCUNE !

Quelles propositions ont-ils pour réactiver les activités dans les maisons de jeunes flambants neufs de différents quartiers souvent fermées à double tour ? AUCUNE !

Quelles propositions ont-ils pour les écoles primaires et collèges de leurs communes ? AUCUNE !

Voilà bien des questions, pourtant pas trop techniques mais élémentaires et sans profondeurs, devant lesquelles ces jeunes lionceaux seraient incapables d’y répondre. Et si n’importe quelle personne les pose, ils s’en mêleraient les pinceaux.

Zéro à tous les niveaux !

Ils n’ont AUCUN cahier de charges,
Ils n’ont AUCUNE vision,
Ils n’ont AUCUN idéal pour la société.

Alors qu’ils gardent leurs diatribes et autres élucubrations car le citoyen moyen voit bien que l’élection de ces jeunes lionceaux n’améliorera en rien son quotidien ! C’est pour cela que la population reste indifférente à leurs appels de sirènes.

Voilà donc, un autre argument qui justifierait le manque d’engouement pour ce vote et expliquerait ce taux.

4. Misère et famine
Une autre réalité Djiboutienne (du moins africaine) que nous devons prendre en compte est la misère généralisée dans laquelle les 2/3 de la population baignent inlassablement. C’est un facteur déterminant et prépondérant qui a joué son rôle dans cette élection.

Pourquoi ?

Parce qu’on peut voir dans ce proverbe grec: « la faim peut prendre des forteresses, elle peut aussi les rendre à l’ennemi» toute la latitude et dimension que prend la misère et famine dans une élection que ce soit en Tunisie où à Djibouti : 2 dimensions diamétralement opposées.

La misère et la faim ont été à l’origine de la révolution française et celle du jasmin, en Tunisie. L’une, la révolution française, a permis la prise de la bastille (donc une forteresse) et la guillotine de Louis XVI.

L’autre, la révolution Tunisienne, a chassé l’inamovible et sanguinaire dictateur Ben Ali, qui est une forteresse en soi !

Voilà comment la misère et la faim ont permis de surmonter l’insurmontable.

Mais qu’en est-il à Djibouti ?

Malheureusement, la misère et la famine ont plié la population et l’ont mise à genoux : Certains prennent la poudre d’escampette comme ils peuvent, d’autres se sont rendus et « prostitués » vendant leurs âmes et conscience, d’autres se sont faufilés entre les mailles du filet, réussissant à gravir sans trop se compromettre aux yeux de la masse, poursuivant ainsi, des ambitions personnelles et enfin, quelques rares téméraires ont osé braver la pensée unique de manière frontale sans pour autant faire de la politique tout en restant dans la maison de Dieu.

Voilà à quoi la misère nous a réduits à Djibouti. Elle a rendu à l’ennemi (les UMPiste effarouchés), notre fierté, notre dignité, notre joie, notre travail, en tout, ce qui fait de nous un Homme (avec un grand H) et nous unis, c’est-à-dire notre pays, qui est notre forteresse à nous.

La rue Djiboutienne engluée dans ce marasme sans nom, n’a malheureusement pas le temps de s’intéresser à des élections qui ne sont que des banalités ressemblant plus à la technique de l’empalmage pour nous enfumer qu’à autre chose.

Voilà pourquoi ce vote s’est déroulé dans l’indifférence générale, ce qui explique bien ce taux élevé de non-participation.

Pourtant, tous les ingrédients et signes du cocktail Molotov explosif d’une révolution sont bien présents dans notre pays :

– Les profondes inégalités sociales : misère, famine, injustice, humiliation…
– La corruption
– Le népotisme

Et pourquoi une révolution n’est jamais envisageable chez nous ?

Parce que la rue Djiboutienne est très loin de cette maturité affichée par celle de Tunis ou celle du Caire car un mal profond du nom de « tribalisme » nous ronge jusqu’à la moelle épinière qu’on soit enturbanné ou en jupette ou encore diplômé.

5. Conviction et Fatalisme
Un dernier point qu’il faut soulevé qui est si particulier et si singulier chez nous est le bourrage des urnes qui prend des proportions jamais égalées. La fraude aux élections, à Djibouti, par le « gonflage » des chiffres est une réalité qu’aucune personne ne peut contester, du simple citoyen de la rue au plus haut niveau de l’administration. C’est un fait, une certitude indéniable et irréfutable.

Que nous ayons notre carte d’électeurs ou non, que nous votions ou non, Djibouti est le seul pays au monde où la logique statistique ne tiendrait plus débout et où toutes les théories statistiques et de sondages atteindraient ses limites et rendraient, ainsi, son tablier.

C’est pourquoi la population est partagée entre conviction et fatalisme.

Elle est convaincue que quel que soit le bulletin de vote qu’elle mettrait dans l’urne, l’UMP sortira vainqueur de n’importe quelle élection, même opposé à un parti disposant de 1 milliards de sympathisants (dixit, le défunt Ahmed Boulaleh Barreh), ce qui conduit malheureusement à un certain fatalisme, une certaine résignation dont la première dimension ou étape se manifeste par une indifférence généralisée.

Voilà pourquoi nous avons assisté à un fort taux de non-participation du citoyen x ou y.

En conclusion, plus qu’une révolution à voix basse, c’est une indifférence généralisée que nous a montré la population dans cette élection.

Des universitaires Djiboutiens